LA GUERRE DE SYRIE
AU LIBAN

mai 2015

Le 9 avril, à Tripoli, venus afin d’arrêter un jeune connu sous le nom de cheikh Khaled Hoblos, les FSI (1) ont été pris pour cible par un certain Oussama Mansour. Ce dernier a été tué.

Dans la presse, on présente ces jeunes gens et leur complice en fuite, Amir El Kurdi, comme des jihadistes. La vérité semble moins manichéenne mais aussi plus inquiétante.

Oussama Mansour
Oussama Mansour- Tripoli- Ansar al ChariaSous l’influence de la guerre civile syrienne, certains quartiers de Tripoli se sont enflammés, chacun prenant parti pour un camp. Ainsi, à Jabal Mohsen, habité par des alaouites, on s’est déclaré en faveur du régime syrien dont le Président et les élites appartiennent à la même confession.

En revanche, chez les voisins de Bab el Tebbaneh, des sunnites, on s’est rangé du côté de l’opposition syrienne largement dominée par ce courant de l’islam. Résultat, des tensions ont éclaté jusqu’à provoquer des affrontements sanglants.

Loin d’arranger les choses, le Hezbollah, soutien inconditionnel du régime de Damas, a fait parvenir des armes aux alaouites de Jabal Mohsen. De leur côté, ceux de Bab el Tebbaneh recevaient un soutien de leurs coreligionnaires du Mouvement du Futur, le parti de Saad Hariri, leader de la communauté sunnite. Les armes, de Bab el Tebbaneh transitaient par les Maaloumat, le service de renseignement du ministère de l’Intérieur sous le contrôle des sunnites de Hariri (2).

La situation risquait de déraper jusqu’à mettre tout Tripoli à feu et à sang, voire de déborder sur le reste du pays. Mais au Liban, on a tiré la leçon de la guerre civile de 1975 à 1990. Si les deux grandes tendances (2) tolèrent les escarmouches, elles les veulent retenues. Au mois de mars dernier, un accord a donc été conclu entre les factions gouvernementales qui parrainent les activistes de Jabal Mohsen et de Bab el Tebbaneh.

L’un des représentants du clan sunnite et de la famille Hariri au sein du gouvernement, le ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk, a été chargé de l’application de l’accord. La tâche lui revenait d’autant plus normalement que, comme nous l’avons vu plus haut, le service de renseignement attaché à son ministère approvisionnait les jeunes de Bab el Tebbaneh en armes.

Il semble néanmoins que le brave homme ait quelque peu franchi la ligne rouge. Il rêve en effet de devenir Premier ministre, poste qui, selon l’usage libanais, revient à un sunnite (3). Pour obtenir le soutien du puissant Hezbollah, il multiplie donc les concessions à l’égard de ce parti. Dans ce but, et une fois encore pour plaire au grand parti chiite, il a donc qualifié les jeunes de Bab el Tebbaneh de terroristes et de jihadistes, puis fait procéder comme nous l’avons vu, à des arrestations de meneurs sunnites. L’affaire apparaissait d’autant plus aisée pour lui que ses services savaient depuis longtemps où se cachaient les jeunes soient disant recherchés.

Ce n’était pas tout. Du même coup, Rifaat Dib, le chef des activistes alaouites de Jabal Mohsen, était exfiltré et mis à l’abri avec l’aide des forces de sécurité. Or, accusation grave, on lui reproche d’avoir organisé deux attentats contre des mosquées de Tripoli. Pour ces attaques, un mandat d’arrêt a même été émis contre lui.


Ville du nord du Liban, Tripoli est habité en majorité de musulmans sunnites


En assumant cette différence de traitements entre les deux camps belligérants, Nouhad Machnouk a suscité la colère des habitants de Bab el Tebbaneh, plus particulièrement des jeunes, qui se sentent trahis par ceux qui les ont incité à se battre.

De manière significative, aux obsèques d’Oussama Mansour, tué comme dit plus haut lors de l’arrestation de Khaled Hoblos (4), une foule impressionnante se massait derrière son cercueil, signe indubitable d’un soutien populaire contre la politique de Nouhad Machnouk.

Les décisions de ce dernier ont des conséquences graves. Les jeunes de Bab el Tebbaneh n’ont pas en tête les subtilités politiques de leurs aînés. Dans une vision binaire des choses, ils ont tendance à se radicaliser. Ce qui veut dire se rapprocher de Daech. Voilà comment, suite à de mauvais calculs, on fait de jeunes gens un peu idéalistes des jihadistes.

Maladroitement, Nouhad Machnouk a essayé de « rattraper le coup ». Il a affirmé avoir reçu un appel téléphonique de cheikh Malek el Chaar, le mufti (5) sunnite de Tripoli, qui l’aurait félicité pour l’opération au cours de laquelle Oussama Mansour est mort. Mais le mufti a nié l’existence de ce coup fil.

Autre écho dissonant, Misbah Al-Ahdab, ancien député sunnite de Tripoli, a déclaré dans la presse : « Il est inadmissible d’accuser quelqu’un de terrorisme juste parce qu’il appartient à la communauté sunnite ».

Si le Mouvement du Futur et Hariri ne savent pas s’amender de ces erreurs, il faut craindre un divorce entre eux et la majorité des sunnites, plus particulièrement à Tripoli, grande ville du nord du Liban où cette mouvance communautaire domine.

On peut s’interroger sur la nécessité d’entrer dans ces détails de la vie politique libanaise. Nous avons décidé de le faire pour donner à nos lecteurs une idée de la complexité du jeu politique de ce pays. Par extension, de sa fragilité et des précautions avec lesquelles il convient d’agir pour éviter le pire.

Notes

(1) Les FSI, ou Forces de sécurité intérieures, sont une sorte de gendarmerie mais dépendante du ministère de l’Intérieur.
(2) Pour faire simple, c’est un gouvernement d’union national qui dirige le Liban. Y dominent deux grandes alliances, celle du « 8 Mars », sur la ligne du Hezbollah, et celle du « 14 Mars », qui suit le Mouvement du Futur de Saad Hariri, que son père Rafic à créé. Depuis plusieurs années, le ministre de l’Intérieur est un notable du Mouvement du Futur.
(3) En revanche, le Président de la République doit être chrétien maronite et le président du Parlement chiite.
(4) Voir dans le chapeau de l’article.
(5) Le mufti est, traditionnellement chez les sunnites, un intermédiaire entre le pouvoir politique et sa communauté.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

 
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