SERGENTS RECRUTEURS DU TERRORSIME

 En juillet, les attentats de Londres ont mis en évidence une réalité nouvelle : les terroristes se recrutent aujourd'hui dans la population des enfants d'immigrés. On les dits " immigrés la deuxième génération, " par souci d'exactitude, on devrait préférer l'appellation de " citoyens musulmans. " Comment devient-on un terroriste islamiste ? D'abord en s'engageant dans la voie de l'islamisme. Au cours d'une enquête, Ali Khodja a essayé d'apporter quelques éléments de réponses.

septembre 2005

 

 Belleville à Paris. Hassan et Youssef, la trentaine passée, sont attablés devant un express. Le premier, un mètre 90, 95 kilos, porte une barbe épaisse qui lui tombe sur la poitrine. Son compère, maigre mais de taille moyenne, a des yeux gris bleu.

 Ils aiment parler d'eux. A les entendre, ils ont tout fait : " dépouillage " (1), guetteurs ou passeurs au service de différents trafics, " dealers " de drogues et même braqueurs. " Tout, sauf la prostitution, " répète Hassan à plusieurs reprises.

" C'était dans les années 90, j'étais dans le " haram " (2), précise Youssef. J'accumulais les courts séjours en prison, refusant toute autorité. C'est en détention à Nanterre que j'ai fait la connaissance d'un barbu, comme on les appelait. Il m'a parlé de religion. Puis il m'a proposé de partir en voyage à ma sortie de prison. Il voulait m'envoyer au Pakistan, via l'Angleterre et l'Allemagne. C'était un Tabligh (3). Mais quand je suis ressorti, j'ai retrouvé mes copains et j'ai laissé mes résolutions religieuses au placard."

Hassan lui coupe presque la parole : " C'est en 1997, 1998, que nous avons commencé à prendre conscience du gâchis de nos vies. On voyait des types, comme nous dans la délinquance. C'était les contrôles d'identité incessants, les arrestations, les bavures policières. C'était vraiment injuste quoi… " Je me retiens de faire remarquer à Hassan qu'il aurait évité tous ces ennuis en menant une vie normale.

Il continue : " En 2000, c'est la mort de Riyad Hamlaoui, un jeune de Lille, qui a provoqué le déclic. Au mois d'avril il a été tué, au volant d'une voiture, d'une balle dans la nuque tirée par les policiers. Ils disaient qu'il avait volé la voiture (4). Pendant trois jours, les gens se sont révoltés, comme des enragés, ils cassaient tout. C'est le recteur de la mosquée qui est parvenu à ramener le calme grâce à la force de la religion… "

Une question me brûle les lèvres. " Comptez-vous beaucoup de délinquants parmi les reconvertis ?
- Quelques-uns, "
répond évasive-ment Youssef.
Hassan chuchote quelques mots à l'oreille de son compagnon. Je le sens, j'ai touché un point sensible. J'insiste néanmoins.

" Oui, il y a d'anciens délinquants, comme nous, concède Youssef, mais les jeunes de la nouvelle génération sont trop impulsifs pour nous rejoindre. Ils veulent de l'argent et des biens matériels. Ils ne veulent pas s'insérer dans une communauté pour servir une cause… "

Soudain, ces mots m'éclairent. Youssef et Hassan sont en quête d'absolu. D'autres auraient préféré une secte ou seraient entrés au parti communiste. Eux, ils ont choisi l'islam dans sa version intégriste. Le référent le plus proche de leur culture familiale.

Un point cependant m'étonne. " Comment avez-vous pu accepter les contraintes de la religion alors que vous refusiez les lois de la République ?
- Ces lois nous oppressaient car elles ne nous donnaient pas de repères. Celles de la religion nous ont non seulement guidés mais aussi libérés des contraintes étatiques. Elles nous montrent la voie d'un combat bien plus grand à mener… "

Ces mots me glacent. Mis en condition par des manipulateurs, Hassan et Youssef peuvent basculer. Sans doute sans le savoir, ils font partie de cette réserve d'hommes prêts au sacrifice final.Sont-ils nombreux comme eux? Je reviens sur une question précédente.

" Je vous l'ai dit, dans les cités, nous avons du mal à trouver des gens prêts à servir la cause de Dieu. Nous recrutons de plus en plus dans les universités… "

Un aveu de la relative faiblesse de leur pouvoir de séduction auprès des populations des " quartiers. " Cependant, mes interlocuteurs m'ou-vrent une autre piste, celles des milieux étudiants. Après tout, à Londres, les auteurs des attentats des 7 et 21 juillet appartenaient à cette catégorie. Comme ceux, du reste, du 11 septembre 2001 aux États-Unis.

Un réfugié politique algérien va me servir de guide. 32 ans, le visage émacié, il affiche un air perpétuelle-ment inquiet. Appelons-le Ali.

" J'ai rencontré des gens bizarres, me confie-t-il, les Arrangeurs, comme ils se nomment. Ce sont des Maghrébins. Ils ont proposé de m'aider dans mes démarches. Ils se réunissent, m'ont-ils expliqué, pour présenter, les uns aux autres, les solutions qu'ils ont trouvées à leurs difficultés d'insertion dans la société française. A leur invitation, je me suis rendu à l'une de leur réunion. Là, je suis tombé de haut… "

Je fais une recherche. Étrangement, " les Arrangeurs, " qui se présentent pourtant comme une association, ne sont pas enregistrés auprès des autorités. Avec l'aide d'Ali, je prends contact avec eux.

De cette manière, je rencontre Ibrahim, ingénieur du son de son métier, dans un café des Halles. La trentaine, lui aussi, la peau mate, il a un regard dur. Je lui demande quels sont les objectifs de son association. Étourdissant tête à tête : " La nouvelle génération d'origine maghrébine est formée et intégrée à la société, explique Ibrahim. Nous ne connaissons plus ce sentiment d'infériorité et de peur dont souffraient nos parents. Il est difficile de nous effrayer. Que peut faire le pouvoir contre nous ? Hier, il pouvait nous expulser, avant-hier, nous assassiner. Aujourd'hui, qu'avons-nous à craindre ? De perdre notre emploi ou des avantages acquis ? Qu'est-ce cela face à notre dignité ? "

 Je relance : " Vous vous sentez persécutés, vous pensez la France islamophobe ?

- Il n'y a aucune islamophobie, ni en France, ni ailleurs dans le monde. Seulement un racisme politique anti-musulman et anti-islamique de la part des démocraties fascistes d'Occident et de leurs alliés. "

Je pousse plus loin : " Comment justifier les attaques du 11 septembre 2001, celle de mars 2003 à Madrid ou de juillet dernier à Londres ?

- Le Dieu vengeur de l'Ancien testament a permis la justification de bien des crimes… On utilise les termes de radicalisme, d'extrémisme et de terrorisme musulmans pour justifier les positions racistes des institutions françaises et du peuple français. Ces clichés débités par les médias et les institutions de ce pays depuis des décennies sont destinés à faire des combattants musulmans des boucs émissaires. Je parle de ces hommes qui luttent pour défendre leurs terres, leurs familles, leurs maisons, leur religion… "

 

 

Pas besoin d'un dessin pour comprendre. Mon interlocuteur parle de la Palestine, de l'Irak, de la Tchétchénie… Voilà le problème : sa colère, et celle de ses pareils, s'alimente d'une réalité. Je reprends citant le Coran, dans les versets 200 à 202 de la sourate 2, qui se terminent par les mots :

 " … Mais Dieu n'aime pas celui qui fait le mal. Quand on lui dit : " Crains Dieu, " l'orgueil s'empare de lui dans le crime… "

" Cet homme des versets 200 à 202 ne ressemble-t-il pas à Ben Laden ? Attaquai-je.

- Le Cheikh Abou Abdallah Ibn Laden ne fait pas le mal décrit dans les versets 200 à 202.. Ce qui arrive aux musulmans aujourd'hui n'est que la douleur précédant la victoire de l'islam…

 

 - Vous voyez une guerre contre l'islam ? Répliquai-je.

- La religion les gêne. Ils font tout pour l'éliminer. Ils ne reculeront devant aucun holocauste, aucun nettoyage ethnique, aucune guerre dévastatrice. Mais l'islam ne se laissera jamais dominer par ces nations du diable… Ils ont un plan diabolique pour anéantir plus de la moitié de l'humanité jugée indésirable, pour réduire les survivants à l'esclavage, pour faire profiter une élite de banquiers usuriers, ces faiseurs de guerres et ces fabricants d'holocaustes, avec leurs entreprises multinationales… "

 

 L'écoutant, je sens à quel point le discours de George W. Bush fait pièce avec le sien. Pire, combien sa paranoïa ressemble à celle des extrémistes sionistes.

Je quitte Ibrahim un zeste d'amertume dans la bouche. Je comprends sa soif de justice, mais je tremble, entendant un technicien formé en France parler avec un tel fanatisme.

La haine et la folie n'expliquent pas tout. Il y a chez ces hommes perdus une fascination pour la dimension surnaturelle. Un besoin inassouvi d'absolu. A cela, l'Occident, trop matérialiste, ne sait pas répondre. Et si c'était l'un des aspects du problème ?

Ali Khodja

 

NOTES

(1) Attaques en bandes ou petits groupes pour forcer d'autres jeunes à donner leur argent ou un objet de valeur, comme un blouson de marque. Courant à la sortie des lycées.
(2) " L'interdit " selon les règles coraniques. En d'autres termes le péché.

(3) Le Tabligh est une organisation intégriste musulmane qui, jusqu'à ces dernières années refusait de se mêler de politique et de prôner le " jihad. " Des informations semblent indiquer que le Tabligh s'est affranchi de ces autolimitations.
(4) Les 15 et 16 avril 2000, une patrouille de deux policiers interpelle deux jeunes d'origine maghrébine dans une voiture en arrêt que les représentants de l'ordre croient volée. La nuit est sombre, la visibilité limitée. L'un des policiers s'affole. Il tire à bout portant et tue le jeune homme installé derrière le volant. La tragédie est perçue comme un acte raciste par la communauté maghrébine.



Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

 

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