DE LORÉAL ? |
septembre 2010
Tout commence par
une banale dispute entre une vieille dame riche et généreuse,
Liliane Bettencourt, et sa fille, Françoise Bettencourt-Meyers.
En décembre 2007, soudain prise dune compassion
que lon veut croire désintéressée,
lhéritière accuse un certain François-Marie
Banier dabus de faiblesse à lendroit de Mme
Bettencourt, pour lui soustraire dimportantes sommes dargent.
La fille veut soumettre sa mère à une « expertise
médico-psychologique », avant de la mettre sous
tutelle ou du moins sous curatelle. On nage dans le sordide,
mais lhistoire ne passionne personne. Le scandale Woerth-Bettencourt prend son essor. Puis, avec une étonnante soudaineté, comme dans un feuilleton bien réglé, les révélations éclatent les unes après les autres : une Légion dhonneur remise au principal gestionnaire de la fortune de Mme Bettencourt par Woerth, les accusations de la comptable de celle-ci portant sur des remises dargent au futur ministre du Budget et même à Nicolas Sarkozy. Puis on en vient à accuser Woerth davoir bradé lhippodrome de Compiègne, un bien de lÉtat, à une société amie. Sans être un grand fan du ministre, on sent dans tout cela de lacharnement. Mais pourquoi ? Et, surtout, venant de qui ? Nous avons enquêté. Derrière laffaire Woerth-Bettencourt, se cache autre chose : le sort de LOréal.
ET LA CAGOULE Les origines de LOréal
remontent à 1907, quand Eugène Schueller, jeune
ingénieur chimiste, invente une formule baptisée
Oréal, permettant de teindre les cheveux. Il crée
une société en 1909, afin de fabriquer et de distribuer
le nouveau produit, et sinstalle dans un deux pièces
rue dAlger, à Paris. Puis vient la guerre et la défaite. Il faut choisir entre la révolte ouverte, option tant critiquée aujourdhui quand elle émane des Afghans ou des Irakiens, ou la collaboration avec loccupant, comme on trouve normal aujourdhui de lexiger des Palestiniens. Schueller, avec plusieurs anciens de la Cagoule, préfèrent le second choix, croyant ainsi préserver les intérêts de la France. Au moment de la Libération,
du reste, les choses apparaissent moins tranchées que
certains veulent le faire croire. Traduit en Justice, Schueller
se Il aurait pu, pour séviter tout désagrément et cultiver ses intérêts, prendre des distances de ses anciens amis de la Cagoule. Il nen fait rien et leur offre même des emplois dans son entreprise, quand partout on leur claque la porte au nez. Entre autres, il installe Henri Deloncle, frère du fondateur de lorganisation, à la tête dune succursale ouverte en Espagne. Il y donne même du travail à Jean Filliol, homme de main de la Cagoule, qui échappe ainsi à sa condamnation à mort par contumace en France. Parmi ses protégés, on trouve aussi François Mitterrand, auquel il confie brièvement la direction du magazine Votre Beauté, le temps de lui remettre le pied à létrier. Car il faut se souvenir, étudiant et séjournant au foyer des Pères Maristes, rue de Vaugirard à Paris, le jeune Mitterrand professait des idées nationalistes et faisait même partie de lentourage de la Cagoule. Après la guerre, LOréal prend un essor exceptionnel et deviendra une multinationale, numéro un mondial dans le domaine des cosmétiques et des produits de beauté. À la mort de Schueller, en 1957, François Dalle reçoit les rênes de laffaire. Lui aussi est passé autrefois par le foyer des Pères Maristes de la rue Vaugirard. En 1988, Dalle décide dadjoindre une filiale spécialisée dans laudiovisuel aux nombreuses activités de LOréal. Il crée Paravision en association avec Jean Frydman, un ami croit-il. Frydman nest pas un anonyme. Né à Paris dans les années 20 de parents juifs polonais, à quinze ans, en 1940, il cherche dabord à fuir la France mais, empêché par les autorités, il rejoint la Résistance. Arrêté par la Gestapo en 1944 et condamné à mort, il raconte lui-même comment il fut tiré de prison de manière inexplicable par Aloïs Brunner, un criminel de guerre nazi. En 1989, Frydman et son frère David quittent la société Paravision. Un désaccord éclate alors, les deux frères voulant revendre les 25% dont ils sont actionnaires à un prix trop élevé au gré de Dalle. Un expert est désigné, mais Jean Frydman refuse son évaluation en même temps quil accuse Dalle de lavoir exclu de Paravision « parce ce que je suis un Juif » éclate-t-il. Il est vrai, LOréal se trouve alors dans une forte tourmente, les Arabes ayant décidé de boycotter ses produits en raison de ses relations avec lÉtat dIsraël. Admise par les deux côtés, une réunion a eu lieu pour évoquer ce sujet, Frydman jouissant aussi de la nationalité israélienne. Selon ce dernier, il aurait été tout simplement éjecté, quand pour Dalle et ses amis, ils auraient décidé dun commun accord de se séparer. On peut présumer, le désaccord sur le prix des actions rétrocédées aux Frydman, la véritable cause dun différend qui prend alors des allures de tragi-comédie. Dressé dans la posture de la victime de lantisémitisme, Frydman se met à « déballer » devant qui veut lentendre le passé de LOréal, et surtout celui de loccupation, comme sil les découvrait. ANDRÉ BETTENCOURT Un homme est particulièrement visé par ses attaques. Il sappelle André Bettencourt. Il connaît bien Mitterrand, Dalle et Bénouville, pour avoir vécu, lui aussi, avant la Guerre, dans le foyer de la rue de Vaugirard. Cest du reste lui, qui présenta Dalle à Schueller sous loccupation et le fit embaucher. En juin 1950, Bettencourt a épousé Liliane, la fille de Schueller, et occupe la vice-présidence, puis la présidence de LOréal depuis la mort de son beau-père. Il a aussi été député, de 1951 à 1977, est sénateur depuis cette dernière date et a été ministre dans plusieurs gouvernements, sans interruption de 1954 à 1973. Or, ce que chacun sait dans le Tout-Paris, pendant la Guerre, Bettencourt a aussi écrit dans la « La terre française », un hebdomadaire inféodé à loccupant, particulièrement virulent contre les Juifs. Dans le numéro du 12 avril 1941, on pouvait lire de sa plume: « Les Juifs, les Pharisiens hypocrites nespèrent plus. Pour eux laffaire est terminée. Ils nont pas la foi. Ils ne portent pas en eux la possibilité dun redressement. Pour léternité leur race est souillée par le sang du Juste » (2). En dautres termes de Jésus-Christ. Il semble que lon ait beaucoup exagéré limportance des activités de Bettencourt aux côtés des Allemands, grâce à un Frydman que la colère pousse à arranger la vérité à son gré. Il va jusquà laccuser davoir été le patron en France de la « Propaganda Staffel », lorgane de la censure des Allemands. Une affirmation dénuée de sens. Surtout, cest oublier lautre partie de la guerre de Bettencourt. En 1943, il rejoignit la Résistance et aida même Mitterrand à se rendre à Londres en avion. Arrêté par la Gestapo, il parvint à sévader pour continuer ses activités aux côtés de la France Libre. En récompense, il a reçu la Croix de guerre, la rosette de la Résistance et la Légion dhonneur.
Pas aussi blanc quil voudrait le laisser croire, Frydman se voit à son tour mis sur le gril. En mars 1992, deux fax arrivent par erreur chez Paravision, la société cause du conflit entre lui et Dalle. Ils émanent dune autre entreprise, Millenium, qui achetait ou vendait des films à Paravision. Les responsables de LOréal découvrent alors que les frères Frydman se servaient de sociétés écrans pour acheter des films et les revendre ensuite trois ou quatre fois leur prix à Paravision. Lescroquerie porte sur des millions de francs. Les attaques de Frydman finissent par mettre un terme à la carrière de Bettencourt. Peu importe la vérité, chez LOréal comme ailleurs, on naime guère le scandale et en février 1995, il quitte la présidence du groupe. Mais en marge de cette affaire de gros
sous, il convient déjà de se demander quelles étaient
les motivations de Frydman. Il est raisonnable de penser, quapprochant LOréal, Frydman était en mission, cherchant à pénétrer lun des fleurons de léconomie française pour le compte dintérêts qui, au cours des années, vont laisser des traces de leurs intentions. Le sentiment dun échec, ajouté à la fureur de ne pas obtenir ce quil voulait, ont poussé lassocié de Dalle à ce déballage haineux, à mi-chemin de la calomnie. LALLIANCE LORÉAL-NESTLÉ Au cours des années, LOréal prend la forme dun véritable trust, auquel sarriment de nombreuses succursales. Lensemble représente une force mais, comme on le voit déjà apparaître dans laffaire Frydman, attire aussi les convoitises et, par conséquent, suscite des attaques afin de lui nuire, voire den prendre le contrôle. Létat-major de lentreprise pense à se protéger. Pour cela rien ne vaut une alliance avec une autre structure. En 1974, un accord a été passé avec Nestlé, multinationale suisse basée à Vevey, dans le canton de Vaud. Les deux groupes constituaient alors une holding(4) dénommée Gesparal. Début 2004 (5), cependant, Nestlé et la famille Bettencourt changent la formule. Dans la pratique, Gesparal perd son rôle et ses deux composantes juridiques deviennent les actionnaires en direct de LOréal. Environ 27,5 % des actions reviennent à la famille Bettencourt et 26,4% à Nestlé. Détail important, ce nouvel accord impose aux signataires de ne pas tenter daugmenter leurs participations respectives dans LOréal... pour une période de cinq ans. Ce point est à mettre en valeur. Cinq ans après cet accord, nous arrivons au début de lannée 2009. Or comme nous le savons, cest en décembre 2007, un an avant la fin de laccord entre Nestlé et la famille Bettencourt, que Françoise Bettencourt-Meyers, la fille, prétendra mettre sa mère sous tutelle. La proximité de ces deux dates nous amène à nous interroger sur la possibilité dune relation entre linitiative de la fille et la fin de laccord Nestlé- Bettencourt.
Il faut en effet savoir que, depuis
1992, Mme Bettencourt a déjà fait
une donation de ses actions à sa fille. Néanmoins,
si cette dernière est détentrice du capital, sa
mère en a conservé lusufruit. En dautres
termes, elle continue de recevoir les dividendes et dispose du
droit de vote au conseil dadministration de LOréal.
Elle garde donc le pouvoir et, chose importante, les actions
détenues en droit par la fille ne peuvent pas être
vendues sans laccord de la mère. Ne serait-ce pas
ce verrou, que Françoise, la fille, voudrait faire
sauter en obtenant de placer sa génitrice sous tutelle
? JEAN-PIERRE MEYERS
Un faisceau de bonnes raisons conduit à sinterroger sur le rôle de son mari. À cet égard, un document reproduit par lUPJF, « Union des Patrons et Professionnels Juifs de France » et produit par la « Ligue de Défense Juive », nous semble déterminant (6).
Nous nous étonnons de laspect fortuit de la rencontre de Françoise et Jean-Pierre, en 1983, sur les pistes de Mégève. Jusque-là, lhomme navait guère brillé. Assistant professeur à lécole supérieure de commerce à Rouen, en 1972 il était entré comme employé à la Société générale, avant de se faire admettre en 1980 à la banque protestante Odier Bungener Courvoisier. En avril 1984, son mariage avec Françoise change sa vie. Après un stage calibré pour personnalités appelées à de hautes fonctions dans le groupe, Meyers siège au conseil dadministration de LOréal à partir de 1987. Dans le même temps, en raison des accords passés avec la maison suisse, en 1991, il entre au conseil dadministration de Nestlé. Une promotion bien rapide et difficile à expliquer autrement que par son mariage. Plus intriguant, lors de laffaire Frydman, Meyers entre en relation avec Serge Klarsfeld, « le chasseur de nazis » comme on lappelle, qui a fait cause commune avec le même Frydman. Puis, en février 1995, quand André Bettencourt quitte la présidence de LOréal dans un geste dapaisement, Meyers accède immédiatement au directoire en devenant vice-président du groupe. Comment ne pas voir là le résultat dun compromis ? « Vous remplacez Bettencourt par un homme de notre communauté et nous nous taisons ! » Dans le document sur Schueller, auquel nous faisons référence plus haut, la Ligue de Défense Juive (6) va jusquà dire : « Y aurait-il une dimension juive dans la brouille entre la mère et la fille ? » Poser la question revient à y répondre, confortant nos soupçons. Ceci apparaît dautant plus grave que dautres questions, aux réponses tout aussi évidentes, amènent à soupçonner une machination. Comment croire, en effet, le majordome, une secrétaire et un chauffeur de Mme Bettencourt se livrant simultanément à de graves révélations sans y avoir été invités par quelquun ? Comment croire encore que, dénonçant ou calomniant leur ancienne patronne et, pour cette raison, prenant le risque de ne plus jamais trouver de travail dans leurs métiers, ces anciens employés naient pas bénéficié dun « dédommagement » ? En dautres termes, nous sommes en droit de soupçonner leurs trahisons intéressées et sollicitées. On sétonne enfin de laccumulation de révélations déversées dans un temps aussi réduit, contre Woerth et Mme Bettencourt, comme si tout cela était dans un tiroir, prêt à la livraison aux médias. À lÉlysée, pour une fois, on semble avoir pris la dimension du danger. Dans cette affaire, donnant la préférence à sa mission de défenseur de la France au détriment de ses empathies, Nicolas Sarkozy a défini les limites des camps : dune part celui de Mme Bettencourt, pour un LOréal restant français avec le soutien du gouvernement. Dautre part, celui des attaquants, de lintérieur ou de lextérieur, auxquels il faut bien reconnaître des liens avec une certaine communauté juive. Ceci explique les attaques lancées contre Woerth. Par ses anciennes positions de grand argentier de lUMP et de ministre du Budget, il est le maillon faible, sujet à tous les soupçons. Quand la France est en jeu, les divergences dopinions doivent soublier.
(1) Le CSAR (Comité secret daction
révolutionnaire), ainsi dénommé à
la suite dune faute commise par un informateur, sappelle
en réalité lOSAR (Organisation secrète
daction révolutionnaire). |
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