LA GRÈCE
L’homme malade de l’Europe

mars 2010

On se souvient, au XIXème siècle, quand Palmerston, ministre britannique, appela l’Empire ottoman « l’homme malade de l’Europe ». Cette expression nous semble mal appropriée dans le cas du pays des Turcs, car avoir un pied en Europe ne fait pas de vous un Européen. En revanche, elle convient pour désigner la Grèce actuelle, frappée par une crise multiforme.

Le 11 février, les 27 chefs d’États de l’Union européenne se réunissaient à Bruxelles pour décider de la conduite à tenir à l’égard de la Grèce submergée par sa dette.

Les Européens ont alors promis un soutien politique. A son retour à Athènes, Georges Papandréou, le Premier ministre grec, ne faisait pas secret de sa déception. Il voulait de l’argent. Finalement, ce n’est qu’indirectement, par le journal allemand « Der Spiegel », que l’on saura les pays de la zone euro prêts à verser une aide de 20 à 25 milliards d’euros à la Grèce.

Aucun rapport avec une quelconque forme de générosité. Simplement les milieux politiques paniquent, car la situation de faillite de la Grèce affaiblit l’euro, menace de s’étendre à l’Espagne et au Portugal, puis d’augmenter les effets de la crise économique dans tous les pays partageant la monnaie unique.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Tout d’abord, il faut voir dans cette affaire l’effet mécanique de l’instauration de l’euro. Désormais, la banque centrale d’un pays ne peut plus jouer sur la valeur de sa monnaie, en la dévaluant par exemple, pour réduire la pression de sa dette intérieure. Tous les pays, y compris les plus pauvres, sont obligés de vivre sur le même pied que les plus aisés. Or, à vouloir vivre au-dessus de ses moyens, on finit toujours par se ruiner.

Encore l’adoption de l’euro n’aurait-elle eu qu’un effet réduit sans une accumulation de comportements inconscients, voire malhonnêtes.

Papandréou, de retour aux affaires depuis octobre 2009, n’a pas manqué d’attribuer la responsabilité de la faute à son prédécesseur, le conservateur Costas Caramanlis, avant d’ajouter : « Certains dans l’Union européenne tentent de se dédouaner de leur responsabilité, qui était de mettre en garde le précédent gouvernement ».


Même s’il occulte la responsabilité grecque, il n’a pas tort. Pour faire entrer la Grèce dans la zone euro, en 2001, la Commission européenne était prête à tout. Y compris à fermer les yeux sur les irrégularités d’Athènes. En 2000, quand les Grecs annonçaient un déficit public de 2% (1), celui-ci était en réalité de 4,1%. L’année suivante, il n’était pas de 1,4%, mais de 3,7%. Mieux, en 2004, il atteignait 5,3% quand les comptes le disaient contenu à 1,2%.

Un particulier se retrouverait en prison pour moins que ça. Pas les ministres d’un gouvernement. Pire, on ne peut pas nous faire croire la Commission ignorant ce qui se tramait puisqu’elle autorisait les opérations qui permettaient le camouflage avec la complicité des banques de Wall Street (2).

On appelle cette carambouille la « titrisation » des dettes. On met la créance dans une enveloppe et on la transforme en actions cotées en bourse. Dès lors, vous n’avez plus des dettes, mais un portefeuille de valeurs mobilières. Cela fait plus chic et, surtout, permet à certains pays de dissimuler leur déficit.

La banque new-yorkaise JP Morgan le faisait pour l’Italie. Goldman Sachs (3), sa concurrente quelques pâtés de maisons plus loin, rendait ce service à la Grèce. Pour cette affaire, Goldman Sachs a reçu une commission de 300 millions de dollars des Grecs. L’opération était conduite par Antigone Loudiadis, une employée de la banque américaine passée au rang d’associée. En échange, la Grèce a renoncé à percevoir les taxes d’aéroport, les recettes du loto et quelques autres revenus qui permettent aux États de boucler les fins de mois. Une manière de vendre ses bijoux de famille.

Mais il fallait du « cash » ! C’est l’Europe qui y pourvoyait en multipliant les subventions. Nous avons évalué à 6,2 milliards d’euros les avantages financiers consentis par la Commission à la Grèce pour la seule année 2008 (4).

Afin d’être éligible pour les subventions,le pays d’Ulysse se croyait tout permis. Par exemple, comme certaines régions italiennes, elle créait des programmes culturels spécifiques pour bénéficier de fonds régionaux (5).

Depuis leur entrée dans l’Europe, les Grecs, jusque-là l’un des peuples les plus pauvres d’Europe, ont fait exploser leur niveau de vie. Le salaire mensuel moyen des fonctionnaires, de 1350 €, dépasse de 250 € celui du privé et leur est versé sur la base de 14 mois. Sans parler des primes qui peuvent doubler le revenu. Or, la fonction publique n’est pas résiduelle en Grèce : 32% des salariés sont en effet des fonctionnai-res. De plus, de tous les pays de l’OCDE, les Grecs sont les plus jeunes à prendre leur retraite : 58 ans (6).

A côté de tout çà, la fraude fiscale à grande échelle est devenue un sport national. D’après la Banque mondiale, un tiers de l’économie échappe à la comptabilité de l’État. De leur côté, industriels, avocats, architectes et per-sonnalités des quartiers chics « déclarent des revenus annuels de 10 000 € », affirmait Takis Theodoropoulos dans « Le Figaro » du 11 février.

Aussi, quand mis au pied du mur, le gouvernement annonce un plan d’austérité pour obtenir des aides de l’Europe, c’est la colère : le 24 février, 50 000 manifestants sont descendus dans les rues d’Athènes. Mais il y a plus grave : on assiste à la multiplication des attaques terroris-tes de l’extrême-gauche et des raids anarchistes contre les symboles de l’autorité. Les coyotes attaquent toujours les bêtes malades.

 

Notes

(1) 2% du produit intérieur brut ou PIB. En clair, 2% de la richesse produite en un an.
(2) La rue des banques de New York.
(3) Dans les numéros précédents de l’Échelle des Valeurs, nous avons souvent évoqué sa responsabilité dans la crise financière.
(4) La contribution de la Grèce s’élevait à 2,3 milliards d’euros et elle a reçu 8,5 milliards de subventions. Elle est la plus grande béné-ficiaire des aides européennes par habitant.
(5) Mémoire de Sabine Longin Dimanche.
(6) Les Norvégiens, les moins bien partagés, ne bénéficient de la retraite qu’à 67 ans.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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