NORD DU MALI  

 

Communiqué du Mouvement National

de Libération de l'Azawad (MNLA)

suite à la résolution 2071 du Conseil de Sécurité de l'ONU

 

Dans sa résolution 2071 du 12 octobre 2012, le Conseil de Sécurité des Nations Unies s’est déclaré favorable « à ce qu’une force armée internationale prête son concours aux forces armées maliennes en vue de la reconquête des régions occupées du nord du Mali ».

Le Mouvement National de Libération de l'Azawad (MNLA) salue cette décision dans la mesure où elle vise les groupes terroristes qui tyrannisent les populations de l’Azawad.

Néanmoins, nous nous inquiétons, qu’usant du mot « reconquête », la résolution contienne une part d’ambiguïté. Elle pourrait en effet signifier la remise totale du contrôle des régions de l'Azawad aux autorités de Bamako, sans tenir compte des aspirations légitimes de la population de cette région.

D’autre part, à aucun moment, la résolution ne met en évidence l’existence du MNLA. Nous avons donc des raisons de craindre qu’une offensive militaire, faute d’une identification claire de l’ennemi, ne nous mette, contre notre volonté, sur une position défensive.

Voilà pourquoi nous sollicitons instamment l’ouverture de discussions entre la direction du MNLA et les différents acteurs intervenant sur ce dossier.

Toutefois, il convient de rappeler que la participation du MNLA dans toutes les phases de cette intervention constitue le préalable pour son succès avec efficacité et efficience.

Ceci pour le bien et la sécurité de tous, et au nom des principes laïcs et démocratiques qui nous inspirent.

Fait le 13 octobre 2012

Moussa Ag Assarid
Membre du Conseil Transitoire de l'État de l'Azawad (CTEA)
Chargé de l'Information et de la Communication

Contact presse :
infosmnla@gmail.com

 

INTERVIEW DE HAMMA AG MAHMOUD
représentant du MNLA

Nous avons rencontré début août 2012, à Nouakchott (Mauritanie), Hamma Ag Mahmoud, ancien ministre malien. Issu de l'ethnie touarègue, il est chargé des relations internationales du MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad, le nord du Mali). Ce mouvement s'est rebellé contre le pouvoir central de Bamako (capitale du Mali) le 17 janvier 2012. En mars, un putsch de l'armée malienne éclatait dans le sud et le MNLA en profitait pour chasser les garnisons du nord. Un moment alliés de circonstances du MNLA, les islamistes de l'AQMI, du MUJAO et d'Ansar Eddine se retournaient alors contre lui et le chassaient des villes.

octobre 2012

Alain Chevalérias : Monsieur le Ministre. Qui êtes-vous ?

Hamma Ag Mahmoud : J'ai 72 ans. Je suis un vieux fonctionnaire du gouvernement du Mali. J'ai été enseignant au début, puis préfet dans l'administration. Pendant quelques années, j'ai dirigé les services de la Chambre du commerce et de l'industrie avant de devenir directeur administratif et social de la première grande société publique du Mali, la SOMIEX. Ensuite j'ai été conseiller auprès de la présidence puis ministre, directeur général du Centre malien de commerce extérieur (CMCE) et à nouveau conseiller spécial du Président de la République.

A. C. : Qu'est ce qui vous a amené au MNLA ?

H. A. M. : Depuis des années, je me rendais compte que le Mali n'arrivait pas à trouver les solutions idoines pour résoudre les problèmes du Nord. Ces derniers ont éclaté à l'indépendance, en 1963. Au lieu de respecter la tradition et de laisser la population élire les chefs, comme le faisaient les Français à l'époque coloniale, l'administration malienne les a nommés elle-même. D'où la première révolte touarègue, à laquelle le gouvernement a répondu par un massacre, avant de confier la responsabilité de la région aux militaires qui exerçaient une autorité brutale. A la suite de cette première révolte, beaucoup d'habitants sont partis, dont nombre d'enfants sur le dos de leurs mères. Certains ont trouvé asile en Algérie. Parmi ces enfants, d'autres ont grandi en Libye où ils sont devenus plus tard des soldats de Kadhafi pour lequel ils ont combattu au Liban, au Tchad et même au Nicaragua.
En 1990, quand éclata la seconde révolte, ces jeunes combattants sont revenus et les autorités ont commis la même erreur, massacrant les populations civiles, pillant, détruisant les puits et les pâturages. Cela choquait les Touaregs car, selon leur code de la guerre, il est interdit de sévir contre la population, qui plus est de tuer des civils, des enfants ou des femmes. Ils ont eu le sentiment que le pouvoir central voulait les exterminer. Puis, la paix une fois signée, aucun accord n'a pu être respecté.
En 2011, les jeunes servant dans l'armée libyenne ont profité de la déliquescence du pays pour prendre des armes avec l'intention de les utiliser dans les territoires du nord du Mali.
J'ai vu les événements se dérouler depuis l'indépendance, jouissant de ma position de fonctionnaire. Comme le pouvoir avait fini par le comprendre à force de pressions, le problème du nord apparaissait principalement lié au sous-développement. En 1964 et en 1965, on construisit un abattoir à Gao pour créer une filière élevage. Elle promettait des retombées sur toutes les activités avec l'aménagement d'aéroports internationaux à Tombouctou et Gao, l'installation de l'électricité, la construction du barrage de Taoussa sur le fleuve Niger permettant en outre de naviguer toute l'année. S'ajoutait à cela les projets de formation, de gestion vétérinaire, de création d'une culture fourragère. Il fallait un développement diversifié et intégré et il semblait se mettre en place.
Mais à notre grande notre surprise, deux ans après sa construction, l'abattoir a été fermé et transformé en caserne pour les soldats. C'était déjà une énorme déception pour nous. Puis ce fut l'abandon des projets, pour le barrage de Taoussa et l'aéroport de Tombouctou. J'avais pourtant moi-même rencontré les voyagistes américains aux Etats-Unis. Ils me disaient : " Si vous faites un aéroport international à Tombouctou, tout le reste, nous nous en chargeons. Toute l'année nous pouvons vous envoyer des touristes ". Le Mali n'a jamais voulu faire d'aéroport international et il n'a jamais autorisé les voyagistes à se rendre directement à Tombouctou sans passer par Bamako.

A. C. : Cette mauvaise gouvernance, vous en étiez le témoin depuis longtemps. Un déclic a-t-il été la cause du soulèvement et de votre engagement aux côtés du MNLA ?

H. A. M. : La réponse se résume à un seul mot : AQMI. Nous avons vu le gouvernement du Mali autorisant l'AQMI à s'installer dans le nord, pour nous l'Azawad. Cette installation s'accompagnait de l'apparition de trafiquants de drogue auxquels l'AQMI accordait sa protection. Pire, ces même trafiquants devenaient des hommes politiques proches du pouvoir qui en faisait des députés et des maires d'agglomérations. En même temps, le Président Amadou Toumani Touré, que nous appelons ATT, provoquait des conflits tribaux en distribuant des armes.

A. C. : Quand avez-vous quitté Bamako pour rejoindre le MNLA ?

H. A. M. : J'ai quitté Bamako en novembre 2011. J'étais depuis longtemps à la retraite mais très déçu et j'attendais que les choses soient mûres. En novembre, j'ai estimé le moment venu.

A. C. : Etes-vous passé par Tombouctou ?

H. A. M. : Non je me suis rendu directement à Nouakchott, j'ai ouvert un bureau et j'ai commencé le travail politique en prenant les contacts nécessaires. Puis la guerre a éclaté, en janvier 2012, minimisant les activités politiques. Les gens ne voyaient plus que la guerre.

A. C. : Mais pourquoi la guerre a-t-elle été déclenchée précisément le 17 janvier ?

H. A. M. : Nous avions envoyé une délégation pour demander à ATT d'ouvrir le dialogue autour d'une table de négociation afin de trouver une solution politique. Il a catégoriquement refusé allant jusqu'à ridiculiser les personnes qui lui étaient envoyées. Nous avons compris qu'il nourrissait secrètement l'intention de provoquer une guerre civile dans le nord afin, profitant de l'instabilité, de reporter les élections et, bien qu'il soit en fin de mandat, de rester au pouvoir.

A. C. : C'est votre analyse. Mais avez-vous des preuves de ce que vous avancez, des documents, des témoignages ?

H. A. M. : La preuve c'est qu'il n'a jamais parlé du développement de l'instabilité, de la guerre qui s'annonçait, ni aux représentants des institutions, ni même au gouvernement. Comment pouvez-vous faire le silence sur une menace aussi grave quand vous êtes à la tête d'un pays ?

A. C. : Laissez-moi me faire l'avocat du diable. Ne peut-on pas le taxer tout simplement d'aveuglement ?

H. A. M. : C'est difficile à imaginer. D'autant plus que six mois avant la fin de son mandat, alors qu'aux termes de la Constitution il n'était pas éligible pour un troisième, il savait ne plus être totalement responsable. Il devait préparer la voie pour son successeur. Au moindre doute d'un danger pour le pays, il aurait dû au moins en informer la classe politique.

A. C. : Des Etats étrangers ont-ils encouragé le MNLA à s'engager sur la voie de la révolte armée ?

H. A. M. : Non, bien au contraire. Au mois de décembre, par exemple, nous avons rendu visite aux Algériens. Ils nous ont dit : " Qu'aviez-vous besoin de créer un parti politique ? Agissez à l'intérieur de la démocratie malienne pour faire valoir votre point de vue ". Comme si cela était possible ! Au Mali, la démocratie n'était qu'une parodie. Savez-vous qu'à Bamako, par exemple, aucun article ne pouvait être publié dans la presse sans l'autorisation de la Sécurité d'Etat. Mieux, aucun journal ne pouvant vivre au Mali de ses propres ressources, tous dépendaient des financements de la Sécurité d'Etat.

A. C. : Quels sont les Etats qui aujourd'hui soutiennent votre volonté d'indépendance ?

H. A. M. : Aucun ! Auparavant, c'était l'Etat malien qui s'opposait à nos aspirations. Aujourd'hui, la communauté internationale dans son ensemble nous refuse l'indépendance. Aucun pays ne nous a reconnu.

A. Q : Certes, mais il faut bien reconnaître qu'aujourd'hui les islamistes occupent les villes du territoire que vous revendiquez.

H. A. M. : C'est une question de stratégie. Occuper les villes nous imposerait beaucoup de servitudes administratives, auxquelles il faudrait ajouter la charge des hôpitaux, des écoles, des télécommunications et de l'approvisionnement en électricité. D'une certaine manière, on peut dire que les islamistes nous ont rendu un fier service en nous en déchargeant. De plus, nous savons le Mali et l'Algérie cherchant à monter les populations citadines contre nous. Nous aurions été acculés.

A. C. : La rapidité avec laquelle vous avez cédé les agglomérations aux islamistes n'apparaît-elle pas néanmoins comme un aveu de faiblesse ?

H. A. M. : Il faut savoir qu'au début de notre soulèvement, en janvier dernier, nous nous étions abstenus d'entrer dans les villes. Nos forces stationnaient à l'extérieur. Quand nos soldats se rendaient en ville, ils étaient désarmés et en vêtements civils. Les islamistes, eux, sont entrés dans les villes avec leurs armes. Nous avons compris qu'ils avaient une arrière-pensée. On a voulu nous piéger en nous acculant à une guerre avec les islamistes encouragés en sous-main par d'autres pays.

A. C. : Quels sont les pays qui encouragent les islamistes?

H. A. M. : Le Mali, l'Algérie et bien sûr le Qatar.

A. C. : En avez-vous la preuve ?

H. A. M. : Nous en avons toutes les preuves. Aussi, quand nous avons compris quel piège on nous préparait, nous avons évité d'y tomber. N'oubliez pas, nous sommes une population de nomades. Nous sommes bien les maîtres du territoire, mis à part les trois villes principales, Gao, Tombouctou et Kidal. Tenir ces agglomérations ce n'est pas tenir l'Azawad. Le Mali en sait quelque chose. Il y était et nous l'avons délogé, quand il était beaucoup plus fort que les mouvements islamistes. Pour nous, ce n'est pas un problème et quand nous déciderons de reprendre les villes, nous le ferons en 24 heures. Il suffit de les encercler, personne ne sort, personne ne rentre, pas de ravitaillement, pas de gasoil et c'est terminé. Dans votre logique de sédentaires européens, pour vous qui tient Paris, tient la France. Pourtant, quand les Allemands étaient à Paris, dans les faits, la résistance française occupait le reste du pays. On l'oublie souvent.

A. C. : Mais le rapport de forces n'est pas en faveur d'Ansar Eddine ?

H. A. M. : Pas du tout ! Vous savez, il faut vous méfier des medias. Certains journalistes amplifient les choses et effraient l'opinion publique internationale. En réalité il n'y a pas autant de forces islamistes qu'on le dit dans l'Azawad. Ansar Eddine, le MUJAO et l'AQMI ne sont parvenus à faire le poids qu'en s'unissant et certains commentateurs croient voir dans ces hommes réunis la force d'Ansar Eddine. Sachez, par exemple, que dans Tombouctou, il n'y a pas plus de 40 véhicules de combattants pour occuper la ville (1).

A. C. : C'est-à-dire à 200 à 250 hommes...

H. A. M. : Même pas.

A.C. : Quel est le rapport de forces entre vous et les islamistes ?

H. A. M. : Les islamistes ne sont qu'une poignée d'hommes. L'Azawad compte quand même deux millions d'habitants. Tous les jeunes sont formés à la guerre. Ils sont actuellement dans leurs tribus, se reposent ou sont sur les terrains de parcours avec leurs bêtes. Que nous les appelions et, le jour même ils arrivent. Vous les verrez alors affluer par milliers sur Tombouctou, Kidal et Gao.

A.C. : Y compris les Ifoghas, la tribu de Iyad Ag Ghali qui est le chef d'Ansar Eddine ?

H. A. M. : Iyad a été lâché par tous les notables de sa tribu. Ils l'ont convoqué pour le lui dire.

A. C. : Quand le lui ont-ils dit ?

H. A. M. : Il n'y a même pas deux mois. Ils lui ont déclaré : " Ou tu es avec les gens de l'Azawad ou tu es contre nous. Si tu es contre nous, aucun jeune ne te suivra ".

A. C. : Puisque vous êtes si déterminés contre Ansar Eddine, pourquoi avoir conclu une alliance avec cette organisation en mai dernier ?

H. A. M. : Nous avons fait mine de nous rapprocher d'Ansar Eddine pour fusionner afin d'attirer les jeunes à nous. C'est ce qui se passe du reste. Quand nous avons vu que Iyad voulait imposer la loi islamique, la charia, nous avons pris nos distances et rompu les accords.

A. C. : Voulez-vous dire que vous n'aviez pas l'intention d'honorer cette alliance ?

H. A. M. : Absolument pas, ce n'était qu'une stratégie. Elle était justifiée par la manière dont Iyad avait rallié les jeunes de l'Azawad. Auréolé de son prestige d'ancien chef de la rébellion précédente, ils l'avaient rejoint sans rien demander (2), convaincus de sa bonne foi. Aux dernières nouvelles, il a parcouru la région à la recherche de volontaires. En vain.

A. C. : L'Azawad, ou le nord du Mali, est un territoire. Néanmoins, ce territoire ne compte pas que des Touaregs. Or, on ne parle que d'eux. N'y a-t-il pas là un malentendu ?

H. A. M. : Les journalistes s'expriment ainsi. Pas nous. Nous ne disons jamais " les Touaregs " mais " les populations de l'Azawad ". Le Mali et l'Algérie tiennent les mêmes propos que les journalistes pour nous diviser.

A. C. : Parmi les combattants du MNLA, quelle est la proportion de Songhaïs par exemple ?

H. A. M. : Il y a des Songhaïs, des Peuls, des Arabes. Je ne peux pas vous dire la proportion, mais il faut comprendre que les populations arabes et songhaï, historiquement, ne se sont jamais révoltées contre le Mali, elles sont par conséquent moins nombreuses que les Touaregs parmi les combattants. Cependant, les populations noires et arabes de l'Azawad sont confrontées aux mêmes problèmes de mauvaise gouvernance et de sous-développement et par conséquent logées à la même enseigne que les Touaregs.

A. C. : Ces populations non touarègues sont-elles pour l'indépendance ?

H. A. M. : On ne peut pas poser le problème de cette manière. Les gens ne connaissent pas la signification du mot indépendance. Une petite histoire. Un préfet malien en tournée dans un village de la région de Sikasso faisait un discours sur l'indépendance et la nécessité de payer l'impôt. A la fin de la réunion, il a donné la parole aux auditeurs. L'un d'eux s'est levé et a demandé : " Monsieur le préfet, quand est-ce que l'indépendance va finir ? " Pensez bien à la signification de cette question.

A. C. : Iyad Ag Ghali est-il un islamiste convaincu comme on le dit aujourd'hui?

H. A. M. : Je le connais bien, ce n'est pas un islamiste. Dans les cercles de l'Azawad, il est considéré comme un traître parce qu'il sert les intérêts des Maliens et des Algériens. Pour leur faire plaisir, il a travaillé à saborder les accords de 1992, à la suite de la rébellion. En fait, il a été utilisé par le gouvernement de Konaré (3). Il avait pour mission d'infiltrer les milieux islamistes et les prêcheurs venant du Pakistan, les gens de Ad Daawa (4). C'était, je crois, en 1998.

A. C. : Sans me faire l'arbitre des bonnes manières islamiques, puis-je vous demander s'il lui arrivait de boire de l'alcool avant son rapprochement des Islamistes ?

H. A. M. : Je peux vous dire qu'il allait jusqu'à s'enivrer à la bière et au whisky. Depuis son passage aux islamistes, du moins en public, il ne boit plus. Il avait beaucoup servi les services de renseignements et je pense que les Maliens l'ont prêté aux services français et américains pour infiltrer les islamistes. Il s'est alors rendu en Arabie Saoudite, en Afghanistan et au Pakistan.

A. C. : Iyad Ag Ghali entretient-il des relations avec les autorités algériennes ?

H. A. M. :
Après la déclaration de la création du MNLA, au cours de l'automne 2011, les Algériens ont convoqué Iyad Ag Ghali. Il s'est rendu ensuite à Bamako et c'est alors qu'il a créé Ansar Eddine. Les services de renseignements algériens ont aussi crée le MUJAO.

A. C. : Quelles sont les preuves dont vous disposez ?

H. A. M. : Mais tout le monde le sait ! Je me suis moi-même rendu plusieurs fois en Algérie pour me plaindre auprès des autorités de ce pays en raison de leur inaction contre les trafiquants de drogue et l'AQMI. Ils n'ont pas donné suite. C'était en 2009.

A. C. : A-t-on signalé des hommes de la DRS (5) au Nord du Mali ?

H. A. M. : On les a vus à Gao, deux jours avant l'attaque lancée par les islamistes contre nous. Ils ont rencontré les responsables du MUJAO, de l'AQMI et d'Ansar Eddine dans leur poste de commandement commun, mais ils n'ont pas voulu prendre contact avec nous. C'était les 26 et le 27 juin derniers si j'ai bonne mémoire. Ensuite, dès que nous avons quitté Gao, les Algériens ont commencé à ravitailler le camp islamiste, MUJAO et Ansar Eddine en tête. Les camions étaient immatriculés en Algérie et escortés jusqu'à la frontière par des militaires algériens. Là, les terroristes relayaient ces dernières jusqu'à leurs propres bases.

A. C. : Où en sont les négociations entre vous et les autorités du Mali ?

H. A. M. : Nous n'avons pas de négociations avec Bamako. Le pays est beaucoup plus préoccupé par la nécessité d'organiser des élections et de remettre en place un gouvernement que par la situation dans le Nord. Nous avons en revanche des contacts permanents avec le gouvernement du Burkina Faso qui agit comme médiateur de la CEDEAO.

A. C. : Une ébauche de règlement a-t-elle été avancée ?

H. A. M. : Aucune ! Les préalables à toutes négociations n'ont même pas été définis. Je veux parler du calendrier, de la désignation des interlocuteurs etc...

A. C. : D'après certaines informations publiées dans les médias et en raison de son conflit avec les islamistes, le MNLA aurait renoncé à l'indépendance. Confirmez-vous ?

H. A. M. : C'est complètement faux. Nous ne renoncerons à rien sans savoir ce qui nous est accordé. C'est une négociation. Nous nous sommes battus pour l'indépendance. Tant que nous ne sommes pas assurés de notre avenir, nous ne renoncerons pas. Nous voulons des garanties de la communauté internationale.

A. C. : Peut-être, mais croyez-vous que la communauté internationale puisse agir sans tenir compte de la souveraineté du Mali ?

H. A. M. : Le Mali n'a aucune souveraineté. Parlons clairement, le Mali est un Etat artificiel. Comme beaucoup d'Etats africain, il dépend de la communauté internationale. Nous, nous disons à cette même communauté internationale : si vous nous obligez à revenir à un système qui ne corresponde pas à nos aspirations, qui permette de résoudre le problème, nous reprendrons la guerre. Depuis 50 ans déjà nous nous battons.

A. C. : Les autorités françaises, avec elles les autres pays européens ont pris la dimension des susceptibilités nationales et ne veulent pas les blesser. Comment pouvez-vous leur demander de dépasser certaines limites ?

H. A. M. : C'est probablement cette timidité qui a détruit l'Afrique. Croyez-vous que le Gabon puisse se développer sans l'aide de la communauté internationale ? L'Algérie, de son côté, avait tous les moyens pour décoller après l'indépendance : l'argent du pétrole, la mer, la forêt et une population industrieuse. Les Européens se leurrent en croyant les gouvernements africains capables de s'en sortir par eux-mêmes. L'Afrique va se détruire et cela a déjà commencé. Des dizaines de milliers de jeunes gens quittent l'Afrique pour aller en Europe et c'est un problème pour les Européens. L'Europe a intérêt de stabiliser l'Afrique, de parler le langage des Africains. J'ai été choqué, par exemple, quand j'ai vu le Président Nicolas Sarkozy s'impliquer en faveur de la suppression d'une partie de la dette du Gabon. Un riche pays pétrolier ! C'est scandaleux.

A. C. : Ne croyez-vous pas qu'il y a des limites aux capacités d'action de la France ou de l'Europe en Afrique ?

H. A. M. : Il faut choisir ! Dans 5 ans ou 10 ans, l'influence européenne va disparaître en Afrique. Les Chinois ont déjà une espèce de cinquième colonne dans tous les pays africains. Ils prennent les marchés publics les uns après les autres. Cela pour une bonne raison : les Chinois ont compris que les responsables africains sont profondément corrompus.

A. C. : C'est vrai que les Chinois sont très présents en Afrique, de haut en bas du système économique. Je me suis aperçu qu'à Bamako, par exemple, ils ont été jusqu'à prendre le contrôle des hôtels servant à la prostitution. Mais ont-ils pour autant la capacité de s'emparer du continent ?

H. A. M. : Les Chinois préparent une invasion et pour ce faire, ils veulent connaître tous les rouages des pays. Leur but est de chasser les Occidentaux de la région. Cela nous a alarmé dans l'Azawad. Nous voyons le Mali tout donner aux Chinois, comme le Tchad et le Niger où des sociétés chinoises exploitent le pétrole. Tout cela parce que l'Europe n'a pas pris au sérieux le développement de l'Afrique.

A. C. : Quel est votre ennemi aujourd'hui ? L'AQMI, le MUJAO, Ansar Eddine ou le gouvernement malien?

H. A. M. : L'Aqmi, Ansar Eddine et le MUJAO travaillent pour le Mali et l'Algérie. Ces deux pays ont inventé ces organisations pour s'opposer à nous.

A. C. : Vous parlez comme s'il y avait une coordination entre l'autorité malienne et l'Algérie. N'est-ce pas un peu excessif ?

H. A. M. : Mais c'est le cas ! L'Algérie et le Mali ont le même programme en ce qui nous concerne. C'est l'Algérie qui a créé l'AQMI, le MUJAO et aidé les trafiquants de drogue à s'implanter chez nous. Pourquoi ? Parce que l'Algérie veut chasser les Occidentaux de l'Azawad et des autres régions. Elle veut empêcher leurs sociétés minières de faire de la prospection chez nous. Dans le même temps, la Sonatrach, la compagnie pétrolière algérienne, fait de la recherche dans l'Azawad sans jamais être inquiétée par l'AQMI.

A. C. : La CEDEAO envisage une offensive militaire de plusieurs pays de la région pour intervenir dans le nord du Mali. Quelle sera la réaction du MNLA si une telle opération prenait pied ?

H. A. M. :
Si les pays de la CEDEAO le font sans nous, ils le feront contre nous. Nous n'aurons pas d'autre choix que d'envisager notre ralliement aux organisations terroristes pour nous défendre.

A. C. : Pouvez-vous imaginer de vous allier à la CEDEAO pour combattre les islamistes ?

H. A. M. : Ce serait l'option la plus logique. Nous ne sommes pas des terroristes et nous leur avons déclaré la guerre. Nous savons combattre dans le désert et pouvons chasser en quelques jours l'AQMI, le MUJAO et Ansar Eddine. Si la CEDAO n'a pas l'intelligence de s'appuyer sur nous c'est que la CEDEAO ne cherche pas la solution du problème. En outre les soldats de la CEDEAO seront incapables de faire la différence entre nos hommes et les islamistes. Ils vont nous tirer dessus et nous serons obligés, au moins pour cette raison, de nous allier contre eux aux terroristes. C'est très dangereux, parce qu'à partir du moment où les islamistes jouiront d'une légitimité locale on ne pourra plus les déloger. Regardez ce qui s'est passé en Afghanistan, à partir du moment où les islamistes se sont incrustés dans les tribus pachtounes, il devenait quasiment impossible de les extirper du pays.

A. C. : Quelle solution proposez-vous ?

H. A. M. : La CEDEAO devrait favoriser le règlement politique de notre différend avec le Mali. Une fois ce règlement politique obtenu, nous sommes prêts à combattre les islamistes et nous n'avons pas besoin de la CEDEAO pour les chasser. N'oubliez pas que les militaires de la CEDEAO, pour la plupart viennent de pays de savane et de forêt. Ils ne savent pas combattre dans le désert. Leur intervention serait une catastrophe, pour eux, pour nous, pour les populations civiles. Nous n'avons pas besoin de militaires étrangers, envoyés par la CEDEAO, l'Europe ou l'Algérie. Nous avons seulement besoin de matériel. Le reste, nous nous en chargeons.

A. C. : Quel matériel ?

H. A. M. :
Des armes, des munitions, des véhicules, un appui logistique. Si nous avons cette assistance, je donne un mois et vous n'entendrez plus parler d'un islamiste dans le Sahara.

A. C. : N'êtes-vous pas démuni sur le plan aérien?

H. A. M. : Sur le plan aérien, c'est vrai, nous pouvons avoir besoin d'aide. Nous pouvons conjuguez nos efforts avec des intervenants extérieurs pour détruire, par exemple, les stocks d'armes grâce à des frappes aériennes.

A. C. : N'avez-vous pas aussi une faiblesse en matière de renseignements, sur le plan électronique ?

H. A. M. :
Si on veut bien nous donner ce type de renseignements, très bien. Pour mener à bien cette guerre nous avons besoin de beaucoup d'assistance mais il faut à tout prix éviter d'internationaliser le conflit. Nous aurons effectivement besoin de renseignements pour liquider les derniers foyers de résistance, il faut surveiller les réseaux téléphoniques, ce que nous ne pouvons pas faire.

A. C. : Est-ce que des hommes envoyés par le Qatar sont venus vous voir ?

H. A. M. : Non, on les a vus au mois de juin avec le MUJAO et Ansar Eddine à Gao. Ils venaient les ravitailler. Les Qataris se sont fait escorter, venant de Niamey, par le MUJAO.

A. C. :
Quelle aide ont-ils apportée ?

H. A. M. : Les habitants de la région disent que les Qataris ont apporté de l'argent et promis du ravitaillement. Nous n'avons pas entendu parler d'aide militaire. Néanmoins, dans le désert, on peut ouvrir des aérodromes de fortune sans que personne ne le sache. L'Algérie peut aussi financer directement ces groupes. Quant à savoir si le Qatar est venu sous les ordres ou à l'instigation de l'Algérie nous l'ignorons.

A. C. : Le Qatar et l'Algérie ne sont-ils pas a priori sur une ligne diplomatique distincte, comme on le voit dans les révolutions arabes ?

H. A. M. : Ce n'est pas ce que nous voyons sur le terrain. Le Qatar a beaucoup d'intérêts en Algérie, dans le commerce, dans l'industrie. Les Qataris investissent beaucoup en Algérie.

A. C. : La politique du Qatar apparaît en effet très opaque...

H. A. M. : Au MNLA, nous n'avons pas le temps de nous attarder à cela. Nous déplorons seulement que les Qataris soient venus prendre contact avec des terroristes. Nous avons aussi du mal à comprendre pourquoi, dans le même temps, des pays occidentaux, comme les Etats-Unis et la France, entretiennent de bonnes relations avec le Qatar. C'est une énigme pour nous.

 

Notes

(1) Ce chiffre nous a été confirmé par des contacts sur place.
(2) Iyad Ag Ghali a soulevé les Touaregs en 1990.
(3) Alpha Oumar Konaré a été Président de la République du Mali de 1992 à 2002.
(4) Il s'agit en fait du Tabligh pakistanais, une organisation piétiste qui se répand en Asie, en Afrique et jusqu'en Europe.
(5) Très puissant service de renseignement algérien.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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