Capture de Captagon
à Beyrouth

novembre 2015

Cela sonne comme le titre d’un film d’OSS 117. Le 26 octobre, deux tonnes de Captagon étaient saisies à Beyrouth, sur un avion privé en partance pour l’Arabie Saoudite. Le chargement est estimé à 250 millions d’euros. Ce fait divers est un événement politique tant en raison des circonstances que de la personnalité du principal accusé.

Ce dernier est un prince saoudien de 29 ans, l’émir Abdel Mohsen ben Walid ben Abdelaziz al-Saoud. Neveu du gouverneur de la province d’Haël, son avion s’apprêtait à partir pour cette région. La marchandise était conditionnée dans des cartons portant l’emblème de l’Arabie Saoudite.

Il faut savoir les autorités de la péninsule arabique saisissant chaque année plusieurs tonnes de cette drogue, le Captagon, connu dans les milieux pharmaceutiques sous le nom de fénéthylline. Utilisé autrefois comme médicament, c’est un euphorisant qui, de plus, rend insensible à la fatigue ou à la douleur. Outre sa consommation récréative, le Captagon a aussi un emploi militaire : il est administré aux recrues des groupes jihadistes, principalement en Irak, pour les rendre plus efficaces au combat et annihiler leur peur avant une attaque terroriste.

Une première question se pose : à qui était destiné le chargement de Captagon du jeune prince ? À la consommation locale par les oisifs de la société saoudienne ou devait-elle repartir, au moins en partie, pour les théâtres jihadistes de Syrie et d’Irak ? Haël est en effet devenu une place de marché pour trafics en tous genres et d’abord celui des drogues. Ce n’est pas tout...

Jusqu’à 2011, le Liban était le principal producteur illicite de Captagon dans le monde. De l’aveu même d’officiers libanais, le Hezbollah, milice et parti politique du pays, avait la maîtrise des laboratoires et de l’exportation de ce produit. Si la production a été largement délocalisée en Syrie, des responsables du parti chiite continuent de superviser l’exportation de Captagon à travers l’aéroport de Beyrouth. Le Hezbollah a en effet un oeil sur la sécurité des lieux, à travers la Sûreté générale aux mains de plusieurs de ses membres. Le directeur lui-même, le général Abbas Ibrahim, est un proche de ce parti.

Autrement dit, il était d’autant plus facile de savoir le contenu des cartons du Saoudien que par ses contacts, la Sûreté générale ne pouvait qu’être informée du passage de la drogue.

Cela donne bien sûr une dimension un peu mafieuse au malheureux Pays des Cèdres. C’est, hélas ! Le reflet d’un certain Liban, d’un pays que nous n’avons pas su protéger des menées de la Syrie des Assad et de la République islamique d’Iran. Dans l’affaire de la prise de Captagon, nous sommes bien obligés de conclure que le jeune émir saoudien a été piégé.

Néanmoins, chez les voyous plus encore, « business is business ». En d’autres termes, les intérêts sont sacrés. Pourquoi donc faire arrêter un client et mettre ainsi en péril un juteux trafic ?
Des motivations hautement politiques ont dû l’emporter sur le précepte commercial. Par exemple, grâce à l’arrestation d’un membre de la famille royale saoudienne, l’Iran, maître du Hezbollah, pourrait vouloir jeter le discrédit sur son ennemi, l’Arabie Saoudite (1). On peut aussi relier cette affaire à la condamnation à mort le 15 octobre 2015, en Arabie Saoudite, du cheikh chiite Nimr Baqir al-Nimr. Opposant politique, il est accusé de comploter avec les Iraniens contre le royaume.

Pris à dessein en otage, « l’émir du Captagon » ne serait qu’une monnaie d’échange. C’est ce que l’on pense ouvertement au Liban.

Note

(1) L’Arabie Saoudite est en conflit direct avec des « proxies » de l’Iran au Yémen, et plus indirectement en Syrie.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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