L’AUTISME
POLITIQUE D’ISRAËL

juin 2010

Le 31 mai, l’attaque d’une flottille désarmée par l’armée israélienne a fait couler beaucoup d’encre. Tout a été dit sur cette affaire. Inutile d’en rajouter, sinon pour rappeler que, si Israël a répondu avec excès, il y a eu néanmoins provocation du côté de la Turquie. En outre, la mort de neuf des passagers de l’un des bateaux a soulevé une désapprobation unanime : jusqu’aux États-Unis, où Barack Obama a dénoncé le comportement d’Israël. Les Israéliens comprendront-ils leur pays ayant dépassé « la crête de tolérance » ? Comme sur une montagne dont on a franchi le col, il est passé sur l’autre versant. Au fur qu’il descend, il va essuyer de plus en plus de critiques et, conséquence logique, de difficultés dans ses relations avec le reste du monde. Si l’on s’en tient aux propos d’Eitan Haber, du journal israélien « Yedioth Aharanoth », pour le malheur de tous il faut craindre la grande majorité des Israéliens atteinte « d’autisme politique ». C’est à l’honneur de ce journaliste d’oser parler.

Nous traduisons ici tout l’article d’Eitan Haber, publié dans le «Yedioth Aharanoth » du 13 juin 2010

« Nous avions l’habitude de penser, et beaucoup d’entre nous le pensent encore, que nous « sommes les meilleurs du monde ». Voici donc quelques aperçus sur ce sujet.

Après la Guerre des Six jours, en 1967, nous pensions que nous étions la plus puissante des nations du Moyen-Orient et du monde. Déjà, avant, nous avions enlevé Adolf Eichmann en Argentine, secouru plus tard nos otages en Ouganda, tué des archi-terroristes dans leurs lits à Beyrouth, détruit un réacteur nucléaire à Bagdad et, selon des sources étrangères, aussi assassiné un coordinateur du terrorisme dans son hôtel, à Dubaï. Alors, ne sommes-nous pas les meilleurs?

Les albums de victoire, les chants de la victoire et les chefs militaires qui présidaient au triomphe de 1967 nous ont portés à de tels sommets que nous n’avons pas remarqué que les armées arabes se redressaient peu après la Guerre des Six jours, en particulier l’appareil militaire égyptien. Nous ne voulions pas non plus admettre que la Guerre d’Usure (1), de 1968 à 1970, ne se termina pas sur une victoire indiscutable.

Puis vint la surprise du Yom Kippour (2), qui aurait dû nous inspirer une ou deux choses en termes de modestie, suivie de la Guerre du Liban (3), qui fut loin d’une histoire à succès, et qui nous amena à rester dans ce pays pendant dix-huit sanglantes années, pour ne pas mentionner la Seconde Guerre du Liban (4).

D’une certaine manière, nous n’avions pas remarqué que les armées arabes avaient tiré les leçons de chaque guerre et trouvé des solutions pour contrebalancer la super puissance des Forces de l’armée israélienne : des groupes anti-chars contre notre force blindée, des missiles pour faire face à notre aviation et des attaques contre notre population civile.

Nous étions habitués à penser que les Arabes sont bornés. Bien sûr, pas tous, mais encore à ce jour, nous semblons penser que quelque chose de génétique les empêche d’être aussi intelligents que nous le sommes. Ils sont primitifs, ils s’habillent d’étrange façon et la plupart d’entre eux sont incultes.

Attendant l’appel téléphonique.
Je me souviens combien nous étions abasourdis quand, il y a plusieurs années, nous avons accompagné Yitzhak Rabin pour rencontrer Anwar Nuseibah, un ministre palestinien du gouvernement jordanien. Incroyable, nous a dit Rabin après la rencontre, il parle un si bel anglais ! Quoi, un Arabe, un Palestinien, parlant anglais comme un diplômé d’Oxford, révélant sa connaissance de l’Histoire et utilisant une cuillère pour mélanger le sucre dans sa tasse de thé ? Il y a quelque chose d’anormal dans tout ça.

Nous pensions aussi que les Américains sont des imbéciles. Nous les avons trompés pendant toutes ces années avec des clins d’oeil, espérant qu’ils croiraient que nous avons tout simplement un tic dans l’oeil. Vous, à Washington, vous nous reprochez d’occuper des territoires ? Allons ! Vous refusez Jérusalem comme capitale d’Israël ? Vous nous faites rire. Vous dites que nous inventons de nouvelles définitions et fabriquons des mots pour aller plus loin dans nos projets ? (« Zones de sécurité » (5), afin d’étendre nos implantations, « Terres propriétés de l’État » (6) pour confisquer de nouvelles étendues etc...) Pourquoi est-ce que vous ne bombardez pas la table pendant que vous y êtes ?

Nous pensions que nous avions tous les droits après l’Holocauste et les six millions de morts. Le monde n’était-il pas silencieux quand nos grands-parents étaient brûlés ? Alors le monde doit payer. Nous méritons ce qu’il y a de mieux.

Comment n’avons-nous pas compris que ces temps derniers, la mémoire de l’Holocauste allait pratiquement s’évaporer des couloirs de la politique mondiale ?

Nous pensions aussi que les grands vainqueurs et les génies que nous sommes n’ont qu’à attendre « l’appel téléphonique », comme le disait notre légendaire ministre de la Défense, Moshé Dayan, après la Guerre des Six jours. Nous croyions que les ennemis défaits supplient toujours pour sauver leurs vies et offrent la capitulation, un accord et la paix. « Nous attendions l’appel téléphonique ».

Nous pensions aussi que nous avions tout le temps sur cette terre. Nous croyions, et nous le croyons encore aujourd’hui, que le temps est de notre côté. Nous avons eu des « fenêtres d’opportunité » : à la chute de l’Union Soviétique, le patron des Arabes ; quand notre ennemi, la Syrie, allait très mal ; quand l’Organisation de libération de la Palestine était en liquidation (7).

Et alors, qu’avons-nous à faire avec tout ça ? Après tout, nous sommes éternels. Nous sommes patients. Nous avons attendu 2000 ans, pourquoi n’attendrons-nous pas un peu plus ? Les Arabes devront venir supplier sur leurs quatre pattes ; les Américains s’effondreront et viendront mendier devant nous ; le monde va apprendre à vivre ».

Eitan Haber

Notes

(1) Contre l’Égypte.
(2) Contre la Syrie et l’Égypte en octobre 1973.
(3) L’attaque du Liban en 1982.
(4) L’attaque du Liban pendant l’été 2006.
(5) Les « zones de sécurité » permettent d’annexer des terrains jusqu’ici admis par les Israéliens dans les territoires palestiniens.
(6) Étant réputées sans propriétaires par les Israéliens, l’État hébreu dispose librement de ces terres. Il faut savoir qu’il n’existait pas de cadastre et peu de titres de propriété dans la Palestine sous mandat britannique.
(7) Il s’agit de la période au cours de laquelle, Yasser Arafat, pour avoir soutenu l’invasion du Koweït par Saddam Hussein, a perdu l’appui des pays arabes, dont le principal pour lui, l’Arabie Saoudite. Les Palestiniens se retrouvaient isolés.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
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