TERRORISME

ET
JIHAD

Novembre 2004

 Menacés d’un côté par le terrorisme d’inspiration islamiste, obligés de l’autre à côtoyer des populations de culture musulmane, nous sommes confrontés à un dilemme : Comment se protéger du premier, tout en entretenant des relations équilibrées avec les secondes ? A gauche comme à droite, des voix montent répondant : « Vous ne pouvez pas. La guerre des civilisations a commencé. C’est l’islam en son entier, tous les musulmans coalisés qui sont entrés en guerre contre nous. »

Si les « croyants » d’une guerre de civilisation avaient raison, depuis plusieurs années, une ligne de front couperait l’Orient de l’Occident. Au lieu de cela, le commerce prospère entre eux, et les relations diplomatiques n’ont jamais été rompues.

Mieux, quand en Irak des déviants prennent des Français en otages, l’opinion musulmane partout s’insurge. Nous avons vu sur nos écrans, aux obsèques de Yasser Arafat, un drapeau français flottant au-dessus de la foule en hommage rendu à notre pays. S’il y a guerre, ce n’est certainement pas entre un Orient rassemblé contre un Occident coalisé.

Nul besoin pourtant de beaucoup de perspicacité pour constater l’Occident attaqué. Mais, d’abord il l’est par des groupuscules. Ensuite, ces mêmes groupuscules s’en prennent autant, sinon plus, à leurs pays d’origine. Au cours de la dernière année on a compté des dizaines d’attentats islamistes commis en Turquie, en Arabie Saoudite, au Pakistan, en Indonésie etc… Un seul a touché l’Occident, le 11 mars à Madrid.

 

 Conclusion, l’Orient et l’Occident sont ensemble la cible de l’islamo-terrorisme. C’est donc ensemble qu’ils ont des raisons d’y faire face.

 Un problème existe cependant. L’islam comporte certains préceptes en contradiction avec nos principes ou avec le fonctionnement d’un monde d’échanges intensifs. Dans nombre de pays musulmans, beaucoup de ces préceptes sont tombés en désuétude. Ils n’en restent pas moins recommandés, sinon ordonnés, dans les textes sacrés de la religion mahométane. Ils sont comme une réserve de moyens à portée de main des extrémistes islamistes. Plus, ils leur donnent une légitimité que s’approprient les pires d’entre eux, les « jihadistes ,» comme ils se désignent eux-mêmes. Les terroristes dans notre vocabulaire.

 

LA MENACE DU JIHAD

 En théorie, le jihad ne serait qu’une guerre de défense, mais il peut prendre la forme d’une offensive préventive, contre une menace réelle ou supposée. De la mort de Mahomet en 632 à la bataille de Poitiers en 732, il n’a fallu aux musulmans qu’un siècle, sous prétexte de « guerre de défense, » pour atteindre un pays à 7000 kilomètres de leurs bases.

Dans le Coran, une quarantaine de versets légifèrent sur la participation des musulmans au jihad. Les versets sont impératifs :

 

« Combattez-les (ceux qui vous combattent) jusqu’à l’élimination de toute subversion et jusqu’à ce que le culte ne soit rendu qu’à Dieu… » (Sourate II, verset 193).

On voit bien là la guerre, le jihad en islam, associée à l’extension du monothéisme.

« Ceux des croyants qui demeurent dans leurs foyers, ne sont pas égaux (en mérite) aux croyants qui exposent leurs biens et leur personne dans la lutte pour la cause de Dieu… » (Sourate IV, verset 95).

Il y a bien ici incitation à combattre « pour la cause de Dieu. » Comme dans les versets 39 de la sourate IX ou le verset 15 de la sourate XLIX.

« Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu, ni au jour dernier et ne s’interdisent pas ce que Dieu et son envoyé ont prohibé. (Combattez) également ceux parmi les gens du Livre, qui ne professent pas la religion de la vérité, à moins qu’ils ne versent la capitation directement et en toute humilité. » (Sourate IX, verset 29).

Il s’agit là d’ouvrir les hostilités contre, d’une part, les idolâtres, d’autre part les juifs et les chrétiens (les gens du Livre, la Bible). A moins, pour ces derniers qu’ils ne se soumettent et versent un impôt spécial. Ce verset a donné lieu à la création du statut de « dhimmi. » De « protégés » comme aiment à dire les musulmans, en réalité de citoyens de deuxième zone, dépendant en tout du bon vouloir et des caprices des musulmans(1).

 En temps normal, croire tous les musulmans prêts à partir en jihad relève de la phobie. Seuls les plus radicaux, y sont prêts. Cependant, quand l’appel au jihad est lancé, la majorité se retrouve démunie pour s’opposer à un ordre supposé divin. De plus, comme en Palestine, si des injustices invivables écrasent la population, alors l’amalgame prend entre colère et idéal religieux.

Il existe néanmoins, dans le Coran, des versets tendant à réduire la violence du jihad. A titre d’exemple :

« Combattez pour la cause de Dieu ceux qui vous combattent, mais ne dépassez pas les limites permises » (Sourate II, verset 190).

«… Que la haine d’un peuple ne vous incite point à user d’injustice ! Soyez justes, car cela est très près de la piété… » (Sourate V, verset 8)

Paradoxalement, ces versets ne sont jamais évoqués par les « jihadistes. » Il faut croire leur lecture intégrale du coran s’arrêtant à ce dont ils n’ont pas besoin pour justifier leurs exactions.(1)

 Dans l’Histoire, encore de nos jours, les dirigeants musulmans ont toujours considéré les versets coraniques relatifs au jihad comme un moyen au service de leurs ambitions.

Tous y ont eu recours, y compris, en dépit de l’interdit, contre d’autres musulmans. Des deux côtés, les partisans d’Ali comme ceux de Muawiyah (2), les califes abbassides (3) comme les Fatimides(4) ou les sultans ottomans et, plus tard, lors du soulèvement contre la France en Algérie ou la résistance contre les Soviétiques en Afghanistan.

Les juristes, créant la « charia, » la loi dérivée du Coran, inventèrent la division du monde en deux parties pour exporter la violence sacrée du jihad hors des terres musulmanes. D’un côté, il y avait le « Dar el Islam, » la maison de la paix, où comme dans une société civilisée on devait agir de la meilleure manière à l’endroit des autres. D’un autre côté le « Dar el Harb, » la maison de la guerre, principalement les territoires chrétiens, où un bon musulman pouvait se livrer sans retenue au jihad, massacrer, piller et réduire à l’esclavage les prisonniers.

D’où les raids lancés à partir de l’Espagne sous domination musulmane contre le reste de l’Europe, ou la piraterie des Barbaresques contre nos bateaux, jusqu’au début du XIXème siècle en Méditerranée.

Les dirigeants furent cependant vite confrontés aux effets pervers du jihad. D’une part il troublait les flux commerciaux entre l’Orient et l’Occident, d’autre part il pouvait se retourner contre le pouvoir jugé injuste ou déviant des règles de l’islam.

On a vu autrefois le cas avec les Kharijites (5), les Qarmates (5), plus tard les Almoravides (6) puis les Almohades en Espagne(6).

Aussi, pour encadrer le jihad, les souverains et les juristes (les ouléma) fixèrent des règles. Principalement ils se déclarèrent seuls compétents pour décider de son lancement. Les chiites duodécimains (7) décrétèrent même le jihad illicite jusqu’au retour de « l’Imam caché » (8).

Rien n’y fit car, qui se soumet à un émir, se préoccupe bien peu des décisions d’un pouvoir dont il refuse l’autorité. Oussama Ben Laden, le Jihad islamique égyptien ou le GIA algérien, s’inscrivent dans cette logique, instrumentalisant le jihad à leur profit en rejetant l’autorité de l’État. Pire, en attaquant celui-ci.

 Voilà sans doute la raison la plus solide d’un changement de mentalité chez les musulmans. Aujourd’hui victimes d’un outil, le jihad, par le passé souvent utilisé contre les autres, ils peuvent en admettre dorénavant la mise sous le boisseau.

 Nous disons mise sous le boisseau et non suppression. Car, l’idée du jihad est dictée par le Coran, lui même parole de Dieu, révélée à Mahomet. Du moins pour les croyants de l’islam. Difficile de leur demander de renoncer à leur religion.

Par contre, conformément à leur tradition, ils peuvent suspendre une prescription, considérée par eux divine, si les circonstances l’exigent.

Ajoutons un point important. Pendant la domination coloniale de l’Occident sur le monde musulman, les mahométans étaient fondés à lancer contre nous le jihad. Pourtant, les ouléma (les juristes) l’interdisaient tant que la pratique de la religion n’était pas gênée. Ils s’inspiraient pour cela d’un principe : le jihad, pour être lancé, doit avoir une chance raisonnable de succès.

 On voit notre force militaire avoir un rôle de dissuasion à jouer. A condition de n’attaquer que pour se défendre et de n’engendrer ni l’injustice, ni le désespoir. Il faut, dans ce cadre, savoir s’appuyer sur la majorité des musulmans, contre les minorités atteintes de folie destructrice, comme celle d’Al Qaïda. Le contraire du programme des zélateurs de la guerre de civilisations. Nous préconisons, la politique que nous avons su pratiquer pendant des siècles. Le retour de l’irrationnel de Bush vers le rationnel européen en somme.

 

Notes

(1) Traduction du cheikh Si Boubakeur Hamza, ancien recteur de la Mosquée de Paris. Ouvrage publié chez Fayard-Denoël.
(2) Il entra en conflit contre le 4ème calife, Ali.
(3) Dynastie qui gouverna les sunnites pendant cinq siècles.
(4) Dynastie chiite qui gouverna au Caire pendant plus de deux siècles.
(5) Mouvements musulmans puritains du VIIème et Xème siècle.
(6) Autres mouvements puritains conquérants de l’Espagne au Xème puis au XIIème siècle.
(7) Représentent 90% des chiites.
(8) « Disparu » selon les chiites, son retour annoncerait la fin du monde.

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