Appel aux chrétiens
du Liban et de la région pour un monde arabe nouveau,
pacifié et démocratique
Fait à Beyrouth le 28 mai 2011
Plus d'une centaine de personnalités
chrétiennes ont lancé un « appel aux chrétiens
du Liban et du monde arabe » les exhortant à
renouer avec le rôle qu'ils ont joué dès
le XIXème siècle avec la renaissance arabe et participer
à l'émergence d'un monde arabe nouveau fondé
sur le vivre-ensemble et la démocratie en contribuant
notamment à apporter une réponse à la question
fondamentale qui se pose aujourd'hui au monde arabe : comment
vivre ensemble, égaux dans nos droits et nos devoirs,
différents dans nos multiples appartenances religieuses,
culturelles et ethniques, et solidaires dans notre recherche
d'un avenir meilleur pour nous tous, chrétiens et musulmans
?
Les signataires de cet appel se proposent
d'organiser une réunion élargie pour définir
les choix à faire dans cette période de changement
historique, et élaborer un programme de travail, et invitent
toutes les personnes intéressées à participer
à cette réunion à les contacter à
l'adresse électronique suivante :
foranewarabworld@gmail.com
Texte de l'appel
Le bouleversement démocratique
que connaît le monde arabe marque l'avènement d'une
nouvelle phase dans l'histoire de notre région. Sa portée
est d'autant plus considérable qu'il ne se situe plus
dans un cadre idéologique, nationaliste ou religieux,
mais se base sur deux valeurs essentielles qui nous sont communes
- la liberté et la justice - qui sont le fondement de
la dignité humaine. Ce renouveau se définit en
opposition avec une vision manichéenne, qui divise le
monde entre un "camp du bien " et un "camp
du mal ", sur laquelle tous les régimes dictatoriaux
avaient fondé leur légitimité politique.
Cette vague démocratique
qui déferle sur le monde arabe marque également
une rupture dans l'histoire de la région, car elle témoigne
du fait que le changement peut se faire sans l'intermédiaire
d'un "sauveur" ou d'un "chef".
L'homme qui a initié le bouleversement que vit le monde
arabe n'était pas un meneur d'hommes, mais un simple marchand
ambulant qui en s'immolant dans un village perdu de Tunisie a
enflammé le monde arabe. La portée de cet acte
est considérable, car l'émotion qu'il a suscitée
a entraîné une redécouverte de la notion
de personne humaine, mettant un terme à ce processus de
réduction qui est au cur même de la crise
du monde arabe : la réduction de l'individu au groupe
auquel il appartient, puis la réduction du groupe à
un parti qui s'arroge le droit de le représenter, et enfin
la réduction du parti au chef qui le dirige.
Ce bouleversement, semblable
par son ampleur à celui qui a suivi la chute du mur de
Berlin, n'est pas à l'abri de la violence, tant celle
des régimes hostiles au changement, que celle de tous
ceux qui tentent d'arrêter le cours de l'histoire en s'accrochant
aux idéologies qui s'effondrent.
Ce changement représente
une chance historique pour le Liban. Pendant près d'un
demi-siècle, ce pays a fait l'objet de tentatives visant,
au nom de l'arabisme, à le rendre semblable aux dictatures
qui l'entouraient. Aujourd'hui, c'est le monde arabe qui se "libanise"
et aspire à devenir démocratique, pluraliste, ouvert
sur le monde, libéré des tyrannies qui l'ont maintenu
en marge de l'histoire.
C'est dans cette perspective
de changement que les chrétiens sont appelés à
renouer avec leur rôle historique et contribuer activement
à apporter une réponse à la question fondamentale
qui se pose aujourd'hui au monde arabe : comment vivre ensemble,
égaux dans nos droits et nos devoirs, différents
dans nos multiples appartenances religieuses, culturelles et
ethniques, et solidaires dans notre recherche d'un avenir meilleur
pour nous tous, chrétiens et musulmans ?
Pourquoi les chrétiens
du Liban sont-ils en mesure d'apporter une contribution originale
dans ce domaine ?
Tout d'abord, parce qu'ils
ont, historiquement, joué un rôle d'avant-garde
dans la promotion du vivre-ensemble et cela en participant activement,
dès le XIXème siècle, à la renaissance
arabe et à la définition d'une arabité culturelle
qui allait servir de ciment aux peuples de la région,
puis en rejetant en 1920 l'idée d'un "foyer national
chrétien" et en réclamant un "Grand
Liban" regroupant des régions à majorité
musulmane, et, enfin, en refusant en 1943 le maintien du mandat
français sur le Liban et en luttant pour l'indépendance
du pays.
Ensuite, parce qu'ils ont
été les premiers, après la rupture occasionnée
par la guerre de 1975, à uvrer en vue de rétablir
le vivre-ensemble islamo-chrétien, et cela en jetant,
avec le synode des évêques (1995), les bases d'une
"sortie" de la guerre et d'une nouvelle réflexion
sur le rôle et le message du Liban, puis en initiant, avec
l'Exhortation apostolique (1997), un travail de "purification
de la mémoire", avant de mener, avec l'appel
des évêques maronites (2000), la bataille pour la
"seconde indépendance" du Liban (2005).
Enfin, parce qu'ils ont toujours
refusé de se considérer comme une minorité
préoccupée d'assurer sa protection, mais se sont
toujours perçus comme étant une communauté
"appelée, comme le souligne l'Exhortation apostolique,
à construire avec les autres communautés un avenir
de convivialité et de collaboration". Les Églises
d'Orient ont par ailleurs toujours rejeté le choix minoritaire,
estimant que "les chrétiens font partie intégrante
de l'identité culturelle des musulmans de la même
manière que ces derniers font partie intégrante
de l'identité culturelle des chrétiens"
et qu'ils sont, de ce fait, "responsables les uns des
autres devant Dieu et devant l'histoire".
La tâche essentielle
des chrétiens au Liban et dans le monde arabe est aujourd'hui
de promouvoir une culture renouvelée du vivre-ensemble
et de la paix face à la culture de la violence et de l'exclusion
qui demeure dominante et de participer ainsi à relever
le défi qui se pose, ici et ailleurs, et que notre coreligionnaire
Amin Maalouf a très bien résumé : "Soit
nous saurons bâtir en ce siècle une civilisation
commune à laquelle chacun puisse s'identifier, soudée
par les mêmes valeurs universelles, guidée par une
foi puissante en l'aventure humaine, et enrichie de toutes nos
diversités culturelles, soit nous sombrerons ensemble
dans une commune barbarie."
Cette culture du "vivre-ensemble"
doit s'incarner dans un "État du vivre-ensemble",
qui ne peut être qu'un État civil qui repose sur
une distinction claire entre l'État et la religion. Un
tel État protégerait les droits des citoyens sans
discrimination aucune, et assurerait, en même temps, à
toutes les communautés, les garanties qu'elles sont en
droit d'obtenir quant à leur liberté et leur avenir.
Cette culture du "vivre-ensemble"
doit également se traduire par une nouvelle vision de
l'arabité, une "arabité du vivre-ensemble",
débarrassée de tout contenu idéologique
visant à l'instrumentaliser au service d'un État
ou d'un parti. Cette "arabité du vivre-ensemble"
trouve son fondement historique dans l'expérience de l'Andalousie
où pendant près de huit siècles - de 711
à 1492 - juifs, chrétiens et musulmans vécurent
ensemble une expérience unique. C'est cette arabité
renouvelée qui doit prendre le dessus sur l'arabité
du ressentiment qui a conduit le monde arabe, depuis la création
de l'État d'Israël, à se replier sur lui-même,
entraînant des phénomènes de régression
qui ont considérablement entravé son développement.
Cette "arabité du vivre-ensemble" peut
apporter une contribution originale à cette modernité
"de métissage" qui commence à voir le
jour avec la mondialisation. Elle peut également servir
de fondement à la formation d'un nouvel ordre régional
arabe qui pourrait, à l'instar de l'Inde, du Brésil
ou de la Chine, participer activement à la redéfinition
en cours du nouvel ordre mondial.
Cette "arabité
du vivre-ensemble" doit se traduire par une nouvelle
vision du Moyen-Orient, un "Moyen-Orient du vivre-ensemble"
sur la base de l'initiative de paix lancée par les Arabes
qui appelle à la création d'un État palestinien
indépendant, initiative dont le succès nécessite
l'intervention de la communauté internationale pour sortir
les Israéliens de la "prison" dans laquelle
leurs crispations identitaires les ont enfermés et qui
menacent aujourd'hui de faire d'Israël un État théocratique.
Elle doit également
se traduire par une nouvelle vision de la Méditerranée,
une "Méditerranée du vivre-ensemble"
entre les peuples qui bordent ses rives et les cultures auxquelles
ils se rattachent et dont le prolongement s'étend bien
au-delà de la Méditerranée. Car celle-ci
demeure aujourd'hui "la mer de toutes les fractures",
entourée de conflits majeurs porteurs de ségrégations
religieuses et de purifications ethniques et nationales dont
nul n'est plus à l'abri.
Les signataires
> 28/05/2011
>
Les signataires sont
des hommes politiques, des personnalités académiques,
des intellectuels, des syndicalistes et des militants de la société
civile.
Ibrahim Gemayel, Edmond Rabbath, Assaad
Bechara, Élias Abou Assi, Élias Hoayek, Élias
Chalhoub, Élias Atallah, Élias Moukheiber, Émile
Najem, Antoine Courban, Élie el-Hajj, Élie Kirillos,
Adib Basbous, Adib Farha, Asma-Maria Andraos, Aline Karim, Ayman
Mehanna, Bassam Gerges, Bachir Nassib el-Khoury, Belinda Ibrahim,
Bahjat Rizk, Bahjat Salameh, Tom Harb, Jad Ghorayeb, Jean Badih
Harb, Jabbour Doueyhi, Jihad Farah, Jihad Mouraccadeh, Georges
Tabet, Georges Melhem, Georges Younès, Joseph Geagea,
Joumana Nasr, Hatem Hatem, Khaled el-Hachem, Khairallah Khairallah,
Danielle Gerges, Dina Lteif, Rafic Doumit, Roger Sfeir, Riad
Tok, Reem el-Khoury, Raymond Maalouf, Ziad Sayegh, Ziad Khalifé,
Ziyad Makhoul, Sabine Bustros, Sarah Assaf, Sami Nader, Sarah
Maalouf, Saad Kiwan, Said Moawad, Sélim Mouzannar, Samir
Abdel Malak, Samir Frangié, Simon G. Karam, Charles Jabbour,
Charbel Abou Charaf, Chawki Dagher, Chawki Azouri, Chawki Karam,
Shirine Abdallah, Sooud Abi Chebel, Tannous Moawad, Youssef Moawad,
Tony Habib, Tony Darwich, Adel Sassine, Abdallah Kayssar el-Khoury,
Abdallah Haddad, Abdallah Zakhia, Aziz Karam, Imad Moussa, Ghada
Saghieh, Ghattas Khoury, Fares Souhaid, Fouad Choufani, Fouad
Farah, Philippe Souhaid, Carlos Eddé, Carole el-Murr Farah,
Chryssoula Fayad, Karim Émile Bitar, Kamal el-Batal, Kamal
Yazigi, Kamal Richa, Kamal Nakhlé, Marie-Christine Moujabber,
Martine Tchopourian Hochar, Marwan Sakr, Maha Moawad, Michel
Abou Abdallah, Michel Touma, Michel Hajji Georgiou, Michel Lyan,
Michel Mecattaf, Michel Youssef el-Khoury, Mayla Bakhache, Nayla
de Freige, Nabil Hokayem, Nabil Kharrat, Natalya Dzyadyk Habib,
Najib Zouein, Nada Abi Akl, Nassim el-Daher, Nasser Farah, Hicham
Abou Nassif, Wajdi el-Hachem, Wissam Fayad, Walid el-Hachem,
William Thornton, Youssef Faddoul, Youssef Nohra.
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