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Les 3 et 4 décembre 2015, le Président
algérien, Abdelaziz Bouteflika, se déplaçait
à nouveau en France, pour se faire soigner à Grenoble,
au Groupe hospitalier mutualiste où son cardiologue exerce
ses fonctions. Sur son état, secret Mais la pilule passe mal aux yeux des notables algériens. Du moins de ceux qui ne bénéficient plus des avantages du régime. En mars 2014, en pleine campagne électorale, Ahmed Bencherif, un ancien commandant de la Gendarmerie nationale, faisait la manchette du quotidien « Liberté ». Au cours dune conférence de presse, il a brandi son portable en disant : « Jai le numéro de téléphone personnel dAbdelaziz Bouteflika sur cet appareil. Je lai appelé plusieurs fois ces derniers temps. Il narrive même pas à parler. Il est complètement inconscient ». « Je suis résolument opposé à un 4ème mandat de Bouteflika », concluait-il. Mais alors, qui gouverne ? Pour Bencherif, la réponse est évidente. Il dit Saïd Bouteflika, le frère du Président, « à la tête dune mafia politico-financière qui a pris le pouvoir en Algérie, (ceci) depuis la maladie de mon ami Abdelaziz Bouteflika ». En fait, Bencherif dit haut et fort ce que murmure tout le monde à Alger.
Depuis lindépendance, en 1962, remarque-t-on, les Présidents algériens ont peu ou prou toujours été des militaires ou danciens militaires. Larmée et les services de renseignement montraient ainsi qui étaient les vrais maîtres du pays. En 1999, à la fin du mandat du général Liamine Zeroual, se pose à nouveau le problème de la succession. Pour redorer le blason de lAlgérie, lui donnant des airs de démocratie, il faut un premier magistrat émanant de la société civile. En même temps, le candidat doit appartenir au sérail pour ne pas remettre en question lautorité de lappareil militaire sur le pays. Le choix se porte sur Abdelaziz Bouteflika. Ancien de lALN (1), il y avait néanmoins tenu des fonctions plus politiques. En outre, si depuis son retour il a repris pied dans lappareil en rejoignant le FLN (2), il ne sappuie cependant pas sur des réseaux importants. Les militaires le croient contrôlable puisque isolé. Le résultat est parlant : se présentant devant six autres candidats, Bouteflika rafle 73,5% des suffrages exprimés ! Hocine Aït Ahmed, une icône de la guerre dindépendance, ne fait un score que de 3,2%. On comprend quil y a eu bourrage des urnes. Cependant, Bouteflika narrive pas seul à la Présidence. Son frère, Saïd, laccompagne. Ce dernier est nommé conseiller à la Présidence. Au début, il se fait discret. Humble même. Puis, à partir de 2003, il monte au créneau. Ali Benflis, organisateur de la campagne électorale dAbdelaziz en 1999, est alors à la fois Premier ministre et chef du FLN. Saïd le fait limogé en 2003 et soccupe lui-même de la réélection de son frère en 2004, puis en 2009. Face à cinq concurrents, Abdelaziz remporte 85% des voix la première année, puis 90,24% la seconde année ! On tombe dans la mascarade électorale... Mais depuis 2005, la santé dAbdelaziz se dégrade. Il fait de nombreux séjours dans les hôpitaux français, en particulier à lhôpital militaire du Val de Grâce. Limportance de Saïd prend alors de lampleur. Cest lui qui tient lagenda de son frère. Quiconque veut voir le Président doit passer par Saïd. En 2013, létat dAbdelaziz empire encore. En avril, il est même admis au Val de Grâce pour une attaque cérébrale. Saïd veille au chevet de son frère. Le premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, doit attendre 46 jours avant de voir le chef de lÉtat. Le journal « Le Matin » (3) affirme même que sept décrets présidentiels ont été signés par Saïd à la place du Président. Le 16 juillet 2013, après une nouvelle attaque, Abdelaziz rentre à Alger de Paris en fauteuil roulant. Son apparence physique, à loccasion de ses rares apparitions publiques, font bien comprendre quil na plus toute sa tête. Comment le croire capable de gouverner ? Pourtant, les décisions continuent de se prendre à la Présidence répondant à une logique de renforcement de linstitution. La tension apparaît de plus en plus marquée entre lappareil militaire, principalement la DRS (4), et le pouvoir exécutif. À partir du mois de septembre 2013, plusieurs officiers proches du général Médiène, dit Toufik, le grand patron des services, sont remplacés par des hommes plus accommodants aux souhaits de la Présidence.. En 2014, Abdelaziz, mais ne devrait-on pas dire les frères Bouteflika, décroche un 4ème mandat présidentiel. Les rumeurs dune succession que prendrait Saïd se font de plus en plus insistantes. En même temps, la tension va croissante entre la Présidence et les militaires. Les attaques aussi se multiplient. Un journaliste, Hicham Aboud, un ancien des renseignements, accuse Saïd de corruption massive, de trafic de stupéfiant et dhomosexualité, un délit en Algérie. Aboud en rajoute peut-être, mais il na pas besoin de beaucoup inventer. Saïd se sert de sa position pour attribuer des marchés publics à des hommes daffaires qui, en échange, versent de largent pour payer les campagnes électorales présidentielles et enrichir les Bouteflika. Mais Saïd pense au futur. Au cours des années, après avoir pénétré les milieux daffaires, il a pénétré ceux de larmée. En particulier les officiers supérieurs qui piaffent dimpatience à des rangs subalternes attendant la mise à lécart ou le départ à la retraite des généraux qui tiennent le pays dans leurs mains. A partir de juillet 2015, Saïd sonne lhallali. Il est temps, le Président peut succomber à nimporte quel moment. Le signal est donné par des coups de feu qui éclatent à Zeralda, cité balnéaire à louest dAlger où Bouteflika a installé ses bureaux. Provocation du camp présidentiel ou coup manqué dun clan putschiste ? En tout cas, un par un, les chefs de larmée sont mis à pied. En septembre, cest le tour de Toufik, que lon croyait pourtant intouchable. Saïd a su faire preuve dune redoutable efficacité. Reste à savoir si les militaires quil a mis en place ne se retourneront pas contre lui le moment venu. (1) « Armée de libération
nationale », le bras armé du FLN pendant la
guerre. |
Le 17 octobre, le général algérien Djamel Kehal sest rendu à laéroport comptant prendre lavion pour Paris. Là, surprise, la police des frontières lui signifie quil ne peut quitter lAlgérie... sur ordre de la Présidence. Kehal a été limogé sur décision du Président Abdelaziz Bouteflika à la fin du mois de juillet. Depuis 2004, il exerçait les fonctions de chef de la sécurité du même Bouteflika. Il a été viré en même temps que le général Ali Bendaoud, directeur de la Sécurité intérieure, une branche des services de renseignements, et que le général Ahmad Moulay Méliani, le chef de la Garde républicaine. Ceci sajoute à la mise à lécart du général Mohamed Mediene, dit Toufik, le patron de la DRS, les renseignements algériens (1), et larrestation du général Hassan, de son vrai nom Abdelkader Ait-Ouarab (2), à la fin du mois daoût. Bouteflika procède bien à une mise à lécart des patrons de larmée. Ce grand nettoyage serait lié à des coups de feu qui ont éclaté dans les locaux réservés aux apparatchiks du régime à Zeralda, cité balnéaire à louest dAlger créée par les Français en 1844 et qui fut la garnison du 1er REP. Bouteflika a installé-là ses bureaux. Tout cela inspire plus de questions de que de réponses. En effet, Bouteflika a été mis en place par les généraux en 1999 grâce à des élections « à lalgérienne ». Il était leur alibi civil qui leur permettait de diriger le pays en coulisse. Au cours des années, le Président a néanmoins gagné en influence et les militaires lont trouvé de plus en plus gênant. Lexplication dun Bouteflika cherchant à neutraliser la vieille garde des généraux, en limogeant les plus influents dentre eux, apparaît néanmoins un peu courte. Dune part, le Président est âgé de 78 ans. Surtout il est usé et très malade. Il est difficile de limaginer gérant seul lélimination de ses parrains. Dautre part, larmée et les renseignements, avec les armes, détiennent toujours la réalité du pouvoir. En fait, nous assistons à un putsch interne à larmée. En Algérie, une nouvelle génération dofficiers monte. De jeunes généraux et des colonels se débarrassent des dinosaures en sappuyant sur Bouteflika, lui laissant croire quil est le chef. Un nouveau patron va émerger. Après des luttes intestines prévisibles, dans quelques mois on verra un nom nouveau en haut de laffiche.
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