Octobre 2012, scandale au Danemark ! Un quotidien révèle qu'un danois a aidé des services secrets étrangers à liquider un terroriste islamiste au Yémen. L'affaire peut paraître étrange car l'intéressé, Morten Storm, a un passé de petit délinquant, d'islamiste et à présent d'agent double ! Or les journalistes ont longuement enquêté sur son histoire avant de faire paraître le scoop. Aujourd'hui largement vérifié et publié dans un livre saisissant son parcours nous enseigne moult choses sur le jihadisme au quotidien.

Il nous apprend de quoi était composé les premières troupes des islamistes britanniques qu'il côtoie à la fin des années 90 : généralement des enfants d'immigrés du Pakistan ou des Caraïbes qui se réfugient dans la religion pour fuir un quotidien âpre et décevant. A l'époque, comme aujourd'hui, l'Arabie Saoudite subventionne le salafisme : face aux épreuves ou au racisme le discours salafiste propose une multitude de comportements « authentiques » sensés garantir le paradis à ses adeptes. L’islam traditionnel comme la vision moderniste de cette religion sont voués aux gémonies et la démocratie avec eux. Même les Frères Musulmans sont vus comme des « innovateurs » coupables de vouloir participer aux élections... Avant d'être le tremplin du terrorisme aveugle le salafisme est un aimant pour jeunes marginaux peu cultivés et généralement délinquants. C'est le cas de Storm qui est devenu musulman puis islamiste après une jeunesse pour le moins chaotique... Une fois réellement convaincu par ces inepties qui les coupent de la société les Salafistes peuvent rester des croyants purs et durs ou devenir des activistes violents.

Mais les chefs de ces mosquées radicalisées ne sont pas des damnés de la terre ! Bien souvent Morten Storm les décrit comme des bourgeois bien gras. Très impliqués en parole... mais incapables de passer aux actes sinon pour exploiter un public hypnotisé par leurs discours des plus délirants.

Tout changera après le 11 septembre quand une partie de ces réseaux passera à l'acte car certains de leurs chefs affirmeront en petits comités que le meurtre de kouffars (non musulmans) est possible dans le cadre de la guerre sainte. Mais ces chefs ayant acquis la nationalité britannique ne veulent pas perdre leur vie confortable. A l'étranger, au Yémen par exemple, les dirigeants d'Al-Qaïda seront issus du même moule mais avec une pratique de la violence plus généralisée.

Morten Storm, converti à l'islam
Storm sera très proche d'Anwar Al-Awlaki. Né aux Etats-Unis c'est le fils d'un ministre yéménite. Après le 11 septembre, il se radicalise progressivement et devient célèbre pour ses prêches habiles et enflammés sur internet.

Surveillé, puis temporairement emprisonné au Yémen, il fuit dans les zones tribales où il devient un haut dirigeant d'Al Qaïda. Storm qui a sa confiance lui rend visite à plusieurs reprises, il est alors devenu informateur pour différents services secrets...

Même si l'Arabie Saoudite a financé largement le salafisme en Europe ainsi que des camps religieux au Yémen et ailleurs (Storm s'y est rendu) force est de constater que le financement direct du terrorisme n'est pas prouvé. Storm croise bien des jeunes décidés à agir de façon meurtrière mais incapables de réunir les fonds nécessaires.

Storm est lui-même dans ce cas. Il doute de ses convictions quand il échoue à trouver l'argent pour aller se battre en Somalie avec les islamistes locaux... L'idée que le dieu pour lequel il s'agite le fait échouer le démoralise.

C'est alors qu'il monnaie des informations sur Awlaki... Ce dernier lui demandera toujours du matériel ou du liquide pour la cause. Même chose pour les islamistes somaliens visiblement toujours à cours d’équipements militaires ou autres.

Cela relativise donc l'idée que le terrorisme est largement financé de l'extérieur. C'est le cas, mais en partie seulement. Storm explique plutôt que, si Al Qaïda se développe quelque part la structure s'autofinance. C'est la même chose pour Daech aujourd'hui. Par exemple au Yémen Al Qaïda vend et achète voitures, miel, kat (drogue à mâcher) ou taxe la population locale... Tous les groupes armés font de même, le soutien extérieur sert à amorcer la pompe, ensuite ces groupes peuvent s'autonomiser.

Chefs ou sous-fifres les islamistes terroristes ou non n'en sont pas moins hommes ! Quand Storm était encore un militant fanatique, il s’est marié avec une salafiste marocaine recrutée sur internet. Or, le mariage va vite capoter du fait du caractère volcanique de sa femme supposée « soumise » et en raison de la misère matérielle dans laquelle il va l’entraîner une fois installé avec elle en Europe. La dame fera même fuir en moins d'une semaine un second compagnon, un Turc lui aussi salafiste.

Et que dire d'Awlaki qui, aux Etats-Unis, semble avoir fréquenté des « escort girls » à 400 dollars de l'heure ?

Au Yémen, une fois lancé dans le djihad le prêcheur cherchera une deuxième épouse (la première vivant dans la capitale et étant comme lui cultivée et anglophone...) qu'il voudra aussi jeune que possible. Ensuite il demandera à Storm une européenne convertie que le Danois réussira à trouver en la personne d'une Croate blonde aussi naïve que perdue. Il affirme avoir touché 250 000 dollars de la CIA pour avoir déposer des mouchards électroniques dans les affaires de la fille. Les médias croates ont confirmé l'histoire.

Plus prosaïquement les interdits sexuels inhérents au salafisme semblent décupler le désir et la fascination pour les interdits. Même à reculons le puritanisme mène à la débauche.

L'auteur nous livre aussi ses états d'âmes d'infiltré... Trahir ses amis et ses connaissances fait forcément réfléchir. Le témoignage de Storm est même trouble sur cette question : qu'est-ce qui l’a motivé à adopter une vie d'agent double ? Est-ce l'argent ? La volonté de sauver des vies humaines ? Ou le sentiment d'avoir enfin quelque chose à réussir ? Au lecteur de juger.

En tout cas son voisinage avec les services de renseignement n'ira pas sans conflit et la révélation de son rôle dans la presse aura été motivé par ses différends avec les dits services. Surtout la CIA qu'il accuse d'avoir voulu le liquider suite aux informations d'un autre agent double. Storm ne sera jamais sûr de rien tellement son quotidien d'agent infiltré est pourvoyeur de stress, de méfiance et même sûrement de paranoïa... La fin de son rôle lui permit aussi de redevenir sincère avec son proche entourage qui ignorait absolument tout de sa vie d'infiltré. Pour sa femme tous ses voyages étaient pour la cause islamiste ou pour affaires. Parfois, il retrouvait ses officiers traitants et passait du bon temps aux frais des contribuables danois. Les bars à filles de Barcelone s'en souviennent peut-être encore !

Le livre est sorti en France fin 2015. L'auteur a jugé utile d'écrire une postface afin de réagir aux attentats de janvier 2015 (les tueries du 13 novembre n'avaient pas encore eu lieu). Il rappelle que les frères Kouachi - qu'il n'a jamais croisé au Yémen - revendiquèrent leurs gestes au nom de la branche d'Al Qaïda au Yémen et d'Awlaki.

Pour Storm la concurrence sordide entre Al Qaïda et Daech ne peut que générer encore et toujours des vocations terroristes. Il souhaite que les services de renseignements utilisent le renseignement humain pour infiltrer ces groupes finalement assez ouverts car toujours en quête de troupes opportunément préparées par l'idéologie salafiste. En revanche, il reste muet sur la politique étrangère des puissances occidentales ou d'Israël, souvent à l'origine d'injustices ou d'ingérences révoltantes qui servent précisément de carburant à la haine politico-religieuse.
 

Denis Gorteau