LES RÉSEAUX TERRORISTES DE L'ETA

 EN FRANCE

 

Novembre 2002

Le 5 novembre, 11 heures du matin, à la gare d'Agen. Les policiers locaux contrôlent deux Espagnols. Portant chacun un pistolet, ils appartiennent à un réseau de l'ETA. Ils recrutaient sur le sol français pour le mouvement terroriste basque espagnol. L'un d'eux, Antonio Agustin Figal Arranz, est soupçonné d'avoir tué un gendarme près de Pau un an plus tôt.

 Vendredi 19 avril, à potronminet, la police frappe à la porte d'un couple d'enseignants de Ciboure. Non loin de Saint-Jean-de-Luz. Elle surprend au gîte José Maria Zaldua Corté, un Basque espagnol, haut responsable de l'ETA, recherché depuis 1986 pour assassinat et détention d'armes. Ses hôtes s'appellent Ladislas Lanouguere, un Basque français âgé de 43 ans, et Marie-Hélène Marguirault, dans la région depuis deux générations.

Le 22 avril, en plein Madrid, une voiture piégée saute avec 15 kilos d'explosif. Depuis le début de l'année, en Espagne, c'est le troisième attentat imputé à l'ETA. L'organisation a tué plus de 800 personnes de 1968 à aujourd'hui.

La France sert de base arrière aux réseaux de l'ETA depuis l'époque franquiste. Mais, la situation se complique à la fin de 2001 quand les hommes de l'ETA s'en prennent à nos gendarmes.

Le 17 novembre de cette année là, au cours d'un contrôle de routine, ils tirent sur un motard et le laissent pour mort, à Sauvagnon, à côté de Pau. Dans la même région, le 28, ils vident leurs armes sur un policier gisant déjà blessé sur le sol. Le 5 décembre, à quelques kilomètres d'Auch (Gers), ils foncent en voiture sur une patrouille. Les forces de police contre-attaquent. Début décembre, au cours de deux opérations, elles arrêtent sept activistes de l'ETA planqués à Auch. Le 31 janvier de cette année, elles interpellent 6 membres de l'organisation dans un appartement du Bouscat (Gironde). Avec eux, elles trouvent du matériel destiné à la confection de bombes.

Les explosifs sont le fil d'Ariane permettant de remonter aux complicités françaises.

Le 26 janvier, sur commission rogatoire, la gendarmerie force la porte d'un pavillon aux allures de fausse ferme landaise à Serres-Castet, dans la banlieue résidentielle de Pau. L'endroit sent les résineux, presque les vacances. La veille, le propriétaire des lieux a alerté la maréchaussée. Il loue la maison à un couple depuis septembre 2000. "Des gens aimables qui payaient leur loyer à l'avance". Brusquement, les versements ont cessé deux mois plus tôt.

Un voisin, vieux monsieur de 80 ans, nous reçoit dans son salon. "Depuis deux mois témoigne-t-il, les volets restaient toujours ouverts et la télé demeurait allumée en permanence. Et puis, ajoute-t-il, personne ne vidait plus la boîte aux lettres". Une moto et la voiture, une 504, n'avaient pourtant pas bougé.

Les plaques d'immatriculation sont fausses constatent les enquêteurs. Dans le hangar, ils tombent sur 700 kilos d'explosif. A l'intérieur de la maison, à part un matelas posé sur le sol, quasiment pas de mobilier. Des vêtements abandonnés traînent. On pense à un départ précipité. Dans une petite pièce du rez-de-chaussée, les gendarmes découvrent un atelier de fabrication de bombes. Un livre, une jardinière de fleurs, un repose-tête de voiture et une sacoche de vélo, bourrés d'explosif, sont munis d'un système de mise à feu à distance. Les documents saisis permettent d'identifier une cellule de l'ETA.

De toute évidence, la pression policière, depuis le mois de décembre, a provoqué la panique des résidents. Mais, il y a plus intéressant. 400 kg de dynamite sont du butin. Or, ils proviennent d'un stock de 8 tonnes, dérobé le 29 septembre 1999 à une entreprise de Plevin, dans les Côtes d'Armor. Pour réussir pareil coup, l'ETA avait eu besoin d'un soutien logistique local. Preuves à l'appui, au ministère de l'Intérieur, on confirme. L'ARB, mouvement autonomiste breton avait fourni l'aide de ses militants.

On prend conscience de l'étendue des ramifications de l'ETA côté français. D'abord au Pays basque. M. C. est agriculteur. La quarantaine, il aime les bons mots, en français, à l'occasion en basque. Mais, quand on lui parle des indépendantistes, il voit rouge. "Ils sont fous, éructe-t-il, ils voudraient nous faire retourner au moyen-âge". Il ne veut pas que son nom paraisse. "Même en France, ils peuvent vous éliminer," explique-t-il.


"Tout a commencé dans les années 50, dit-il, des prêtres et des étudiants ont créé l'association Enbata. Ils ont travaillé la jeunesse. Dans les années 60, au collège catholique de Mauléon, deux membres du clergé embrigadaient les enfants en leur enseignant des chants nationalistes basques". En 1974, Enbata était interdite pour avoir approuvé les actions terroristes de l'ETA. Mais ces prêtres, de gauche, poursuivaient leur travail de sape.

L'État français participait à la manipulation en subventionnant les "ikastolas," des écoles en langue basque, transformées en centre de propagande. Les terroristes espagnols allaient trouver à leur sortie un vivier de recrues.

Issue de ce circuit scolaire très spécial, née à Cambo Les Bains, près de Bayonne, Laurence Beyrie a 26 ans. D'abord amie de cœur de plusieurs hauts responsables de l'ETA, elle devient agent de liaison de l'un d'eux et entre dans la clandestinité courant 2000. Le 12 décembre 2001, arrêtée à Auch, un policier anticipe sur son geste. Elle allait se saisir d'un pistolet automatique et vider le chargeur sur les forces de l'ordre.

On aime les petites mains de l'Hexagone à l'ETA. En mars 1998, David Gramont, un plombier français de 25 ans, avait été intercepté dans une station service espagnole. Il conduisait un camping-car contenant 240 kilos d'explosif qu'il devait livrer au commando Andalousie d'ETA. Aujourd'hui, il purge une peine de 18 ans de prison.

"Disparue" depuis trois ans, Laurence Guimon, Basque française, en juillet dernier commande pour plus de 91 000 euros de matériel électronique auprès d'une société britannique. Il s'agit de pièces permettant de confectionner des systèmes de mise à feu de bombes. Les fournisseurs s'en inquiètent.
Interrogée, Laurence Guimon permet l'arrestation de cinq personnes "suspectées," comme dit la justice, d'appartenir à l'ETA. Fait partie du lot Didier Aguirre, un Français âgé de 25 ans de la même région qu'elle. Il avait loué des maisons et appartements servant de planques à Dax, Pau et Toussuire (en Savoie). Avec ses amis, il "aurait" dérobé 1,6 tonne de dynamite et 20 000 détonateurs dans un entrepôt de la région grenobloise et préparait un autre vol d'explosifs en Savoie.

 Là, l'esprit de l'enquêteur "flashe". La Savoie et la Bretagne, sont deux régions à militance indépendantiste. Deux régions, aussi, où l'ETA s'approvisionne en explosifs. Existe-t-il, en France, une "internationale des indépendantistes?"

Il faut se rendre à Saint-Martin-d'Arrossa. Adossé à la montagne, ce petit village basque se trouve au débouché des chemins de contrebande venant d'Espagne. Tous les derniers week-ends de juin, depuis six ans, s'y tient un "festival alternatif". Traduisez par fête des courants soixante-huitards et dérivés. Sous prétexte de musique on joue du "rock des peuples" breton, corse ou occitan. Des Français, on n'entend pas parler. Sinon pour les dénigrer.

Puissance invitante, les indépendantistes basques tiennent le haut du pavé. On chante: "Quand tu vois un poulet, c'est la tradition, tu lui jettes des cailloux et tu lui mets des gnons. Et vraiment, si tu veux pas t'emmerder, ton poulet tu le fais sauter". Entre initiés, on appelle cela de la "musique identitaire".

20 000 spectateurs se côtoient à cette fête. 21 concerts et autant de représentations théâtrales s'y déroulent. Un millier de bénévoles montent les estrades et la sono. D'où viennent les organisateurs?

Les banderoles anti-mondialisation donnent un début de réponse. Celle qui surmonte le podium, par exemple: "L'Eurock des peuples contre la World Company". On croise des trotskistes, des anarchistes et autres gauchistes. Une militante confirme: "Pour soutenir les "aberzales," Alain Krivine est venu à plusieurs reprises au Pays-basque". Par "aberzales," comprenez militants autonomistes basques.

"Un agriculteur local affilié à la Confédération paysanne prête son champ pour recevoir le festival," apprend-on au détour d'une conversation. En fait, il est inscrit à ELB, "le" syndicat agricole basque rattaché à celui de José Bové.

En attendant l'autonomie, voire l'indépendance, cette organisation réclame la division des Pyrénées-Atlantiques en deux départements. L'un pour les Basques, l'autre pour les Béarnais, "complices du colonialisme français."

Bové, lui aussi, jouit d'une liaison directe avec les Basques espagnols. Dans la ville de Millau, au pied du plateau du Larzac, où il sévit, son ami Inaki Aranceta tient un bar, "La Locomotive". Ce dernier s'est enfui à pied d'Espagne en 1978. Aujourd'hui grisonnant, sourire en coin, il refuse d'avouer la cause de son départ précipité. Par contre, il reconnaît sans ambages: "Arrivé en France, ce sont des paysans basques, qui m'ont donné le nom de José Bové". Puis goguenard, il ajoute: "Cela fait des années que nous faisons de la subversion avec José, et nous savons le faire..."

On comprend mieux le soutien de l'extrême gauche à la cause des activistes basques prisonniers en France et en Espagne. Le 6 mars, encore, elle se manifestait contre l'extradition de Juan Mari Olano, Basque espagnol arrêté à Bayonne et suspecté de servir les intérêts de l'ETA. Parmi ses défenseurs figurent le PCF, les Verts, la Ligue communiste révolutionnaire et, bien sûr, la Confédération paysanne de José Bové.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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