Du point de vue de la presse occidentale nous
assistons en Ukraine à un soulèvement populaire
favorable à une intégration de lEurope, le
camp des « gentils », contre une minorité
qui sest emparé du pouvoir et souhaite maintenir
le pays sous la tutelle de la Russie, le parti des méchants.
Nen déplaise à nos estimés confrères,
on peut faire une autre lecture, à notre sens plus proche
de la vérité. LHistoire a divisé lUkraine
en deux identités adverses : dune part, concentrés
à louest du pays, ceux qui se sentent proches de
lEurope occidentale sur les plans culturels et religieux,
dautre part, plus présents à lest,
les partisans de lunion sacrée des Slaves avec Moscou.
La Russie, de son côté, cherchant à reconstituer
toute ou partie de son lustre passé, compte bien sassurer
la remise définitive sur son orbite de lUkraine.
Elle a pour cela une autre raison, sentimentale cette fois :
la première Russie, la « Rous de Kiev »
y est née au IXème siècle, avant que le
centre de lempire ne migre au XIVème siècle
à Moscou. Autant dire que pour les Russes, Vladimir Poutine
le premier, toute tentative de lUnion européenne
dabsorber lUkraine est intolérable. Cest
pourtant lexercice auquel ont essayé de se livrer
nos dirigeants, suscitant le conflit dont nous sommes témoins
entre partisans de lintégration à l' Europe
et pro Russes. Même si, à tout cela, sajoutent
des intérêts stratégiques et si la gouvernance
de lUkraine pose, il est vrai, quelques problèmes.
Cet
avant-propos nous a paru nécessaire avant de transcrire
quelques passages dun rapport publié en anglais,
au mois de novembre dernier, par lOCO ou « Organized
Crime Observatory » (Observatoire du Crime Organisé),
structure universitaire basée à Genève.
Il nous dresse le portrait dune Ukraine rongée par
la corruption en dépit dune certaine amélioration.
Surtout, il prend comme révélateur de cette corruption
endémique les cas de Yulia Tymoshenko et de Pavlo Lazarenko,
tous deux anciens Premiers ministres.
« Le cas de Lazarenko est
représentatif à regarder dans le détail
parce quil apparaît comme le cas le mieux pourvu
en preuves sur la corruption au plus haut niveau du gouvernement
ukrainien », dit le rapport.
Lazarenko
a commencé comme conducteur de tracteurs dans le domaine
agricole et a fini par se retrouver représentant du Président
Leonid Kuchma (de 1994 à 2005) dans la région de
Dnepropetrovsk, puis gouverneur avant de siéger comme
Premier ministre en 1996.
Le rapport continue : « Les
rumeurs sur la corruption de Lazarenko lont suivi pendant
toute sa carrière, dès ses débuts dans lagriculture
jusquà ses fonctions de Premier ministre, mais les
enquêtes étaient bloquées aussi longtemps
quil a soutenu le Président Kuchma. Au cours de
lété 1997, cependant, Kuchma et Lazarenko
ont eu une brouille. Lazarenko, chassé du gouvernement,
a décidé de se présenter contre Kuchma aux
élections présidentielles ».
Il forme alors un parti, lHromada,
et se fait élire au Parlement. Cependant, craignant quune
action en Justice ne soit lancée contre lui, en 1999 il
senfuit en Suisse avec un passeport panaméen.
Là, il est mis en accusation pour blanchiment dargent.
Il se rend alors aux États-Unis avec un faux passeport.
Mal lui en prend, les Américains le poursuivent à
leur tour au titre de, dit le rapport « 53 accusations
de blanchiment dargent, conspiration pour commettre des
actions de blanchiment dargent, escroqueries sur Internet
(« wire fraud » selon la terminologie
judiciaire américaine) trafic dinfluence et transport
transfrontalier de biens volés ».
En 2009, Lazarenko se
voit condamné à 97 mois de prison, 9 millions de
dollars damende et 22 millions de ses actifs sont confisqués.
Cependant, « Le procès de Lazarenko na
pas mis en évidence toutes ses activités illicites,
la cour ne considérant criminelles que les actions dont
le profit a été directement lié à
largent blanchi à travers des banques américaines
». Voilà qui en dit long sur la dimension des
activités litigieuses de lancien Premier ministre.
Tymoshenko,
innocente aux mains pleines
On sait que Lazarenko prélevait
une part de 10 à 50% sur les transactions et affaires
quil menait en liaison avec ses activités officielles.
Le procès des Américains a mis en évidence
un détournement de fonds atteignant 114 millions de dollars
en deux ans « même si lensemble de ces profits
peuvent avoir été bien plus importants ».
Ses associés ont eux aussi gagné des millions de
dollars, or, et cest là le plus croustillant, Yulia
Tymoshenko en fait partie.
« Laspect le plus explosif
des charges pesant sur Lazarenko concernent ses relations daffaires
avec Yulia Tymoshenko, depuis longtemps une alliée politique,
dit le rapport. Elle était à cette époque
la présidente du Système Énergétique
Uni dUkraine, UESU (NDLR : pour lacronyme tiré
du nom de lentreprise en anglais) la compagnie de distribution
de gaz naturel qui concernait directement Lazarenko quand il
servait comme adjoint du Premier ministre (de 1995 à 1996)
chargé du secteur de lénergie »
à ce titre.
En tant que tel, il a réorganisé
la distribution du gaz naturel de manière à réserver
le monopole de cette activité à quelques sociétés
individuelles qui « achetaient le gaz naturel à
Gazprom en Russie et le revendaient chacune à des
régions spécifiques de lUkraine. UESU
a reçu ce lucratif monopole pour la région
de Dnepropetrovsk de 1995 à 1997. Selon les documents
présentés au procès de Lazarenko en 2004
en Californie, en 1996, Lazarenko a obtenu pour UESU une garantie
de paiement de lÉtat du gaz de Gazprom pour un montant
de 200 millions de dollars. En 1995, selon les documents, Tymoshenko
avait créé une société séparée,
United Energy International Limited (UEIL) ».
Cest là
que lescroquerie prend place : UEIL « reçut les paiements des
usagers qui consommaient le gaz à la place de UESU ».
Comme il fallait sortir cet argent du circuit, un montant dapproximativement
140 millions de dollars a été transféré
à Somoli Enterprises, une société
chypriote contrôlée par Tymoshenko. En retour, UESU,
UEIL et Somoli Enterprises ont versé environ 161 millions
de dollars à Lazarenko en 1996 et 1997 ». Bien sûr,
Gazprom na jamais vu un sou de largent qui lui était
dû pour la fourniture de gaz.
Traduite en Justice à Kiev
en juin 2011, Tymoshenko
est condamnée à 7 ans de prison pour abus de
pouvoir dans le cadre des contrats gaziers passés avec
la Russie. Elle refuse de se présenter devant la cour
dappel prétextant des douleurs dorsales. Même
position en avril 2012 quand un nouveau procès est ouvert
contre elle pour « détournement de fonds publics
et fraude fiscale ».
Les dirigeants occidentaux ne lui trouvent
pourtant que vertus. En 2012, lambassadeur de France, François
Zimeray, est présent à la première audience
du tribunal. LUnion européenne et les États-Unis
affirment Tymoshenko condamnée pour des raisons politiques.
De deux choses lune, ou bien
les documents produits devant la justice américaine contre
Lazarenko et impliquant Tymoshenko sont des faux, et on se
demanderait alors à quel titre Lazarenko a été
condamné. Ou bien il sont, comme nous le savons, authentiques
et les responsables occidentaux prennent la défense dune
délinquante, Tymoshenko, pour des faits qui lui auraient
lui valu le même sort chez eux.
On comprend tout cela une mascarade.
Tymoshenko a opté pour lintégration de lUkraine
à lEurope. Elle est un pion sur lequel comptent
les Occidentaux pour faire aboutir leurs plans. À nimporte
quel prix, même celui du dévoiement des principes
quils proclament hauts et forts.
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