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Un premier point me surprend. A mon sens, si les Américains avait découvert le moyen employé par Ayman Al-Zawahiri et Abou Moussab Al-Zarqaoui pour communiquer, ils n'en auraient pas fait étalage et auraient gardé l'information secrète. Ce supposé coup de maître est d'autant plus étonnant que, d'après nos informations, les Américains ne parviennent toujours pas à savoir qui remet les cassettes audio et vidéo de Ben Laden et Zawahiri aux chaînes arabes. Ils ignorent même qui travaille pour " Al-Sahab, " la société productrice de ces cassettes vidéo. Néanmoins, si l'auteur de la lettre s'est appliqué à rédiger un texte cohérent, on remarque une différence de style avec celui employé par Zawahiri dans ses autres écrits. Figurent en particulier de nombreuses fautes de construction ou de grammaire, voire d'erreurs de vocabulaire, étonnantes sous la plume du numéro deux d'Al Qaïda. Par ailleurs, j'ai remarqué les incohérences suivantes :
En conclusion, il me paraît très peu probable que Zawahiri soit l'auteur de cette lettre. Badih Karhani,
1) Yasser
Al-Sirri a été arrêté le lendemain
de la réception du livre de Zawahiri pour son implication
dans l'assassinat d'Ahmad Shah Massoud. Il a ensuite été
libéré. |
Livrée
au public le 11 octobre par les États-Unis, la lettre
d'Ayman Al-Zawahiri, numéro deux d'Al Qaïda, à
Abou Moussab Al-Zarqaoui, aurait été interceptée
par les services américains. Le Président George
W. Bush lui-même l'a présentée comme authentique.
A l'analyse, on remarque pourtant des points surprenants. Ensuite, Zawahiri, un fugitif traqué entre le Pakistan et l'Afghanistan par la première puissance mondiale, prie Zarqaoui, lui-même exposé aux vicissitudes de la guerre en Irak, de joindre Abou Rasmi, en résidence surveillée en Grande-Bretagne. Cela ne suffisant pas, Zawahiri, si c'était lui, suggèrerait une prise de contact avec Abou Rasmi par Internet. On imagine ces ennemis jurés de l'Amérique, vaquant tranquillement à leurs mortelles occupations et communiquant entre eux, avec leurs ordinateurs. Etonnant quand on connaît l'appareil de contrôle mis en place par les Etats-Unis pour surveiller les échanges sur Internet. Il y a plus surprenant. Zawahiri est un islamiste sunnite. Sa vision de la réalité, confortée par sa lecture de l'histoire, en fait un ennemi déterminé des chiites. Certes, quelques passages de la lettre vont dans ce sens. Néanmoins, à plusieurs reprises, l'auteur du document présente de manière favorable des figures historiques vouées aux gémonies par les sunnites et célébrées par les chiites. Pire, il fait précéder les noms d'Ali (mort en 661) et de son fils Hussein (624-680) du titre d'Imam, c'est à dire, pour l'époque concernée, de chef sacralisé de la communauté chiite. Ceci est en opposition avec la tradition sunnite, qui ne reconnaît que les califes, chef de tous les musulmans, et n'use jamais du titre d'Imam. Là ne s'arrête pas notre exploration. Le persan, langue de l'Iran, de l'Afghanistan et du Tadjikistan, a fait de nombreux emprunts à l'arabe. Parfois, cependant, les mots ont subi une altération du sens. Le mot " inqelab, " par exemple, signifie " coup d'Etat " en arabe et " révolution " en persan. Quelle n'est donc pas la surprise de voir ce mot " inqelab, " utilisé dans le texte arabe avec le sens de révolution, comme en persan, et non de coup d'Etat. Nous avons aussi remarqué des expressions idiomatiques persanes introduites dans le texte arabe. Ces observations nous conduisent à conclure que cette lettre n'a pas pu être rédigée par Zawahiri. En outre, son auteur, croyons-nous, est un chiite de langue persane. Les Américains ont-ils été les dupes d'un faussaire ou ont-ils ordonné cette manipulation ?
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NOTRE ANALYSE DE FOND
Outre les remarques faites par Badih Karhani, plusieurs points nous ont paru suspects dans cette lettre supposée écrite par Ayman Al-Zawahiri. Référence I : Le nom du prophète Mahomet est toujours suivi d'une invocation en arabe comme " Salla-Llahu 'alayhi wa-sallam " (Que Dieu le bénisse et le salue). Par convention, cette invocation est souvent représentée par un cryptogramme réduisant la longueur de la formule. L'auteur de la lettre a tapé le signe " @ ", utilisé en informatique, pour symboliser cette formule. Nous trouvons cela particulièrement étonnant de la part d'un islamiste radical sunnite pour lequel la forme revêt une grande importance. Nous sommes là, aux yeux d'un homme comme Zawahiri, à la limite du blasphème. Référence IX : La citation d'un proverbe anglais, la culture de l'ennemi, apparaît elle aussi étonnante sous la plume de Zawahiri.
Dans la structure mentale du rédacteur, compte tenu de ce que nous savons de Zawahiri, ensuite : Référence III : Zawahiri a toujours placé l'Afghanistan au centre du dispositif du jihad contre l'Amérique. Ici, il met ce pays sur " la périphérie du monde islamique. " Aurait-il changé sa vision des choses ?
Compte tenu des habitudes de Zawahiri enfin : Référence X : Lui, le numéro deux d'Al Qaïda, dont le chef Oussama Ben Laden dispose d'une fortune considérable, demande de l'argent à Zarqaoui, dont les moyens financiers se limitent à ses capacités de pillage où à l'argent reçu de partisans. Surprenant. Référence XI : Un fugitif, traqué par la première puissance mondiale, Zawahiri, demande à un guérillero, Zarqaoui, lui-même exposé aux vicissitudes des combats, de joindre quelqu'un, Abou Rasmi, un homme en résidance surveillée à Londres, à plusieurs milliers de kilomètres. Cette bizarrerie ne suffit pas, Zawahiri suggère un recours à Internet, meilleur moyen de se faire repérer par les services de renseignements américains. Référence XII: Voilà encore évoqué le recours à Internet ! Décidément bien étonnant. D'une part parce que tout le monde sait les sites islamistes sous surveillance. D'autre part parce qu'en dépit de la légende, d'après certains informateurs, les hauts responsables d'Al Qaïda n'utiliseraient pas Internet pour communiquer. Référence XIII : La description par Zawahiri de ses affaires de famille à un commandant militaire ne ressemble pas à ses usages.
Cette accumulation d'éléments et ceux évoqués par notre collègue Badih Karhani, nous amènent déjà à soupçonner dans cette lettre un faux et non un texte rédigé par Zawahiri. Reste à savoir qui en est l'auteur. Nous avons sur ce point quelques indications.
Cette lettre supposée écrite par Zawahiri, un sunnite intégriste, certes contient des passages de défiance, voire de haine, à l'égard des chiites. Cela apparaît normal. On est d'autant plus surpris de voir des noms de personnalités historiques élevées au rang de héros par les chiites, mais d'ennemis du genre musulman par les sunnites, présentées dans cette lettre sous un jour favorable. Référence
IV : " La pureté du credo et le
respect de la voie (du Prophète), lit-on, ne mènent
pas toujours au succès... " Pour imager cette
idée, trois noms sont donnés. Référence VIII : Dans cette partie du texte, Ali Ibn Abi Taleb lui-même est évoqué avec le titre d'Imam que lui donnent les chiites et jamais les sunnites. Référence VII : Un " Mazhab " est un courant juridique, autrement dit, une école de pensée guidant la réflexion islamique. On compte quatre écoles chez les sunnites. Quand ces derniers veulent se montrer amicaux à l'égard des chiites, ils qualifient le courant religieux chiite de " mazhab jafarite, " du nom de son fondateur Jaafar As-Sadiq (699-765). Le second terme, " rafida, " est une expression péjorative utilisée par les sunnites pour désigner les chiites. Une contradiction apparaît donc dans le ton entre les deux termes. A la lecture de ces trois références, on a le sentiment de prendre connaissance d'un document écrit par un chiite et non par un sunnite. Certes, un chiite prenant le soin de critiquer ses coreligionnaires pour nous tromper mais, qui en dépit de ses ruses, ne connaît pas suffisamment les différences de base entre les référents sunnites et chiites pour ne pas commettre d'erreur.
Une autre série de détails nous interpelle. Se glissant dans le texte arabe, nous avons remarqué les idiotismes d'une autre langue, le persan. Référence II : En arabe, expression courante, " bilad Ach-Cham " désigne le Proche-Orient, spécialement dans les textes islamistes. Le terme " Cham " est ici utilisé isolé dans le sens de Syrie, comme autrefois on désignait ce pays dans la littérature arabo-persane. Aujourd'hui, seul " bilad Ach-Cham " est utilisé et seulement par les Arabes. L'auteur de la lettre, semble-t-il, ignore ce détail faute d'une intimité suffisante avec la langue arabe actuelle. Référence V : En arabe, " inqelab " signifie " coup d'Etat. " Le persan, ayant beaucoup emprunté à l'arabe, a reprit ce mot comme d'autres et, lui infligeant un glissement sémantique, lui a donné le sens de " révolution. " Or c'est le sens persan de " révolution " qui apparaît à plusieurs reprises dans le texte. Référence VI : On lit " le peuple afghan s'est séparé du parti des Taliban. " En Arabe, comme du reste en français, on " quitte un parti. " En persan, par contre le verbe " jouda choudan " peut se traduire par " quitter " mais signifie " se séparer. " On voit donc reproduit en arabe la formule persane.
Après réflexions et concertations des analystes, consultations auprès de personnes compétentes dans les domaines islamiques, linguistiques et historiques, enfin après des discussions avec des spécialistes du terrorisme, nous concluons que ce texte :
1/ N'a pas été écrit par Ayman Zawahiri. 2/ Que l'auteur est chiite. 3/ Qu'il est de langue persane et probablement iranien, même s'il maîtrise assez bien l'arabe. Pour nous, il s'agit donc d'un faux. Reste à savoir si les services américains ont été abusés ou s'ils ont confié cette opération de désinformation à des chiites iraniens maladroits. Alain Chevalérias |
Lire aussi : Traduction de la lettre de Zawahiri à Zarqaoui