LE HIZB UT-TAHRIR
Un parti islamiste dont personne ne parle

juillet 2012

Son idéologie ressemble beaucoup à celle des Frères musulmans qui apparaissent comme la matrice de la plupart des mouvements islamistes nés dans la deuxième moitié du XXème siècle. À la différence de ces derniers cependant, il n’est pas une organisation de masse et ne recrute que dans les milieux éduqués. Il ne prône pas non plus le recours à la violence et, pour cette raison, n’apparaît pas sur la liste des organisations terroristes. Résultat, on l’ignore et il répand librement sa propagande du Maroc à l’Asie centrale et jusque dans les pays occidentaux parmi les jeunes musulmans.

Le Hizb Ut-Tahrir, ou Parti de la Libération, est né à Jérusalem en 1952, pour les uns, pour les autres, à Amman en Jordanie en 1953.


Cette divergence sur sa date de fondation s’explique par le fait qu’en réalité sa mise sur pied a été progressive, résultant de la pensée de son fondateur, Taqiuddin Al-Nabhani, un théologien musulman qui se déplaçait dans la région moyen-orientale (voir ci-contre).

En 1977, à la mort de Al-Nabhani, le cheikh Abdel Qadir Zalloum prit la direction du mouvement jusqu’à sa mort en 2003. Ata Abu Rashta l’a remplacé. Palestinien comme ses deux prédécesseurs, il est né en 1943. En 1948, avec sa famille, il fut chassé par les Israéliens de son village, Ra’na, et grandit dans le camp de réfugiés d’Hébron.

En 1966, il obtint un diplôme d’ingénieur en génie civil à l’Université du Caire. Il était déjà membre du Hizb Ut-Tahrir depuis une dizaine d’années et, dans les années 80, devint un dirigeant du mouvement en Jordanie et assuma les fonctions de porte-parole.

Dans le même temps, il a travaillé dans plusieurs pays arabes où il exerçait sa profession et a écrit un livre technique sur la construction des immeubles et des routes. Ses activités politico-religieuses inquiétaient néanmoins le pouvoir. Incarcéré à plusieurs reprises par les autorités jordaniennes, il a passé en outre trois ans en prison, à partir de 1995, à la suite de la publication d’une interview. Il était accusé d’appartenance à « une organisation non reconnue ».

Depuis sa nomination à la tête du Hizb Ut-Tahrir, il multiplie les conférences au Pakistan, en Indonésie, au Yémen et en Grande-Bretagne, prouvant l’implantation du mouvement et de ses idées à travers le monde.

Le Hizb Ut-Tahrir se prétend présent dans 70 pays. En réalité, il est surtout actif au Moyen-Orient et en Asie centrale, dans des pays comme l’Ouzbékistan et le Tadjikistan.

D’après les informations que nous avons reçues de nos correspondants, depuis 2012, le mouvement a amplifié son activité en Afghanistan en prévision du départ des forces occidentales. Il aurait recruté 5000 jeunes gens dans les universités du pays, principalement dans les provinces persanophones du nord (Kundoz Takhar, Badakhshan) mais aussi au sud chez les pachtounophones (Nengahar, Parwan, Ghazni, Laghman) et à Kaboul. A la mi-février 2012, le Hizb Ut-Tahrir a organisé un colloque à Peshawar, au Pakistan, avec l’assentiment des autorités locales.

Les Américains seraient mal venus d’y trouver à redire. Au début du mois d’avril dernier, le mouvement donnait une conférence à Kaboul. Mieux, il publiait un article dans un hebdo militaire américain, DVIDS, pour relater l’événement. Il est vrai, la conférence avait pour thème la corruption des élites en Afghanistan, un point d’accord avec les Américains, et le texte ne contenait rien d’infamant à leur endroit.

Dans sa propagande, le Hizb Ut-Tahrir se montre autrement plus radical. Il qualifie les Occidentaux de « croisés » et d’« impies », terme insultant aux yeux des musulmans, et, en Afghanistan, refuse tout accord entre les Américains et les Taliban.

Le coeur de son idéologie repose sur la remise sur pied du califat, disparu avec la chute de l’empire ottoman à la suite de la Première Guerre mondiale, et la nomination d’un calife. En clair, il veut réinstaurer une autorité centrale pour tous les musulmans. Il voit dans le retour au califat et à « la pureté islamique », le seul moyen de redonner sa puissance passée au monde musulman, tout ceci impliquant l’application de la charia comme loi de la cité.

Le recrutement est concentré sur les étudiants pauvres mais prometteurs. Le mouvement les aide financièrement et facilite leur inscription dans les universités égyptiennes pour y terminer leurs humanités. Il crée aussi des sociétés privées, comme des entreprises de transport ou de construction, déclarées sous le nom de personnes privées appartenant à ses structures.

Certes, le Hizb Ut-Tahrir est loin d’emporter l’adhésion de tous les musulmans. Son appel au retour du califat est même refusé par le plus grand nombre des islamistes. Néanmoins, son entrisme et sa capacité de recruter parmi les futures élites font de lui un acteur d’importance pour l’avenir. De plus, s’il n’appelle pas aujourd’hui à la violence, son discours de haine à l’égard de l’Occident l’amènera un jour au conflit direct contre lui.

Alain Chevalérias

Taqiuddin Al-Nabhani
un érudit doublé d’un idéaliste

Il est né en 1909 dans le village d’Ijzim, en périphérie de Haïfa, d’un père lui-même érudit en matière de jurisprudence islamique.
La Palestine est alors sous domination ottomane et gouvernée par le sultan dont les ancêtres avaient pris le titre de calife, chef devenu héréditaire des musulmans.
A la fin de la Première Guerre mondiale, l’effondrement de l’empire devant la puissance militaire alliée cause chez lui un choc profond. Ses réflexions l’amènent à interpréter cette défaite comme celle de tous les musulmans et à considérer la réinstauration du califat comme un but indispensable.
Cependant, pour y parvenir, il n’envisage pas le recours à la force mais à « la raison » et au dialogue des musulmans.
Ses historiographes ne se font guère prolixes sur ses relations avec les Frères musulmans, dont le mouvement est apparu en Égypte en 1929. Il a pourtant été très proche d’eux. D’abord aux universités du Caire, Al-Azhar et Dar Ul-Ulum, où il s’inscrivit en 1928. Ensuite avec Sayyid Qutb (1906-1966), théoricien de la confrérie qui, après la mort de son fondateur, Hassan Al-Banna (1906-1949), se fit l’apôtre du recours à la force pour renverser le pouvoir jugé non musulman du leader égyptien. Al-Nabhani adopte une ligne moins radicale mais néanmoins toute aussi anti-occidentale.
Il se tourne vers la carrière judiciaire, qu’il exerce en Palestine de 1932 à 1948. Avec la première guerre israélo-arabe, il se réfugie en Syrie mais est rappelé comme juge à Jérusalem dans la partie de la ville sous contrôle jordanien. En 1951, il démissionne. C’est alors qu’il fonde le Hizb Ut-Tahrir.
En 1953, il part pour la Syrie puis s’installe au Liban en 1959. Par décret, il est interdit en Jordanie. Lors d’un voyage en Irak, en 1973, il est incarcéré et torturé. Il meurt à Beyrouth le 20 décembre 1977.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
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