TURKMÉNISTAN
LE VERTIGE DU GAZ

février 2007

Le 22 décembre 2006, à la mort du potentat turkmène, Separmourad Niazov, une dizaine de chefs d'État se pressaient autour de sa tombe. Cinq ou six maîtres de l'économie occidentale étaient aussi présents. Tous semblaient figés. Pourquoi ?

Le chagrin n'y était pour rien, seule l'inquiétude marquait leur visage, parce que Niazov, depuis des années, distribuait à son gré les contrats de livraison de gaz. Ainsi en 2007 les Occidentaux devaient-ils recevoir 70 milliards de m3 . Ces contrats seraient-ils bien honorés ? Mais est-il normal que lorsque la cinquième puissance mondiale à posséder les réserves de gaz, dont toute l'Europe est dépendante, rien ne transparaisse quant au respect ou aux conditions de résiliation de ces contrats ? Or tout dépend maintenant du successeur.

On avait cru qu'il s'agirait d'Alexandre Jadan, le secrétaire privé de Niazov. Or, 24 heures avant l'arrêt du cœur qui a emporté le président, Jadan a disparu. Puis, un autre dauphin potentiel a été soudain écarté de la scène sous prétexte de malversations, alors qu'il était président de la Chambre des députés. Une plaisanterie étant donné que les 2.500 membres de cette chambre pléthorique ont été désignés par Niazov lui-même.

Un troisième larron, G. Berdymoukhammedov, dentiste de formation, s'est déclaré chef de l'État par intérim, sans doute appuyé par le dernier favori en date, A. Redjepov, le chef des services secrets du Turkménistan.

Niazov avait pour méthode, ce qui explique la complexité de la situation, de jouer chacun de ceux de son entourage les uns contre les autres. Il avait reconstitué une réplique de ce qui, des années vingt à trente, constituait le cabinet secret de Joseph Staline.

Les chefs d'État étrangers se sont donc trouvés le 22 décembre devant un vide juridico-politique que nul ne peut combler, quand nul ne sait si l'actuel numéro un sera encore au pouvoir après les élections prévues en février.

Existe-t-il une opposition réelle ? Plusieurs diplomates actuellement en exil s'en réclament, mais ils n'ont aucune formation politique sérieuse, et leurs rapports avec les Occidentaux les rendront dès l'abord suspects. À l'époque de Niazov, le pouvoir avait beau jeu de les discréditer dès qu'ils paraissaient en faveur dans les chancelleries occidentales.

Certains observateurs supputent que Mourad, le fils de Niazov qui vit à Moscou, pourrait assurer une transition convenable, mais ni lui, ni sa sœur Irina n'étaient dans les confidences et les secrets de leur père.

 

UN GAZ À FORTE ODEUR MAFIEUSE

De toute façon, le " système " est faussé, piégé. Niazov était l'enfant privilégié de Gorbatchev qui le choisit en 1985, ainsi que toute son équipe, membre du KGB moscovite, afin de neutraliser certains cadres qui aspiraient à l'indépendance du Turkménistan.

Assise sur ses ressources gazières et pétrolières, la dictature de Niazov a navigué de Gorbatchev à la dictature de Poutine, sans jamais s'opposer à Moscou. Reste à savoir qui est aujourd'hui l'homme du Kremlin dans les coulisses de la capitale, Achkhabad.

Le deuxième piège est plus compliqué, car il découle d'une longue complicité des mafias turkmènes, russes, ukrainiennes, dont les pivots sont d'origine juive ukrainienne, et dont les protagonistes ont la main sur les trésors du pouvoir. Rien que la fortune personnelle de Niazov se montait à 1 milliard 690 millions de dollars.

C'est dire combien les autres nababs du pays ont pu mettre de côté. Mais l'essentiel, dont s'est alarmé la Banque européenne, la Berd, c'est de savoir que la Deutsche Bank est impliquée jusqu'à avoir trempé dans les blanchiments d'argent.

Rappelons que notre Lettre a été la seule en Europe à signaler qu'un agent secret de Poutine, Warnig, a durant des années infiltré la Deutsche Bank avec des agents très efficaces. Ne serait-ce que vu sous cet angle, l'Allemagne, tributaire de Moscou pour le pétrole et le gaz, par la grâce de l'ex-chancelier Schröder, ne peut échapper aux questions sur sa connaissance de ces interférences douteuses.

Le problème est d'autant plus explosif que la charnière des opérations pétrole et gaz vers l'Europe n'est autre qu'un certain Semione Moguilevich qui, depuis 2003, figure sur la liste des hommes les plus recherchés par le FBI, pour sa prédominance dans les mafias d'Europe centrale.

Moguilevich, né à Kiev en 1946, a créé il y a plusieurs années une firme basée à Chypre, la Highrock Holding, laquelle est la plaque tournante de toutes les affaires d'exportations de gaz. Ses bureaux sont situés à Tel-Aviv, Kiev, Moscou et Budapest.

Depuis dix ans, elle orchestre la distribution du gaz, notamment en Europe. Sa couverture est la firme RUE (Rosukrenergo), dont le " Wall Street Journal, " dès avril 2006, signalait que l'homme clé était l'Ukrainien Dimitri Firtash, principal associé de Moguilevich. On retrouve Firtash en rapport avec la firme Itera, associée à la russe Gazprom.

Toute enquête poussée ne peut que gêner Angela Merkel, la chancelière d'Allemagne, mais également des sociétés comme Total et diverses américaines du pétrole et du gaz.

On conçoit donc le silence anxieux d'une dizaine de PDG de toutes origines. Tous ont peur qu'une question "inopportune" ne déclenche une série de catastrophes en chaîne.


Pierre de Villemarest

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

Retour Menu
Retour Page d'Accueil