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- Nous reproduisons ici le texte
de l'intervention
- d'Alain Chevalérias sur
le terrorisme.
" UNE MENACE POUR LA PAIX :
LE TERRORISME "
Mesdames, Mesdemoiselles, Monsieur
l'Ambassadeur, Messieurs,
Je tiens tout d'abord à remercier
les organisateurs de ce colloque de m'avoir invité.
Quand on parle de paix, on parle
de guerre. Quand on évoque la guerre, on ne peut éviter
le terrorisme.
Tout d'abord qu'est-ce que le terrorisme
? Une longue démonstration ne trouverait pas ici sa place,
laissez-moi donc aller aux conclusions. Le terrorisme c'est l'attaque
avec des moyens militaires d'objectifs civils. Une limite néanmoins
s'impose, car à réduire ma définition à
ces quelques mots, j'inclurais dans son champ l'action des armées
d'Etats quand elles visent des objectifs civils. La guerre se
verrait alors assimilée au terrorisme et ce mot perdrait
tout sens.
Je limite donc la pratique terroriste
aux groupes armés, non-étatiques, qui prennent
pour cibles des civils. Quand un Etat et son armée se
livrent aux mêmes exactions, je ne parle plus de terrorisme,
mais de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité.
Comportements beaucoup plus graves à mes yeux, car ils
émanent d'entités jouissant d'une reconnaissance
internationale.
Par essence, le terrorisme est la
réponse du faible au fort.
Il a besoin pour naître et
se développer de la rencontre de deux initiateurs : une
idéologie et le sentiment d'une injustice intolérable.
Ces deux initiateurs sont si liés qu'historiquement, jamais
l'un n'a existé sans l'autre. Le sentiment d'injustice
peut-être de faible importance, voire imaginaire. Néanmoins,
plus l'injustice est réelle, plus la violence terroriste
est puissante. L'actualité est là pour le prouver.
Seconde question, comment vaincre
le terrorisme ?
Il est une méthode, préconisée
par certaines puissances. Il suffirait, à les entendre,
d'exterminer les terroristes pour faire disparaître le
terrorisme. J'utilise le mot " exterminer " dans toute
l'acceptation du terme, car dans l'esprit des plus décidés,
il s'agit bien d'éliminer, physiquement, l'adversaire.
Sans faire preuve de sensiblerie,
on perçoit l'aspect inhumain d'une telle pensée.
Mais cette méthode est-elle seulement efficace ?
Quand elle est pratiquée,
on la voit à chaque fois engendrant plus de violence qu'elle
n'en fait disparaître. Cela pour une raison simple : les
propagandistes de la terreur reçoivent la répression
à mort comme un don du ciel, la dureté excessive
de leurs adversaires devenant la preuve tangible de l'injustice
de ces derniers. On entre alors dans une logique attaque, répression,
revanche dont on ne sait plus comment sortir.
Certains pourraient croire mon propos
dicté par la démission.
Qu'ils se rassurent. Il ne fait que
tenir compte des réalités. Si je dénonce
les méthodes de lutte radicales et contre-productives,
je n'en renonce pas pour autant au combat. Je le recommande seulement
équilibré, tenant compte de nos valeurs et, finalement,
efficace.
Pour cela, il faut réintégrer
la notion de terrorisme dans l'espace de la polémologie,
dans la dimension sociologique de la guerre.
Nous avons vu le terrorisme réponse
du faible au fort. Il est par excellence la réponse d'une
opposition face à un pouvoir dominateur, sûr de
son bon droit et disposant d'une puissance écrasante.
Quand le supposé bon droit du plus fort s'accompagne d'un
refus, dans le fond, de négocier, un jour la frustration
des mécontents se transforme en sentiment d'injustice,
puis dégénère en colère. Les propagandistes,
souvent des fanatiques, ont alors les coudées franches
pour recruter.
Voilà pourquoi je crois, pour
combattre le terrorisme, indispensable de s'en prendre aux racines.
De s'attaquer à ses deux initiateurs : l'injustice et
l'idéologie.
Mais peut-on éradiquer l'injustice de toute la terre ?
D'abord, je ne pense qu'aux injustices
majeures. Celles, par exemple, qui spolient un peuple de son
territoire parce qu'un autre peuple s'en est déclaré
propriétaire. Je pense à ceux que l'on a chassés
de leurs maisons pour y installer d'autres habitants. Je pense
encore à ces gens, interdits de jouir d'une égalité
de droits avec le reste des citoyens d'un pays parce qu'ils n'ont
pas la " bonne " religion ou les " bonnes "
origines. A ces citoyens qui portent sur leurs papiers la confession
à laquelle ils appartiennent.
La tâche est énorme.
Elle est aussi indispensable. Du moins si nous voulons la paix.
(Applaudissements).
J'en conviens, il est des cas pour
lesquels la justice s'avère difficile à instaurer.
Quand, par exemple, à travers l'Histoire, cas fréquent,
plusieurs peuples ont successivement habité un même
territoire. La coutume, ai-je compris, donne la priorité
du droit aux derniers occupants. Ceux-ci, néanmoins, seraient
bien inspirés de ne pas nier tous droits aux peuples plus
anciens. Quant aux plus anciens, ils seraient prudents n'en demandant,
ou n'en prenant pas trop. En d'autres termes, ils devraient viser
à un partage équitable du pays plutôt qu'à
se laisser dominer par une conception égocentrique des
choses.
(Applaudissements)
A la fin, si une entente ne parvenait
pas à se dégager entre eux, il reviendrait à
la communauté internationale de trancher, dans un esprit
de justice. Car, les événements nous le prouvent,
quand la violence terroriste surgit dans un point du globe, elle
tend à s'exporter. En d'autres termes, nous sommes tous
les otages du terrorisme et, à ce titre, ne pouvons laisser
personne le provoquer par son injustice.
La réduction des idéologies
pourvoyeuses de terrorisme n'est pas tâche plus aisée.
J'attire d'abord votre attention
sur ce point, parmi celles que nous connaissons le mieux, toutes
les religions ont donné corps à des théories
terroristes. Je dis bien toutes. Toutes les idéologies
politiques aussi, quand elles ont eu la prétention d'être
seules porteuses de vérité et de justice.
Pour cette raison, je crois inapproprié
de vouloir réduire une religion ou une idéologie.
C'est uniquement contre leurs aspects pervers, quand ils peuvent
servir de soutien à une justification du terrorisme, qu'il
faut oeuvrer.
Mais, comment ?
Par la force ?
Ridicule, car l'on tombe alors dans
le travers dénoncé précédemment et
conduisant à l'enchaînement attaque, répression,
vengeance. On sert ainsi les desseins des inspirateurs du terrorisme.
Au passage, on touche là du
doigt l'irresponsabilité, qu'il y a à provoquer
certaines croyances, sous prétexte de liberté d'expression,
quand on n'autoriserait pas la moindre critique contre une autre
religion.
Je crois qu'il faut, aux idées,
opposer des idées. Il faut se servir de la raison. Tâche,
j'en conviens difficile dans une société dominée
par les images génératrices d'émotion. Car
nous ne pensons plus, nous réagissons. La passion exprimée
à grands cris se substitue à la rhétorique,
qui a elle-même disparu de nos manuels scolaires.
Dans ce sens, c'est d'abord dans
nos collèges et nos universités qu'il faut commencer
à combattre le terrorisme. Non en interdisant, mais en
faisant comprendre. Nous jouissons en Europe d'une compétence
particulière en la matière. A condition de ne pas
nous laisser abrutir par des slogans simplistes. A condition
aussi de nous rappeler l'art pédagogique des anciens comme
Socrate.
En outre, contrairement à
ce que certains veulent croire ou nous faire croire, nous avons
dans les classes religieuses de toutes les confessions des personnalités
capables de nous aider dans ce sens. Mais, paradoxalement, trop
souvent, nos dirigeants politiques préfèrent faire
appel aux boutefeux.
Croyez-vous, me diront quelques-uns
parmi vous, que le terrorisme aura ainsi à jamais disparu
de la terre ?
Ne soyons pas naïfs. Je vous
réponds non. Nous l'aurons seulement réduit. Il
existera toujours des Ben Laden ou des Ravaillac. Mais ils auront
plus de mal à recruter des désespérés
ivres de colère. Nous ne pouvons pas espérer une
autre victoire.
Il nous restera alors à gérer
le danger terroriste résiduel avec les moyens policiers,
de renseignement, voire incidemment militaires, dans des proportions
mesurées. Privilégiant alors la réflexion
sur les comportements intempestifs, nous éviterons les
pièges dans lesquels nous nous sommes fourvoyés
à travers le monde.
Je vous remercie.
(Applaudissements)
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