TURQUIE :
UN ATTENTAT RÉVÉLATEUR

octobre 2015

Il ne se passe plus de jour sans qu’au moins un attentat n’éclate quelque part sur notre planète, de préférence en Irak, au Nigeria, en Afghanistan, au Yémen, en Libye ou en Syrie. Alors pourquoi consacrer une page à celui du 10 octobre dernier près de la gare principale d’Ankara ?

D’abord parce que, faisant au moins 97 morts, il a été le plus meurtrier jamais vu en Turquie. Ensuite, et surtout, en raison des conditions qui en font un déstabilisateur pour le régime islamiste en place.

Les deux explosions visaient une manifestation d’organisations de gauche et de militants kurdes pour dénoncer la reprise des hostilités par le pouvoir contre le PKK, parti indépendantiste kurde. Or, sans attendre, gauchistes et nationalistes kurdes ont accusé le gouvernement, pour les plus modérés de ne pas avoir assuré la sécurité, pour les autres d’être l’auteur de ces attaques. Ces accusations fragilisent un peu plus un pouvoir déjà affaibli.

Cet attentat n’a cependant pas été revendiqué. Toutes les possibilités restent envisageables, y compris une tentative désespérée des islamistes de l’AKP, le parti au gouvernement, pour faire basculer l’opinion kurde en sa faveur dans un réflexe sécuritaire. Dans ce cas, ce serait bien mal calculé, l’inverse s’étant produit.

On peut aussi soupçonner de l’attaque les dirigeants du PKK ou ceux des partis d’extrême gauche, comme le DHKP-C (Le DHKP-C est une organisation armée marxiste-léniniste). Ils auraient alors cherché à se donner une posture de victimes en tuant leurs propres militants. Pourquoi pas, sauf que les uns et les autres ont toujours mené des actions contre les forces de sécurité, voire dans le cas des seconds, pour toucher les symboles de la finance internationale et de la toute puissance américaine. Viser la foule ne ressemble pas à leur manière de faire.

Allant plus loin, pourquoi ne pas faire peser la suspicion sur une puissance étrangère. Des États-Unis à la Russie, en passant par l’Égypte et Israël, il ne manque pas de pays mécontents de la politique d’Ankara. Mais pourquoi encore chercher ailleurs quand Daech, mieux connu en France sous le nom d’État Islamique, est si proche.

Or, cette organisation recourt sans hésiter aux pratiques les plus cruelles, y compris contre des populations civiles. De plus, elle a les moyens et la logistique nécessaire. Enfin, elle aurait un mobile, à la fois contre les Kurdes, qu’elle combat en Irak et en Syrie, et contre l’autorité turque, dont elle a toutes les raisons de vouloir se venger.

Qu’on se souvienne ! Le 20 juillet, un autre attentat éclatait à Suruç, dans le sud de la Turquie, visant déjà des Kurdes. Il faisait 33 morts. Cette attaque non plus n’a pas été revendiquée. On l’a cependant attribuée à Daech qui, à la suite de l’arrestation de plusieurs de ses hommes par la Turquie, les 16 et 18 juillet, avait menacé ce pays de représailles.

Ankara, jusque-là, fermait les yeux sur l’utilisation de son territoire comme zone de repos et d’approvisionnement par Daech. Quelques jours plus tard, lançant des bombardements contre les bases du groupe terroriste en Syrie, les Turcs montraient qu’ils n’ignoraient rien des commanditaires de l’attaque de Suruç. Or, cette dernière, dans le mode opératoire comme dans le choix des cibles, ressemble trop à celle du 10 octobre pour qu’on ne l’attribue pas au même donneur d’ordres. En clair, il semble bien que la Turquie paye aujourd’hui pour sa complaisance passée à l’égard de Daech.

On voit le gouvernement turc engagé sur bien des fronts : politique, quand les élections se préparent et qu’il a perdu les précédentes, militaire, contre la minorité irrédentiste kurde et Daech, mais aussi confronté à l’hostilité de la Russie, de la Syrie et des pays arabes. Sa politique a fait de l’AKP une citadelle assiégée.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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