LE SÉNÉGAL
UN EXEMPLE POUR L’AFRIQUE

mars 2012

Le 26 février, les Sénégalais en ont décidé : lui qui se disait sûr d’être réélu avec au moins 53% des suffrages, Abdoulaye Wade, Président sortant, devra se présenter au deuxième tour prévu le 25 mars. Au deuxième tour, face à Macky Sall, qui a engrangé plus de 26% des voix au premier tour et bénéficie du soutien des autres candidats, les chances de Wade sont bien faibles. Au Sénégal, les pronostics des pessimistes sont démentis : en dépit des archaïsmes propres au continent et des ambitions personnelles, la démocratie parvient à s’imposer.

Ce qui se passe au Sénégal apparaît comme la réponse des électeurs aux méthodes autoritaires d’Abdoulaye Wade. Après deux mandats effectués à la tête du pays, conformément à la Constitution en vigueur, il devait laisser la place. Il a quand même arraché l’agrément du Conseil constitutionnel, gagné à sa cause, provoquant ainsi la colère de la rue et la mort de six à douze personnes.

Tout avait pourtant bien commencé pour cet octogénaire né en 1929. Élu pour la première fois à la présidence en 2000, après pas moins de quatre échecs depuis 1978, il avait travaillé à redresser le pays. Triplant le nombre d’établissements d’enseignement, doublant celui des hôpitaux et parvenant à faire chuter la mortalité infantile, relançant l’agriculture et développant le réseau routier, entre 2000 et 2010, il avait abonné le pays à une croissance annuelle de 4%. Un beau bilan en Afrique !

Mais la nature de l’homme était là. Dominateur, il écrase les membres de son gouvernement de son autorité. En douze ans, il épuise six premiers ministres et une centaine de ministres. Il glisse aussi vers le népotisme. Sa fille, Sindiély, est son assistante spéciale. Son neveu Doudou Wade, est président du parti majoritaire au Parlement. Quant à son fils, Karim, depuis 2009, il occupe les fonctions de ministre d’État chargé de la Coopération, de l’Aménagement du territoire et des Transports. Il occupe là une position centrale, contrôlant la mise en place de l’infrastructure du pays et gérant un budget considérable.

Mais un concurrent de taille fait face au Présidant sortant : Macky Sall. Comme Wade ingénieur géologue de formation, il a été son Premier ministre d’avril 2004 à juin 2007.

Élu alors à la tête de l’Assemblée nationale, et promis à une belle carrière d’apparatchik, il déplaît à son patron quand, voulant faire son travail, il convoque Karim, le fils Wade, pour le faire auditionner sur les travaux de l’ANOCI, l’Agence nationale de l’Organisation de la Conférence islamique, que ce dernier dirige à l’époque. Le geste n’est pas innocent. Beaucoup d’argent venant des pays pétroliers transite par cette structure et la famille Wade est soupçonnée d’en tirer profit.

La sanction ne tarde pas à intervenir. Sur la directive d’Abdoulaye Wade, un amendement est voté par les députés, réduisant la durée de l’exercice de président de l’Assemblée nationale à un an au lieu de cinq ans. Quelques semaines plus tard, en novembre 2009, le mandat de Sall n’est pas renouvelé et il se voit débarqué comme un malpropre. On ne parierait pas sur son avenir politique.

Mais l’homme a du répondant. Il démissionne du parti de la majorité, crée le sien et, aux élections municipales de 2009, prend le contrôle de plusieurs agglomérations et collectivités locales.

Ce 26 février, il a transformé l’essai et s’impose comme candidat au second tour des présidentielles face à Wade. Mieux, il élimine les socialistes du jeu, pourtant concurrents légitimes d’un Président sortant qui les a écartés du pouvoir douze ans plus tôt.

En dépit de l’arrogante candidature de Wade, se rendant massivement aux urnes, les Sénégalais, par leur sérénité, lui ont donné une belle leçon. Ils ont aussi fait la démonstration, qu’en dépit de ce qu’en pensent les pessimistes, la démocratie n’est pas un produit uniquement consommable en Occident, mais un fonctionnement qui s’acclimate sous d’autres latitudes. À condition de ne pas vouloir l’imposer par la force de nos armes, comme en Irak, en Afghanistan ou en Libye.

En 1789, dans les Cahiers de doléances adressés à Paris aux États généraux, les Sénégalais se déclaraient « sujets noirs du roi de France ». Nous pouvons être fiers de ce pays, notre plus ancienne colonie africaine*, qui donne aujourd’hui un bel exemple au reste de l’Afrique.

Note

* Le Sénégal a été occupé par la France de 1659 à 1960.

 

 

 L’Afrique change

Le 7 avril, Dioncounda Traoré rentrait au Mali pour être élevé au rang de chef de l’État par intérim, conformément aux règles en vigueur en matière de vacances du pouvoir.

Sa nomination, suite à un putsch militaire déclaré 15 jours plus tôt et aux pressions de la CEDEAO (1), permet de renouer avec la légalité constitutionnelle.

La rapidité et la fermeté de la réaction des pays de la région, pour le plus grand nombre francophones, méritent d’être saluées. Lentement, gage de pérennité, l’Afrique passe à la démocratie.

Tous les problèmes ne sont pas résolus pour autant et d’abord le principal, le soulèvement touareg.

Le 6 avril, fort de sa demie victoire, le MNLA (2) déclarait l’indépendance du nord du Mali. Premier problème pour lui, tout le monde est hostile à cette initiative : les États, la population du sud du Mali et, semble-t-il, une partie non négligeable des habitants du nord, loin d’être tous touaregs.

Second problème, depuis le 17 mars, l’une des factions du MNLA, Ansar-Eddine, a pris ses distances, affichant son alliance
avec l’AQMI (3) et professant des prises de positions islamistes et radicales.

Résultat, alors que la CEDEAO s’apprête à envoyer une force de 2 000 hommes pour aider l’armée malienne à réduire la rébellion touarègue, le MNLA se voit menacé sur deux fronts.

Quant à Ansar-Eddine, sentant la pression internationale mon-ter, il tend à rassembler tout ce que la région compte d’éléments pervers en recevant le soutien de profiteurs corrompus du régime déchu et de trafiquants de drogue.

A terme, pourrait se mettre en place une alliance objective entre l’autorité malienne et le MNLA. Ce dernier serait alors obligé de se faire plus conci-liant, renonçant à l’indépendan-ce pour l’autonomie.

La situation aurait l’avantage, outre de permettre le retour au calme, de clarifier la donne. On verrait d’un côté la pourriture et, de l’autre, les gens fréquentables.

Notes

(1) Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.
(2) Mouvement national de libération de l’Azawad. Nom du principal front touareg actuellement au Mali.
(3) Al-Qaïda au Maghreb islamique.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

 
 
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