POURQUOI SARKOZY
VEUT-IL LA PEAU DE VILLEPIN ?

novembre 2009

Nous ne reviendrons pas sur le procès Clearstream avant la sentence du tribunal. Dans nos écrits précédents, nous avons dit ce que nous savons et qu’il convenait d’en penser. À écouter les relations des débats et du réquisitoire, nous n’avons rien à ajouter, sinon à répéter que toute cette affaire n’est qu’une manipulation orchestrée de l’étranger pour assurer l’élection de Nicolas Sarkozy à la tête de la France. Nous avons obtenu confirmation de cela d’une source que, par courtoisie, nous devons garder celée.

À la lecture de « La Cité des hommes », livre écrit par Dominique de Villepin et publié au mois de juin chez Plon, on comprend les chances de Sarkozy bien maigres face à un tel concurrent. D’un côté on voit agitation, inélégance et petites combines pour se mettre en valeur. De l’autre, calme et prestance, convenant à la fonction, et des idées sur le destin de la France. Si nous restons réservés pour quelques-unes de ces dernières, nous apprécions néanmoins l’équilibre qui se dégage du livre.

S’il reste fidèle à lui-même, Villepin pourrait donner aux Français l’occasion de se réconcilier autour d’un projet commun. Pour la France et non pas au service de puissances étrangères.

 

« L’histoire est de retour. Nous sommes à l’aube d’une de ces grandes crises qui façonnent depuis toujours la condition des hommes », commence Villepin dans son livre aux allures de manifeste politique.

Parlant des évolutions multiples auxquelles nous sommes confrontées, sur le plan international, avec la montée de la Chine, ou technologiques, avec la mondialisation (1), il dit : « Il faut exercer notre regard à saisir toutes les promesses de ces transformations. Chaque crise a ses vertus, à commencer par l’obligation de nous remettre en question. Elle nous donne l’occasion de nous débarrasser des habitudes acquises, des facilités de l’indignation et de l’assèchement du sens critique ».

En clair, il nous invite non à nous laisser, nous lamentant, partir à la dérive de la mondialisation, mais à prendre le gouvernail, pour tracer la route, si l’on peut dire, du bateau France. « Car tout est à reconstruire, mais rien ne peut l’être sans des principes fondateurs », pour lesquels il nous donne quelques pistes.

Commençant par les causes de la crise, certes, il prendrait des risques en allant aussi loin que nous (2). Il n’en désigne pas moins la cause structurelle : « la dérégulation financière et la disparition des grands monopoles publics », obtenus des pouvoirs publics américains par les banquiers. Résultat, « Notre économie-monde avance de bulle en bulle » financière, comme nous l’avons décrit (2). Résultat, « c’est la mondialisation même qui est en crise ».

Cette mondialisation, encore une fois rien à voir avec le mondialisme, c’est l’océan sur lequel flotte notre navire. Nous avons intérêt de calmer la fureur des eaux et, à cette fin, à nous entendre avec les autres pays de la planète.

Or, « aujourd’hui, non seulement l’Occident perd le monopole du pouvoir, mais sa vision même de la modernité est discréditée ». Il y a à cela au moins une raison, « le triomphe de l’individu annoncée par la modernité (ou plutôt la nôtre) et incarné par les libertés fondamentales autant que par la démocratie libérale est remis en cause. Liberté limitée à l’intérêt, égalité factice, fraternité moquée. Et si la dissolution de toutes les solidarités réelles empêchait, en fin de compte, l’émancipation de chacun ? Ses désirs personnels satisfaits, l’individu découvre le vide du monde sans « nous » ». Voilà une remise en question de nos choix de société à laquelle nous adhérons sans hésiter, tant elle stigmatise le principal travers de notre pays.

A propos du capitalisme, « ceux qui blâment les méfaits de l’argent et le goût du lucre, dit-il, s’en prennent en réalité à l’ensemble de l’économie de marché, aussi vieille que les marchands et plus ancienne que le capitalisme ». Ce dernier est irremplaçable, mais il faut l’encadrer par « des mécanismes de régulation plus stricts ». Villepin prône « un capitalisme de l’alliance, entre justice sociale et liberté individuelle », liberté que nous appellerons liberté d’entreprendre.

Puis, au « tout penser à l’américaine », il répond : « Il n’y a pas de modèle économique global capable de s’imposer sur la planète ». On est loin du mondialisme. Le projet idéal de Villepin, c’est bien la mondialisation sans le mondialisme.

Il enfonce le clou : « Accompagner la rencontre des civilisations, c’est aussi éviter leur écrasement dans un moule unique au nom d’une culture commune ». Quant il parle de « gouvernance mondiale » il n’évoque pas un gouvernement centralisateur, mais la rencontre des États au sein des Nations Unies réorganisées.

Encore pour faire face, nos États, la France d’abord, doivent-ils se donner les moyens d’affronter les conditions de la compétition. Au détour d’un chapitre, nous lisons : « Les systèmes administratifs doivent être refondus pour leur donner la souplesse et l’efficacité dont ils ont besoin ». Nous apprécions qu’un haut fonctionnaire mesure le poids des lourdeurs administratives qui asphyxient nos pays développés.

En matière de politique étrangère, en ancien diplomate, plutôt que de vouer aux gémonies les puissances émergentes, l’Inde, la Chine, le Brésil, ou en réémergence, comme la Russie, il invite à engager le dialogue avec elles. A tenir compte des évolutions en cours plutôt que de les refuser ou, pire, de les attaquer de front.

de Villepin aux Nations-uniesPour donner du poids à son analyse, il dispose d’une belle référence, l’Irak. Il ne plastronne pourtant pas. « La guerre en Irak, en 2003, rappelle-t-il, demeure une erreur fondamentale parce qu’elle a conduit au reniement ponctuel des valeurs d’une grande démocratie, qu’elle a entraîné l’Irak dans une déstabilisation durable entre ses différentes composantes, sunnite, chiite et kurde, et enfin parce qu’elle a terni l’image de l’Occident dans la région et dans le monde. Guantanamo et Abou Ghraib pèsent durablement sur la légitimité américaine ».

Il ne craint pas de dénoncer les dangers : le réarmement de la Russie, la montée de la puissance militaire de la Chine. Il n’en désigne pas moins, avec courage, la cause principale des tensions dans le monde musulman. « Le conflit israélo-palestinien, ose-t-il, reste la clé de voûte de la paix au Moyen-Orient ».

Il se fait même l’avocat objectif de ce peuple, certes imparfait, mais rendu victime du fait des excès de ses voisins israéliens. « Peut-on reprocher aux Palestiniens, lit-on, de ne pas disposer d’un gouvernement capable d’assumer des pourparlers de paix ? Ils n’en ont plus les moyens, vivant au jour le jour, dans un désespoir grandissant, dans des espaces confinés et cloisonnés à l’extrême. Il manque aussi chez les Israéliens, une direction politique capable d’assumer la paix, en raison d’un système politique bloqué par le vote à la proportionnelle, la surenchère communautaire et la radicalisation nationaliste ou religieuse ».

Il insiste, quelques lignes plus loin, qualifiant l’approche de l’Europe et des États-Unis du conflit israélo-palestinien de symbole du « double langage occidental ».

Sur l’Europe non plus, Villepin ne pratique pas la langue de bois. Européiste, il n’en dénonce pas moins les tares de la machinerie de Bruxelles. L’Europe, reconnaît-il, affronte « une crise de légitimité... C’est la rançon des incompréhensions accumulées par les institutions européennes. Elles paient un déficit de lisibilité et de visibilité... Un déficit démocratique, également, car les citoyens européens ont la conviction d’institutions éloignées de leurs préoccupations, au fonctionnement technocratique et opaque... »

Certes, il faut se méfier des envolées lyriques de Villepin : elles peuvent cacher des aveuglements. Par exemple quand il s’exclame, comme inspiré, pour dire : « L’Europe n’est pas seulement un territoire mais un destin ».

Il y a néanmoins aussi du bon sens dans cet homme. Il écrit : « Rejoindre le commandement intégré de l’OTAN était un contresens... car de fait, nous soutenons une évolution dangereuse de l’OTAN dans l’ordre mondial... l’OTAN s’est muée, après l’effondrement du pacte de Varsovie, en une ligue armée des démocraties et, de plus en plus, en un gendarme du monde assurant des opérations de maintien de la paix à la place des Nations Unies ».

Il insiste du reste sur le rôle de l’Europe, « principale puissance économique mondiale (qui) représente 30% de la production globale ». Il reprend plus loin : « Une défaillance européenne continue perpétuerait un déséquilibre majeur laissant la seule responsabilité de l’avenir au duopole États-Unis/Chine ».

Il en faudra plus pour faire de nous des européistes convaincus. Néanmoins, il faut peser les choses et surtout disposer de garanties concernant l’indépendance de la France. Villepin est-il prêt à les donner ?

En tout cas, nous lisons sous sa plume à propos de l’indépendance des États : « Si leur souveraineté doit prendre en compte des contraintes lourdes et nombreuses, leur légitimité appuyée sur des identités fortes est plus nécesaire que jamais... Beaucoup de pays redoutent leur dilution dans une Europe élargie soumise aux directives de Bruxelles. Les institutions européennes doivent garantir l’écoute et la juste représentation de toutes les identités pour asseoir leur crédibilité ».

Il y a en tout cas chez cet homme plus de passion pour la France, plus de réflexion et moins de rigidité que chez un autre. Pour la première fois depuis longtemps, si l’occasion s’en présentait, il conviendrait peut-être, pour toutes les tendances de la droite, de se demander s’il n’est pas un candidat possible pour diriger le pays. Il faudrait, certes discuter certains points, pour éviter des dérives par trop européistes, mais le débat semble possible.

 

Notes

(1) Nous rappelons à nos lecteurs la différence entre la « mondialisation », liée au développement des moyens de communication, et le « mondialisme », une théorie politique tendant à inféoder les nations à un gouvernement mondial aux mains des banquiers. La première est incontournable. Le second, un choix.
(2) Voir notre article
« Les faiseurs de crises » .

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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