SORTIR DU TERRORISME

Le cas des maoïstes népalais

mai 2008

Fin avril 2008, au terme d'élections difficiles mais régulières, le parti communiste maoïste du Népal (PCN-M) domine l'Assemblée constituante. Obtenant plus de 200 sièges sur 600, les maoïstes jouiront de la majorité relative. Ils pèseront largement sur la rédaction de la nouvelle Constitution dont la principale initiative consistera certainement à abolir la monarchie. La question constitutionnelle n'est cependant pas le seul motif de divergence. Les causes de la guerre civile, qui a coûté la vie à près de 13 000 Népalais, ne sont pas éradiquées, ce malgré le cessez-le-feu accepté par les belligérants depuis deux ans. En outre, comme une menace, plus de 20 000 anciens miliciens maoïstes attendent dans leurs bases l'arme au pied.

 

10 ans de " guerre populaire "

En 1996, au terme d'une période de vive tension politique, le parti communiste népalais se scindait en deux et une faction, dite maoïste, déclarait " la guerre populaire " et attaquait les forces de sécurité de la maison royale, installée à la tête du pays depuis deux siècles et demi.

Carte du NépalTerritoire montagneux accroché aux flancs de l'Himalaya, le Népal dispose de peu de terres cultivables. En outre, coincé entre deux géants rivaux, l'Inde et la Chine, il ressemblait plus à un anachronisme, sujet de curiosité, qu'à un laboratoire de la révolution marxiste.

En fait, la crise éclot au début des années 90. La société népalaise, s'éveillant, demande des réformes démocratiques. Sous pression, le roi Mahendra fait quelques concessions, importantes mais insuffisantes. Aussi, si des élections législatives sont organisées en 1991, favorisant le parti du Congrès proche du pouvoir, la situation dans le pays ne change guère. Aussi, beaucoup de Népalais supportent de plus en plus mal un féodalisme qui ne répond plus aux exigences de l'époque et réclament le développement du pays.

Las des atermoiements du parti du Congrès et de la majorité des communistes, Prachanda, " le Redoutable " en Népalais, de son vrai nom Pushpa Kamal Dahal, prend donc la tête de la révolte, qui s'étend vite à la moitié du pays. Un succès aussi rapide semble à première vue surprenant, quand les maoïstes ne jouissent que d'un faible soutien populaire au Népal et ne sont armés que d'une idéologie en perte de vitesse dans la région. De plus, la communauté internationale apporte un soutien sans nuance à la monarchie, par crainte d'une déstabilisation des pays voisins, l'Inde et la Chine.

Une monarchie à bout de souffle

C'est qu'en dépit de slogans surannés, à la mode de Mao ou de Lénine, le PCN-M réussit à instrumentaliser de larges couches de la population mécontentes de la gestion maladroite du pays par la monarchie. Les femmes, les étudiants, les paysans sans terre, les membres des castes inférieures et les minorités ethniques se sont identifiés à la propagande des maoïstes, les seuls à prendre leurs difficultés et leur marginalisation en compte. S'enrolant dans les " organisations de masse " du PCN-M, ces différentes catégories sociales défavorisées y trouvent le moyens d'exprimer leurs frustrations quand le pouvoir central ne les a jamais pris en considération. Au Népal comme ailleurs l'injustice favorise l'émergence du terrorisme dont use les maoïstes pour déstabiliser le pouvoir.

De plus, comme souvent ailleurs, la répression atteint une telle violence, que bien des Népalais, sans sympathiser au début pour la cause des rebelles, finissent par se sentir solidaires, par réaction contre les excès des forces de sécurité. Ceci d'autant plus facilement que si des innocents souffrent des exactions commises au nom de la " révolution " tout autant pâtissent des méthodes employées par les forces de sécurité.

Mais c'est la monarchie elle-même qui, dans cette affaire, apparaît comme sa pire ennemie. Le vieux roi Birendra est entouré de gens incompétents et sans scrupules. Aussi, en 2001, après le massacre du souverain et de plusieurs membres de la famille royale par son fils aîné, qui se suicide aussitôt, le régime révèle-t-il au monde toute la réalité de son archaïsme et de l'atmosphère délétère dans laquelle il se complait.

Le roi Gyanendra
Si la version officielle de cette orgie de sang ne convainc personne, la monarchie parvient néanmoins à s'accrocher au pouvoir. Le frère du roi, Gyanendra, lui succède. Or, il incarne la tendance dure du pouvoir, autant face aux rebelles qu'à l'égard de l'opposition légale.

On assiste alors à une surenchère de la violence et à un durcissement de la répression contre toutes formes d'opposition. Puis le nouveau souverain manifeste l'intention de revenir sur les réformes démocratiques octroyées par son frère dans les années 90.

Alternant pour leur part cessez-le-feu et offensives, les maoïstes finissent par conclure un accord avec l'opposition légale. En 2005, cette dernière, unissant tous les partis, manifeste massivement dans la capitale, Katmandou, pour dénoncer " l'état d'urgence ".

L'accord politique et les élections

Sans doute sous la pression internationale, le roi finit par rétablir le Parlement, suspendu sur sa décision, et renonce à une grande partie de ses pouvoirs. De son côté, le PCN-M applique les accords signés avec l'opposition légale et ses 20 000 combattants sont regroupés dans des camps en attendant la suite du processus politique. Puis les élections se déroulent, comme nous l'avons vu, en avril 2008.

A la surprise générale les maoïstes arrivent alors en tête et, plutôt qu'un programme révolutionnaire, déclarent ne vouloir que de profondes réformes. Certes on peut craindre une ruse tactique. En outre, le chef du PCN-M inquiétait tout le monde en déclarant récemment qu'il n'avait pas renoncé à la violence. Pourtant, le n°2 du parti déclarait dans le même temps que son organisation souhaitait " développer le capitalisme au Népal ". Pour justifier sa proposition, il expliquait que Karl Marx considérait qu'aucune révolution n'était possible sans un passage préalable du féodalisme au capitalisme…

Bientôt, l'une des dernières guérillas maoïstes de la planète va dominer un Parlement multicolore démocratiquement élu. Outre la forme de la Constitution, on ignore la manière dont les nouveaux responsables du pays vont répondre aux questions essentielles, qu'il s'agisse du modèle économique, des relations avec la Chine, l'Inde ou les Etats-Unis. Espérons que, comme sous d'autres latitudes, le parti communiste népalais saura s'adapter aux nouvelles réalités du monde.

Si c'est le cas, nous aurons alors une démonstration de la manière dont une organisation terroriste, structurée à partir d'une idéologie décalée, peut s'intégrer au jeu politique avec des partis légaux.


Denis Gorteau

 

Nota bene : Animée essentiellement par des trotskistes, l'extrême gauche française est silencieuse à propos des " camarades " du Népal et ses analyses sur le sujet sont rares. Il faut en revanche signaler un livre de l'équipe " Monde indien " du CNRS intitulé, " Le maoïsme au Népal ". C'est un ouvrage collectif publié en 2006, qui donne un bon éclairage historique et anthropologique du Népal.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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