Interview du
Cheikh Abdel Menhem Moustafa Halima, dit
"Abou Bassir At Tartoussi,"

Biographie : Le cheikh Abdel Menhem Moustafa Halima est né à Tartous en Syrie en 1959. Il a épousé une palestinienne dont il a eu quatre enfants.
Il quitte la Syrie à la fin de l'année 1980 en raison de l'insécurité générée par les affrontements entre les Frères Musulmans et le régime syrien.
S'installant à Londres, il écrit plusieurs livres d'inspiration salafiste (1) le plaçant parmi les partisans du " jihad. " Néanmoins, il se distingue des autres fondamentalistes musulmans par l'originalité de certaines de ses positions.
Il n'est pas aisé de le rencontrer, tant il se méfie des journalistes et manifeste beaucoup de répugnance à passer à la télévision. L'interview s'est déroulé dans sa maison à Londres. Il a refusé de se laisser photographier.

 

Question: Les opérations martyres, sont-elles licites au regard de l'islam ?

En fait, ces actions apparaissent comme une innovation en islam, dans le sens où nos " salaf " (1) n'en ont jamais parlé. Ce sont là des comportements nouveaux qui ont suscité la réflexion des oulémas contemporains et des experts en matières juridiques. Certains les légalisent sous conditions, d'autres les déclarent " haram " et dénoncent leurs auteurs. Pour ma part, il me semble juste de les déclarer proches de l'interdit. Néanmoins, leurs auteurs s'appuyant sur les avis juridiques d'experts en droit musulman, on ne peut pas les considérer comme des criminels s'ils restent dans les limites fixées. Or, ce sont des limites très strictes. Je vous renvoie, à ce propos, aux études que j'ai réalisées sous les titres : "Objets de circonspection en matière d'opérations martyres" et "Confrontation des opinions relatives aux opérations suicides."

Question:En Irak, on voit des opérations suicides dirigées contre l'occupant, d'autres s'en prenant aux civils chiites. Quel jugement portez-vous sur cela ?

Je vous l'ai dit, pour moi, il est illégal, au regard de l'islam, de conduire une action suicide quelles qu'en soient les motivations. Certes, il est licite d'attaquer les envahisseurs de l'Irak, car la cible est un occupant qui bafoue l'honneur des musulmans et abuse de leurs biens. Les gens de ce pays sont donc dans leur bon droit quand ils font face à cette occupation de la manière qu'ils croient la bonne pensant qu'ils parviendront ainsi à se libérer en défendant leur religion, leur terre et leur honneur. Ils doivent néanmoins observer les règles et les limites dictées par la Noble religion. En particulier, il n'est pas licite d'attaquer des civils, quelque soit leur religion, ou des gens qui vous font confiance et sont sous la protection du pays (2), je pense aux étrangers comme les journalistes. Néanmoins, seuls les gens sur le terrain sont à même de faire la différence entre le combattant (ennemi) et la personne protégée.

Question:On parle beaucoup du mouvement jihadiste ou du mouvement salafiste jihadiste. Concrètement, que représente-t-il ?

En vérité, ces désignations et ces classifications sont l'oeuvre des médias et des services de renseignement. En Islam, ces catégories n'existent pas. Est musulman qui accomplit les prescriptions d'Allah aux périodes et dans les lieux précisés par le dogme. Il prie, jeûne et fait le jihad quand il doit le faire (3). C'est ça un musulman. Concernant ces classifications, l'ennemi en est le principal artisan mais, malheureusement, parfois les musulmans eux-mêmes tombent dans le piège et propagent de tels schémas de se distinguer les uns des autres.

Question:Les enlèvements de journalistes, de diplomates et autres étrangers, ou les décapitations visibles sur les écrans de télévision, sont-ils favorables à la promotion de la cause du peuple irakien ?

Tout d'abord je trouve néfaste de diffuser de telles images à la télévision. Ensuite, en ce qui concerne les enlèvements, je dis clairement que celui qui porte les armes est une cible légale pour la résistance. Par contre, l'étranger ou le non musulman sous la protection du pays, comme un journaliste, ne doivent en aucun cas être la victime de kidnappings. Mais, là aussi, je répète, la différence entre le combattant et le non-combattant ne peut être évaluée que par les hommes s'activant sur le terrain. Je prie mes frères irakiens de ne pas toucher les personnes qui ne sont pas des combattants si l'on n'a pas pu prouver qu'elles collaboraient ou espionnaient au profit de l'occupant.

Question: Abou Adass, disant agir sur ordre du mouvement "Jamaa al Nousra wal Jihad fi Bilad al Cham (4)," est apparu sur une cassette vidéo pour revendiquer l'assassinat du premier ministre libanais Rafic Hariri. Que savez-vous de ce groupe ?

Selon moi, et d'après ma propre expertise, mais aussi de l'avis de nombreux frères concernés par cette affaire, je peux affirmer que le groupe " Jamaa al Nousra wal Jihad fi Bilad al Cham, " n'existe pas. Abou Adass a été kidnappé au Liban et tué en Syrie après que les services syriens l'aient obligé à enregistrer la cassette. Toute l'histoire est un montage des renseignements syriens. Toute personne connaissant le fonctionnement du régime de Damas sait une telle manipulation dans ses habitudes. Du reste, l'assassinat d'Hariri n'est pas le premier crime commis par le régime syrien au Liban. Il y a eu beaucoup de victimes, en particulier des sunnites.

Question:Pourquoi les Syriens ont-ils assassiné Hariri ?

Ce régime ne connaît qu'un seul langage, celui de la mort. Il extermine toute personne qui essaie d'échapper à sa domination et n'agit pas dans le sens de ses intérêts. Sans doute Hariri a-t-il voulu affranchir le Liban du contrôle hégémonique de la Syrie. Alors les gens du régime l'ont tué. Par ce moyen là, ils ont voulu terroriser tous ceux qui songeraient à se libérer de leur joug.

Question:Bien, mais aujourd'hui, les Syriens ont quitté le pays...

En Syrie, le régime actuel est entré dans sa phase de décrépitude. Très bientôt, avec la permission d'Allah, il va tirer le rideau. Bachar Al Assad avait déclaré vouloir juger les assassins de Rafic Hariri. Trois jours plus tard, il changeait d'avis, pliant sous les pressions du gang qui gouverne le pays, Assef Chawkat (5) et les autres. La duplicité du discours syrien et les gesticulations auxquelles on voit le pouvoir se livrer annoncent la fin proche du régime. Suivra alors un moment de chaos, avant de trouver un remplaçant.

Question:Qui sera le remplaçant de Bachar Al Assad ?

Ce n'est pas un secret : tout le monde est à la recherche d'un remplaçant. L'Amérique, l'Occident dans son ensemble. Tout le monde va échouer, sauf le peuple syrien. C'est lui qui trouvera et imposera une nouvelle tête. Après l'expérience irakienne, la mise en évidence de la fausse démocratie, la liberté fallacieuse offerte par les Américains, à la sauce Abou Ghraib (6) et Guantanamo, le peuple syrien ne croit plus aux solutions proposées par l'Occident. L'alternative viendra du peuple syrien seul. En attendant, aujourd'hui le pays est comme un volcan prêt à exploser. Il est impossible qu'Al Cham (7) la bénie, comme l'a appelée le Messager (8), demeure ainsi. Avec son rôle d'avant-garde, la gloire reviendra un jour à Damas. Le gang aujourd'hui au pouvoir à Damas n'est qu'un nuage noir qui s'évanouira dans le ciel. Le peuple Syrien retrouvera alors gloire et dignité, avec la permission d'Allah.

Question:Pourquoi le chaos suivra-t-il la chute du régime ?

Ce régime sanguinaire qui a gouverné sans discontinu pendant plus de trente ans, ne peut tomber sans fracas et sans payer le prix de ses crimes. C'est la loi du changement. Nous ne le souhaitons pas, mais les tenants du régime ne laisseront pas les choses se passer paisiblement. Le peuple syrien, gouverné si longtemps dans l'humiliation, devra offrir des sacrifices pour retrouver sa dignité et sa fierté. Echanger l'humiliation contre la dignité a un prix. Je demande à Allah, qu'Il soit loué et exalté, de protéger la Syrie et son peuple.


Interview réalisé à Londres

le 30 novembre 2005
par
Badih Karhani

 

journaliste et consultant au:

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001

 

 NOTES

(1) Les " Salaf " sont les premières générations de musulmans qui servent de références en matière de direction spirituelle. Se donnent le nom de " Salafistes, " les musulmans insistant sur un retour aux sources de l'islam. Ils se caractérisent par une approche fondamentaliste de la religion.

(2) Amalgame des lois traditionnelles arabes concernant l'hospitalité, l'approche religieuse et les règles modernes d'octroi de visas.

(3) On voit là une déviance au regard des canons de l'islam. Il existe dans la religion de Mahomet cinq obligations principales appelées piliers de la religion (la profession de foi, l'aumône, le pèlerinage à La Mecque, la prière, le jeûne annuel). Même s'il est recommandé dans le coran, le jihad n'est pas élevé au même niveau d'obligation. Seuls certains fondamentalistes en font une sixième obligation.

(4) Cette organisation a été citée par Abou Adass, un Palestinien vivant au Liban, qui s'est accusé de l'assassinat de Rafic Hariri. La cassette a été diffusée sur la chaîne Al Jazeera peu après l'attentat. Les propos de Mostafa Halima confirment les informations et analyses indépendantes.

(5) Assef Chawkat est le beau-frère de Bachar Al Assad.

(6) Abou Ghraib est la prison irakienne sous juridiction américaine à propos de laquelle a éclaté un scandale sur les maltraitances infligées aux prisonniers.

(7) Al Cham, la Syrie dans sa désignation classique.

(8) Le Messager, autre terme désignant Mahomet.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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