TCHAD-SOUDAN
À LA CROISÉE DES DÉSIRS

Le 13 avril 2006, à N'djamena. Montée sur une soixantaine de camionnettes Toyota, une colonne d'un millier d'hommes armés pénètre dans la capitale tchadienne. Embusqués, les blindés de l'armée tchadienne l'attendent. C'est un massacre. 400 morts, pour la plupart des attaquants. L'attaque est venue de l'est. L'armée française, avec ses 1250 hommes de l'opération Épervier, ses trois hélicoptères Puma et ses six Mirage F1, est intervenue. Uniquement pour fournir des renseignements et, à l'arrière, pour assurer la protection des résidents français. Voilà pour les apparences.


 Mais qui étaient les attaquants ? Le Président Idriss Déby affirme : " 60% des 500 prisonniers sont des Soudanais. Parmi eux, il y a cinquante policiers de Khartoum et plusieurs officiers supérieurs de l'armée soudanaise... " On perçoit l'exagération. Mais Déby parle en connaisseur. Le 1er décembre 1990, avec une colonne de guerriers de sa tribu, les Zaghawas, il renversait Hissène Habré et s'emparait du pouvoir. Il bénéficiait du soutien du Soudan et sait, d'expérience, aucune rébellion ne pouvoir venir de l'Est sans le soutien de Khartoum.

Bien, mais pourquoi cette attaque ? En surface, quelque chose de bien africain. Déby a déçu ses commanditaires soudanais en n'inféodant pas le Tchad à Khartoum. Ces derniers lui en veulent et, en réponse, ont suscité l'agitation dans les rangs de sa tribu. Facile, compte tenu du fait que seul le clan rapproché du Président bénéficie des avantages financiers liés à l'accession au pouvoir.

Résultat, pour beaucoup, ce sont les gens de sa tribu qui ont attaqué la capitale tchadienne, pour eux Déby, le 13 avril dernier. Le Président tchadien est donc de mauvaise foi quand il accuse les attaquants d'être soudanais. Mais les coups tordus ne s'arrêtent pas là car, Déby, de son côté, soutient l'opposition armée du Darfour contre le régime soudanais.

Cependant derrière les querelles africaines, d'autres intérêts se dissimulent.

En 2003, un consortium dominé par les Américains bâtissait un oléoduc pour évacuer le pétrole tchadien vers le Cameroun. Étrangement, le groupe Elf avait cédé ses intérêts sur les réserves pétrolières tchadiennes à ses concurrents d'Outre-Atlantique. On subodore là quelques hautes trahisons de la France au profit d'une puissance étrangère. Elf n'en est plus à son coup d'essai.

Au Soudan, par contre, les Chinois dominent l'exploitation du pétrole dans le sud du pays. Or, on sait leurs besoins énormes et toujours en expansion en raison du développement de leur industrie. Certes, le Soudan ne couvre que 4,5% des besoins de la Chine en or noir et l'Afrique ne représente qu'un quart de sa consommation.

Pékin a donc des raisons de ne pas se contenter du Soudan et de pousser plus loin sa quête de pétrole. En ce domaine, le continent noir offre l'avantage d'une forme de sécurité. Mis à part le Nigeria, il se situe, en grande partie, en dehors de la zone de turbulence islamique. Si la violence allait crescendo au Moyen-Orient, l'Afrique noire apparaîtrait donc comme une zone de production privilégiée hors risque islamique.

Dans ce cadre, le Tchad est attractif. Bien sûr, ses ressources en or noir ne représentent pour le moment que des miettes, moins de la moitié de celles du Soudan. Mais, selon les experts, son sous-sol recèlerait des réserves beaucoup plus importantes. Or, détail d'importance, et comble du mauvais goût aux yeux de Pékin, N'djamena a choisi l'irrédentiste Taiwan , son ennemi juré, pour rechercher le pétrole caché. Voilà déjà une raison pour la Chine, d'être présente au Tchad, celle de supplanter son insupportable concurrent, Taiwan.

Il existe une autre raison. Le Tchad est frontalier du Cameroun. Or, de ce dernier pays, on débouche sur le golfe du Biafra et les nappes de pétrole du Nigeria, du Gabon, d'Angola et du Congo Brazzaville.

Une tentation, pensons-nous, a effleuré l'esprit des Chinois. Aujourd'hui, constatent-ils, les Américains ont le contrôle d'un oléoduc allant du Tchad au Cameroun. Le pétrole est ensuite acheminé par tankers vers les États-Unis. Les Chinois utilisent eux un terminal pétrolier à Port-Soudan, où l'or noir, du sud Soudan, est déversé à destination de la Chine. Ajoutant les tronçons d'oléoducs nécessaires, envisageraient-ils d'inverser le flux pétrolier, aujourd'hui tourné dans la direction de l'Amérique, vers Port-Soudan et, de là, vers la Chine ? Souhaiteraient-ils faire basculer le pouvoir au Tchad pour s'y ménager un gouvernement favorable à leurs projets ? Des rumeurs le disent.

Reste à le prouver. Le colonel Jean-Louis Dufour, officier de l'armée française, affirme néanmoins que la Chine a " financé la cavalcade " des Toyota de l'opération du 13 avril contre N'djamena. De son côté, le 23 avril, le Journal du Dimanche affirmait que Mahamat Nour, le chef des attaquants, avait " travaillé dans le passé au Soudan pour une société chinoise et pétrolière. " Étranges coïncidences.

Si les intérêts de la Chine apparaissent transparents, ceux des États-Unis sont non moins évidents. Washington voudrait faire cesser l'instabilité au Darfour, qui permet à cette région de servir de base d'assaut contre le Tchad et ses investissements pétroliers.

La signature des accords de paix au Darfour, le 5 mai 2006 à Abuja, le démontre bien.

Depuis février 2003 l'insécurité sévit dans cette région. En raison de la politique raciste de Khartoum à l'égard de la population négroïde de la région, un soulèvement armé avait éclaté. En réponse, le pouvoir central avait dépêché des milices armées, les Djandjawid. Résultat, en trois ans, on comptait 200 000 à 300 000 morts et deux millions de réfugiés pour beaucoup survivant dans des camps de toile au Tchad voisin.

 

Les Djandjawid, la milice qui sévit contre la population du Darfour

 

 

Le 8 avril 2004, sous l'égide de Déby, déjà très concerné, des accords de cessez-le-feu étaient décrétés. L'Union africaine a fini par envoyer sur place une force de maintien de la paix de 5000 hommes, appelée MUAS (Mission de l'Union africaine au Soudan). Ayant à gérer un territoire grand comme la France, elle est dépassée et l'insécurité perdure.

En avril 2006 de nouveaux pourparlers prennent place à Abuja (Nigeria) entre les rebelles et les autorités soudanaises. Les États-Unis font le forcing. Robert Zoellick, sous-secrétaire d'État des États-Unis, fait le déplacement. Une présence traduisant l'importance attachée par Washington à l'affaire.

Trois jours après la signature des accords, George W. Bush s'investit en personne : il manifeste son " souhait " d'assister à une mise en place rapide d'une force des Nations Unies dans le Darfour. En d'autres termes, que la communauté internationale, pacifiant le Darfour, protège les intérêts américains au Tchad.

 

Et la France dans tout cela ? Il faut craindre qu'en Afrique, dans son pré carré, elle n'en soit réduite à assister passivement aux affrontements entre la Chine et les États-Unis pour le contrôle des ressources du continent. S'attachant à enlaidir son passé colonial, la campagne aujourd'hui orchestrée contre elle sert à propos, ceux qui veulent l'écarter du continent en jouant sur la culpabilisation des Français et leur manque de mémoire.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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