SHAHRAM AMIRI
À " livre des ruses " ouvert

juillet 2010

Début décembre 2009, dans une dépêche AFP datée du 8, les Saoudiens " déploraient " la disparition, quelques mois plus tôt, d'un chercheur nucléaire iranien en pèlerinage à La Mecque. En réponse, les autorités iraniennes accusaient les États-Unis d'avoir capturé l'homme en question, affirmant disposer de preuves allant dans ce sens. Le 13 juillet 2010, la BBC signalait la réapparition d'Amiri à l'ambassade du Pakistan à Washington, ce pays étant chargé de défendre les intérêts de l'Iran en l'absence de relations diplomatiques entre Téhéran et les États-Unis. Enfin, le 15 juillet, Amiri débarquait dans son pays où il était reçu en héros. Il confirmait avoir été kidnappé, quand l'autorité américaine affirmait qu'il s'était rendu librement aux États-Unis. Puis la CIA laissait filtrer dans les journaux américains d'autres informations : Amiri travaillerait de longue date pour eux et aurait reçu cinq millions de dollars pour les informations livrées.
Qui croire ?

Il n'existe pas plus de raisons de croire les Américains que les Iraniens. Ne nous reste qu'à nous appuyer sur les faits, pour répondre aux questions que nous nous posons.

AMIRI S'EST-IL RENDU VOLONTAIREMENT
AUX USA ?

Sans hésiter, nous disons oui pour trois raisons.

1/ Certes les Saoudiens entretiennent des relations difficiles avec l'Iran. Mais, d'une part, ils ont peur des mesures de rétorsions dont ce pays peut faire usage contre eux, comme par exemple les attentats terroristes. D'autre part, livrer un pèlerin, ou laisser les Américains s'en emparer par la force, serait une faute grave au regard de leur éthique religieuse et une erreur sur le plan diplomatique au regard des autres pays musulmans.

2/ À partir du territoire américain, Amiri a envoyé plusieurs enregistrements vidéo publiés sur Internet. Il fallait qu'il soit libre pour effectuer cette manoeuvre.

3/ Pour se rendre à l'ambassade du Pakistan, une fois encore, il devait être libre de ses mouvements.

Or, s'il se trouvait sur le sol américain contre son gré, on peut imaginer que la CIA aurait exercé sur lui une surveillance permanente. En imaginant qu'il soit parvenu à s'en affranchir, demeurait les difficultés pour échapper aux recherches des renseignements américains ou pour se procurer de l'argent et un endroit sûr où se cacher.

Nous arrivons donc à la conclusion qu'Amiri a collaboré de son plein gré avec les Américains, au moins à partir du moment de sa disparition en Arabie Saoudite.

AMIRI ÉTAIT-IL UN AGENT DOUBLE AU SERVICE
DE L'IRAN ?

Pour répondre à cette question, il faut d'abord s'interroger sur la mission dont il aurait pu être chargé. Nous n'en voyons qu'une possible : faire " avaler " aux Américains une désinformation à propos de l'avancement des recherches iraniennes en matière de nucléaire, en se faisant passer pour un transfuge.

1/ Si c'était le cas, rapatriant Amiri chez eux, les Iraniens auraient réduit à néant leur opération, les prétendues informations de leur homme perdant alors toute crédibilité aux yeux des Américains.

2/ Dans un contexte où le cynisme peut servir de ligne de conduite, admettons qu'une fois la désinformation transmise, assassiné par les services iraniens, en apparence soucieux de se venger, Amiri aurait bien mieux rempli sa mission. En outre, dans de pareilles conditions, son meurtre aurait eu l'avantage de faire peur à des concitoyens tentés par la trahison.

3/ En revanche, rapatriant Amiri et l'honorant comme un héros, les Iraniens donnent à penser aux Américains que les informations livrées sont fausses. Raisonnement par l'absurde nous amenant à penser que, décidément, Amiri n'est pas un agent double au service de Téhéran.

AMIRI EST-IL UN AGENT DOUBLE AU SERVICE
DES ÉTATS-UNIS ?

Amiri ne représente un intérêt pour les Américains qu'en raison de son accès supposé à des informations secrètes en matière de recherches et d'applications nucléaires.

1/ Après sa défection, on peut imaginer les autorités iraniennes prudentes. Non seulement elles éviteront de lui ouvrir les portes de secteurs sensibles mais, de surcroît, elles exerceront une surveillance renforcée sur ses mouvements.

2/ Définitivement " brûlé " Amiri se révèle donc incapable de servir les intérêts américains.

POURQUOI AMIRI EST-IL RENTRÉ EN IRAN ?

Si Amiri avait trouvé ce qu'il attendait aux États-Unis, il y serait probablement resté, comme d'autres transfuges du régime islamiste l'ont fait.

Il n'a pas obtenu ce qu'il voulait, sommes nous amenés à penser, parce qu'il n'a pas donné aux Américains ce qu'ils espéraient. Déçu et animé par un désir de revanche, il représentait une proie pour les services iraniens soucieux de le ramener aux pays pour le neutraliser.

ITINÉRAIRE PROBABLE D'AMIRI

Sans doute depuis plusieurs années, Amiri transmettait-il des informations aux Américains.

Profitant d'un pèlerinage à La Mecque, il leur annonce qu'il dispose d'informations importantes. Il les met en appétit et les amène à organiser son transfert aux États-Unis, sachant qu'ils vont perdre un agent à l'intérieur de l'Iran. Il faut donc qu'ils soient bien " appâtés ".

Dans leurs communiqués, les officiels américains nient la présence d'Amiri sur le sol américain. Puisqu'il y réapparaît ensuite on en déduit qu'il était caché par les services eux-mêmes, très certainement par la CIA. " Débriefant " leur transfuge, comme ils disent dans leur jargon, les Américains s'aperçoivent qu'il dispose de beaucoup moins d'informations qu'ils ne le croyaient. Néanmoins, ils le dédommagent et lui assurent de quoi vivre modestement.

Amiri se retrouve livré à lui-même. Sans le pont d'or auquel il s'attendait et réduit à un anonymat ordinaire.

De leur côté, en décembre 2009, les services iraniens, pour le principe et selon leur habitude en cas de défection, accusent les Américains d'avoir capturé Amiri. Puis ils activent leurs contacts et agents aux États-Unis pour savoir où il est.

Sûrs d'eux, convaincus qu'Amiri ne peut plus faire machine arrière et, surtout, ne lui trouvant plus aucun intérêt, les Américains n'exercent aucune surveillance sur lui. Les Iraniens le localisent et le contactent par le truchement d'intermédiaires. Ne reste plus qu'à le convaincre, en lui promettant l'impunité, et a lui faire jouer un scénario conforme aux déclarations de l'Iran au moment de sa disparition.

Le 7 juin 2010, une cassette vidéo est alors publiée par IRIB, la télévision iranienne. Sur cette dernière, Amiri entre dans le jeu affirmant qu'il a été kidnappé et torturé par les services américains. Ces derniers réagissent immédiatement, produisant une autre cassette sur Internet, dans laquelle Amiri se dit décidé à rester aux États-Unis. Ou bien ils avaient réalisé cette dernière avant, ou bien les Américains ont repris le contrôle de l'Iranien quelque temps.

Nous savons le reste : le passage par l'ambassade du Pakistan et le retour à Téhéran.

Furieux d'avoir été joués par manque de précautions, les Américains décident de se venger. Ils dévoilent l'ancienneté de leurs relations avec Amiri. Disent, qu'en 2007, il a déjà participé à la rédaction d'un rapport du " National Intelligence " (Le renseignement national) et qu'ils lui ont remis une enveloppe de cinq millions de dollars. Ils comptent ainsi le mettre en danger en Iran.

Manoeuvre contreproductive. Ils prouvent, en tous les cas, qu'ils n'ont rien compris. Car, ou bien le grand public croit les Iraniens, et les États-Unis passent pour de vulgaires kidnappeurs. Ou il prend pour argent comptant les déclarations de Washington et les Américains ne sont plus à ses yeux que des êtres indignes, exposant un homme, Amiri, aux représailles de l'Iran. Dans les deux cas, ils découragent les transfuges potentiels et, sans le vouloir, servent les intérêts de la République islamique.

Dans le passé, une histoire assez proche s'est déroulée en Irak. En 1995, le général Hussein Kamel avait déserté en Jordanie emportant des secrets d'État, accompagné de son frère, lui-même colonel, et de leurs femmes, par ailleurs toutes deux filles de Saddam Hussein. Rentrés six mois plus tard, en dépit des garanties données par le maître de Bagdad, les deux frères ont été massacrés par la famille de Saddam au cours d'une mise à mort barbare.

Si l'on est plus subtil à Téhéran, où l'on ne tue qu'en cas de nécessité, en dépit de toutes les promesses, Amiri va se voir réduit à une quasi réclusion jusqu'à la fin de ses jours. À moins, éventualité toujours possible, qu'il ne soit réutilisé pour une mission de désinformation initiée par l'Iran.

Les Américains veulent s'essayer à un jeu auquel ils ne connaissent pas grand-chose. Les Iraniens ont sur eux trois mille ans d'existence d'avance et sont passés maîtres en matière de ruses. Voilà bien le drame de nos cousins d'Outre-atlantique : ils sont en ce domaine particulièrement ignorants, mais ne le savent pas !

Alain Chevalérias

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

Retour Menu
Retour Page Accueil