Cette analyse, rédigée par Denis Gorteau, comme d'autres parfois publiées par le " Centre de Recherche s sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001, " n'exprime pas en tout notre pensée. Néanmoins, dans le contexte de pessimisme cultivé autour de la question israélo-palestinienne, nous avons cru utile de diffuser un texte portant une note d'espoir. Il faut aussi remarquer, qu'en dépit des messages bellicistes relayés avec délectation par des médias occidentaux, d'autres communications véhiculent une certaine modération. La revue de la presse israélienne, rédigée par l'Ambassade de France, disait le 30 janvier 2006 citant le journal israélien " Yediot " : " Le Hamas comprend bien qu'aucun gouvernement palestinien ne peut se permettre de refuser toute collaboration avec Israël... " Plus loin, on lisait que, " de son côté, le " Haaretz " (autre journal israélien) cite Moussa Abou Marzouk, adjoint de Mashaal (Mechaal) et représentant de la branche politique modérée du Hamas, déclarant dans une interview à un journal proche du Fatah que " son mouvement n'entrera pas en conflit avec Abou Mazen (chef de l'Autorité palestinienne et successeur de Yasser Arafat) si ce dernier décidait d'engager des négociations avec Israël... " " Plus bas, le service de presse de l'Ambassade de France précisait : " On note enfin un mot d'ordre lancé hier par le mouvement du Hamas à ses dirigeants dans les Territoires (occupés) " de mettre fin aux déclarations extrémistes faites aux médias sur les intentions du Hamas, " " d'après le " Haaretz ". Alain
Chevalérias,
consultant
au |
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Comme les problèmes de santé d'Ariel Sharon, la victoire électorale du Hamas aux élections législatives palestiniennes a agité le microcosme des commentateurs de l'information. Emporté par l'inflation éditoriale, courante quand il s'agit du Proche-Orient, ces deux événements ont été qualifiés de " chocs. " Néanmoins, pour importants qu'ils soient, ils s'inscrivent dans des dynamiques plus générales qui transforment la région depuis la fin de la Guerre froide. Pas plus que les accords d'Oslo n'étaient synonymes de paix, la victoire du Hamas n'est synonyme de guerre. Présentée comme une " organisation terroriste " par les media occidentaux (1) , le mouvement de la résistance islamique n'est pas seulement la caricature qui arrange les bellicistes américains et sionistes. Parti de masse armé, réseau humanitaire, branche palestinienne des Frères musulmans, le Hamas est à la croisée des chemins. Ni groupe terroriste, ni mouvement " démocratique " à l'occidental, il incarne plus que tout autre parti islamiste un désir de modernisation politique dans un contexte d'occupation coloniale et d'impasse de la lutte armée.
La victoire électorale du Hamas n'est surprenante que par son ampleur. Dans des conditions régulières d'organisation (2), le parti islamiste palestinien ne pouvait que l'emporter largement. En effet, à travers les élections,
le Hamas récolte les fruits d'une implantation profonde
de ses réseaux dans la société palestinienne.
Présent avant son existence légale dans tous les
secteurs de la société depuis la fin des années
60, organisation de masse réunissant toutes les classes
sociales de Palestine, il a occupé le terrain social et
politique laissé vacant par les partis nationalistes historiques
regroupés au sein de l'OLP (Organisation de Libération
de la Palestine). De manière significative, au début de la seconde Intifada (en septembre 2000), les Israéliens ont préféré diriger leurs coups sur le Fatah, de Yasser Arafat, et épargner le Hamas. Bien implanté dans la société depuis la fin des années 80, incarnant la nouveauté et l'honnêteté face aux errements du Fatah, le Hamas a aussi travaillé à redorer son image à l'occasion de la campagne électorale : communiquant de façon moderne, présentant comme candidats des femmes et des membres de la société civile, il a éviter de menacer trop ouvertement Israël et a respecté la trêve militaire qu'il a unilatéralement déclarée il y a plus d'an an (4). Il faut aussi rappeler que les dirigeants les plus durs de cette organisation ont tous été abattus par les services israéliens. C'est le cas du guide spirituel de l'organisation, le Cheikh Yassine, et de son successeur politique, Al-Rantissi en 2004.
Force est de constater que les partis islamistes appartenant aux Frères musulmans, comme le Hamas, sont tous engagés dans un essai de mutation sociale pour faire face à deux problématiques: l'ingérence de l'Occident en général, des Etats-Unis en particulier, dans la sphère arabo-musulmane et la nécessaire modernisation des sociétés musulmanes. En effet le féodalo-conservatisme des wahhabites (en Arabie Saoudite) ne saurait apporter de réponses satisfaisantes. Ainsi, dès les années 30, à sa création, l'organisation des Frères musulmans a tenté, dans le cadre coranique, de proposer des solutions nouvelles. Or, n'oublions pas, le Hamas est né de la fusion de la structure des Frères musulmans égyptiens implantée à Gaza et de celle des Jordaniens présente en Cisjordanie. Il développe discrètement ses activités dans les années 70, se donnant l'apparence d'une association à finalité caritative et ne se mêle pas, du moins en apparence, des affaires politiques. Plus ou moins en relation avec les grands propriétaires terriens palestiniens, il incarne alors, et paradoxalement, un conservatisme social distant de l'action politique, encore plus de la lutte armée. Israël voit alors d'un oeil favorable le développement de ces réseaux islamiques par opposition aux groupes nationalistes, comme le Fatah, ou marxistes, comme le FPLP. Mieux, l'Etat hébreu donne un coup de pouce au Hamas, comptant ainsi affaiblir l'OLP (Organisation de Libération de la Palestine) sous contrôle de Yasser Arafat. Le Hamas passe alors pour une organisation pacifique. Pour certains cela relève du double jeu. A ses origines, en effet, le Hamas paraît si hostile aux actions armées, qu'il se démarque des premiers attentats, commis par un autre groupe islamiste, le Djihad islamique. Il faut attendre la première Intifada, révolte partie de la frange de population la plus jeune, aucunement appelée par les organisations politiques, pour assister à une mutation de la stratégie du Hamas. Sous l'influence de cheikh Yassine, le Hamas effectue alors un virage politique à 180 degrés : en 1987, il se donne officiellement le nom actuel de Hamas, acronyme de "mouvement de la résistance islamique " et se lance dans l'élimination des Palestiniens collaborateurs d'Israël puis dans la lutte armée. Pourtant, tout intégriste qu'il est, le Hamas ne s'en prend pas physiquement aux Palestiniens chrétiens ou communistes. De la fin des années 80 à la seconde Intifada, le Hamas va être le fer de lance de la résistance à l'occupation et porter des coups directement en Israël en multipliant les attentats-suicides. Politiquement et militairement, les combattants du Hamas (regroupés dans la brigade Ezzedine al-Qassam, du nom d'un Frère musulman tué par les Britanniques dans les années 30), prennent la place des groupes armés du FPLP et du FDLP qui avaient été les plus actifs dans les années 70. Cependant, s'il n'hésite pas à viser des civils israéliens, le Hamas refuse de lancer des attaques hors de la Palestine historique définie par le territoire du mandat britannique. A l'opposé des groupes nationalistes et marxistes qui recoururent à cette forme d'attaques dans les années 70. La charte du Hamas de 1987, non modifiée depuis, traduit clairement le virage des islamistes palestiniens qui, derrière des références multiples à l'Islam, à Allah et au prophète, placent la résistance nationale au premier plan de leurs préoccupations. Dans cette lutte de libération, c'est le peuple en entier qui est mobilisé. La femme n'est pas oubliée, même si sa participation relève moins du domaine militaire que l'homme. Il est même précisé dans la charte qu'une " femme n'a pas à demander à son mari l'autorisation de sortir de chez elle pour lutter contre l'occupant. " Se référant aux valeurs traditionnelles de l'Islam, le Hamas tente, comme les autres Frères musulmans, de susciter un " conservatisme dynamique, " à même d'associer les références ancestrales liées à l'identité et, par souci d'efficacité, les techniques modernes de lutte. Aujourd'hui, les élus islamistes du Hamas vont devoir gérer une partie du pouvoir laissé à l'Autorité palestinienne. Ils devront aussi conserver leurs références islamo-bellicistes pour ne pas se désavouer. Néanmoins, face aux défis politiques qui les attendent, ils seront forcés à la modernité. La lutte armée, en outre, semble quelque peu dépassée parce que contreproductive. Elle est meurtrière pour l'organisation et donne des arguments à l'adversaire. Le Hamas de ce début du XXIème siècle, croyons-nous, a tiré la leçon de son expérience. Si la résistance militaire à l'occupation est une étape à leurs yeux incontournable, elle ne saurait suffire pour atteindre l'objectif essentiel, la création d'un Etat palestinien. C'est ce poids de la réalité en Palestine qui a poussé le Hamas à une certaine " modération " se traduisant dans les faits par l'acceptation du jeu politique. En clair à une adaptation à la nouvelle réalité israélienne.
Comment expliquer le changement de position d'Ariel Sharon ? Criminel de guerre des années
50 et 80, le général Sharon a réprimé
sans retenue la seconde Intifada. Il a isolé Yasser Arafat
avant de décider unilatéralement de se replier
de Gaza et d'accepter l'idée d'un Etat palestinien
Si l'ampleur de ce dernier geste doit être relativisé,
force est cependant de constater qu'Ariel Sharon est devenu la
cible du Likoud et des groupuscules ultra-sionistes les
plus radicaux, mouvance qui l'avait pourtant plébiscité
lors des élections. L'objectif de ce néo-sionisme, renonçant au " Grand Israël " dans ses frontières bibliques, est de sanctuariser l'Etat hébreu en le séparant physiquement de ses voisins arabes. Sharon et ses experts ont bien
compris que la population israélienne avait déjà
fait le plein. En effet, les juifs de la diaspora qui ne se sont
pas installés en Israël ne le feront sans doute jamais.
Par ailleurs, ils seront d'autant plus découragés
d'immigrer dans l'Etat hébreu que la paix ne régnera
pas dans le pays. Ce constat ne fait pas de Sharon un altruiste ou un pacifiste, mais comme le Hamas en Palestine, il aura fini par admettre que la guerre se saurait régler le problème israélo-palestinien. D'où une offre de trêve relative mais réelle. La marche du réalisme pragmatique,
même sur fond de déclarations fracassantes, remonte
au début des années 90, quand l'OLP a renoncé
à l'éradication de l'Etat d'Israël et que
certains Sionistes ont réalisé que l'élimination
des cadres de l'OLP n'avait pas empêché la première
intifada. La victoire du Hamas, comme la popularité du nouveau parti de Sharon, ne sont donc ni des mauvaises nouvelles ni des surprises. Au contraire, décidés à mettre un terme à leur divorce, les deux peuples et leurs représentants élus n'ont sûrement jamais été aussi près d'une trêve de longue durée et de vrais accords de " coexistence pacifique."
1-Comme les Etats-Unis, l'Union Européenne a
inscrit le Hamas sur la liste des organisations terroristes en
2003. |
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