Ce mois de février a vu en Haïti d'étranges élections. Après une campagne faite d'injures et de calomnies, on apprenait le candidat René Préval, le mieux placé au scrutin du 7 février 2006, ayant obtenu 48,76% des voix. Selon la Constitution du pays, comme chez nous, un deuxième tour devait donc prendre place. |
février 2006 On entendit alors les diplomaties des États les plus regardant en matière de démocratie, la France et les États-Unis en tête, soutenir l'idée d'" une formule permettant de déclarer Préval vainqueur " sans envoyer les électeurs une seconde fois dans l'isoloir. |
Simple comme bonjour : à leur incitation, on a changé les règles du jeu, éliminant du comptage 85 000 bulletins blancs, soit 4,7% des suffrages exprimés. Et le 15 février, la Communauté internationale d'accueillir vertueusement le nouveau résultat élevant Préval à la magistrature suprême avec un score de 51,15%. Trêve d'ironie, cette entorse faite à la légalité révèle le trouble dans lequel se trouve la Communauté internationale dans un pays, Haïti, qui semble frappé par le mauvais sort. Tout commence avec la découverte de l'île par Christophe Colomb, en 1492. Les Espagnols y déciment la population locale, des Indiens Arawaks, et en quête de main d'oeuvre importent des esclaves noirs d'Afrique. Néanmoins, basée sur un ordre injuste et cruel, la situation ne pouvait durer. L'île étant passée sous autorité française, suivant de peu la Révolution, avec Toussaint Louverture les esclaves noirs se soulèvent et, en quinze ans, ruinent le pays qui ne connaîtra plus que démesure. Toussaint Louverture instaure une dictature et impose le travail forcé. Ancien esclave lui aussi, Dessalines le remplace en 1804, proclame l'indépendance et se déclare empereur. A l'assassinat de Dessalines, en 1806, la confusion s'instaure un peu plus en mode de gouvernement avec le roi Christophe. Puis l'est de l'île, à majorité blanche, se sépare en 1844 pour renouer avec la prospérité sous le nom de Saint-Domingue. Et les événements tragi-comiques de jalonner l'histoire d'Haïti, la partie Ouest. Eclatant en 1842, la jacquerie dite " des Piquets " est noyée dans le sang. Entre 1849 et 1859, l'empereur Faustin 1er s'en prend aux mulâtres et déclare le vaudou, importé d'Afrique, religion d'État. En 1915, prenant prétexte d'une émeute dans la capitale, les États-Unis envoient un corps expéditionnaire et, en 1918, exterminent 15 000 " Cacos, " nom donné aux " résistants " de l'époque. Désespérant d'apporter l'ordre américain, Washington se retire en 1934. François Duvalier est élu Président en 1957. Il exalte la négritude, crée une milice, les " Tontons Macoutes, " et règne par la terreur. A sa mort, en 1971, son fils Jean-Claude lui succède mais, en février 1986, il doit fuir le pays, poursuivi par la vindicte populaire. Suit un régime militaire et, en décembre 1990, l'élection de Jean-Bertrand Aristide, le prêtre des pauvres. Mais, désavoué par l'Église, le brave homme, trop âpre au gain, provoque un coup d'État militaire et son exil en 1991. Sous protection américaine, il rentre au pays en 1994. Préval est le compagnon de route d'Aristide. En créole, son " marassa, " son frère jumeau politique. Son Premier ministre, quand il est Président. Le Président quand Aristide ne peut pas se représenter en raison des règles constitutionnelles. Mais, en 2004, une insurrection chasse Aristide du pouvoir. Cette fois, la communauté internationale le condamne aussi. Les Nations unies dépêchent une force de paix. Mais rien ne change. Des gangs contrôlent le pays. 20% de la cocaïne qui entre aux États-Unis transite par les ports clandestins haïtiens et 80% de la population vit avec moins d'un dollar par jour. Dans ce contexte, Préval apparaît comme un pis aller. Si son élection au premier tour avait été refusée par la Communauté internationale, il l'avait dit : " mon parti va contester, le peuple va contester. " En d'autres termes, moi ou la chienlit. Or, il faut le prendre au sérieux, il jouit de beaucoup d'influence sur les " Chimères, " milices créées par Aristide en substitution des " Tontons Macoutes. " |
Jean-Bertrand Aristide sous le pinceau du peintre à son retour à Haïti en 1994.
|
Toute la puissance des Nations unies n'aura servi à rien. Le malheur colle au destin d'Haïti. |