En Turquie, depuis un an, la presse
parle d'achats de terres, par des Israéliens, au Kurdistan
irakien.
Sayman Barzani, "le représentant de
la région autonome du Kurdistan," nous a
reçus dans son bureau parisien, installé à
deux pas de l'église Saint Augustin. "Je n'ai
pas connaissance de l'existence, au Kurdistan, d'une compagnie
aérienne dirigée par un Israélien, dit-il,
mais s'il y a des négociations pour créer une telle
entreprise avec Israël, je ne suis pas forcément
au courant."
Puis, se lâchant un peu, il laisse tomber: "Des
Israéliens ont parlé de créer une ligne
aérienne avec le Kurdistan, mais je crois le projet resté
sans suite."
Concernant l'achat de terres par
des Israéliens, il répond un sourire ironique aux
lèvres: "Les juifs ont toujours eu des terres
au Kurdistan. Cela remonte à l'antiquité babylonienne..."
On se souvient.
En 586 av. J-C, Nabuchodonosor, roi de Babylone, ayant vaincu
les Hébreux, les emmena en déportation en Mésopotamie.
Là, ils prospérèrent et, rapportent les
écrits de Flavius Josèphe (38-100 ap. J-C), obtinrent
la conversion au judaïsme du royaume d'Abiadène au
Ier siècle avant l'ère chrétienne. Détail
significatif, la capitale d'Abiadène, Arbèles,
est devenue Erbil, aujourd'hui au centre du Kurdistan irakien.
Les siècles s'écoulant, les Kurdes se sont massivement
convertis au christianisme, puis le pouvoir changeant de mains,
à l'islam. Mais le passé a laissé sa trace.
Sayman Barzani, trouve très drôle de partager son
nom avec une famille juive irakienne installée à
Jérusalem. Sans doute faut-il voir là la cause
de la "fatoua" (1),
prononcée par des islamistes, et accusant les Barzani
de confesser en secret le judaïsme.
Alors ces terres achetées par des Israéliens,
une désinformation? En fait, admet Sayman Barzani,
"depuis 1994, des Israéliens d'origine kurde se
sont rendus plusieurs fois chez nous. Ils venaient voir l'état
de leurs biens. Ils n'ont rien réclamé..."
Israël exerce une véritable fascination sur les Kurdes.
"Les juifs ont réussi à obtenir la reconnaissance
de leur pays," commente avec admiration Sayman Barzani.
Cette dernière ne date pas d'hier. En 1967, déjà,
Mullah Mustapha Barzani, le patriarche kurde aujourd'hui
décédé, visitait Israël pour consulter
Moshé Dayan (2).
Et du côté israélien, qu'en pense-t-on? Yossi
Alpher, un ancien officier du Mossad reconverti en analyste politique
"indépendant," a déclaré: "Les
Israéliens et les Kurdes ont toujours partagé un
même élan de fraternité dans leurs confrontations
avec le monde arabe. En vérité, ils ont collaboré
militairement dans le passé... A ce que nous pouvons appelé
le niveau stratégique supérieur, l'autonomie kurde
est très positive pour Israël."
Entendre des sionistes invoquer l'argument
racial pour justifier leurs projets politiques, comme autrefois
les nazis, ne manque pas de surprendre. Pourtant, on lit sous
la plume de Kevin Alan Brook (3),
citant de prétendues recherches génétiques:
"En 2001, une équipe scientifique formée
d'Israéliens, d'Allemands et d'Indiens ont découvert
que la majorité des juifs de la planète sont proches
parents du peuple kurde. Ils sont plus proches de ce dernier
que des Sémites arabophones..."
Et Kevin Alan Brook de conclure: "Espérons que
la relation (entre juifs et Kurdes) puisse être
renouvelée et renforcée..."
Murad Akincilar, un exilé politique turc, remarque qu'un
État kurde irakien indépendant "serait
en butte à l'hostilité de ses voisins arabes. Dans
ce contexte, il tendrait à devenir un allié d'Israël,
celle-ci agissant comme son garant. Garant d'un État kurde
qui contrôlerait l'Euphrate et le Tigre et disposerait
des réserves de pétrole dont Israël a besoin..."
Certes pour permettre aux Kurdes d'obtenir l'indépendance
et le pétrole de Mossoul, il faudrait une autre guerre...
En attendant, on
voit bien les dirigeants israéliens avoir deux fers au
feu dans la région. D'une part, ils comptent sur l'alliance
stratégique avec la Turquie, tout en se sentant affaiblis
par l'arrivée au pouvoir des islamistes. De l'autre, ils
gardent en réserve l'option sur les Kurdes, qui susciterait
la colère d'une Turquie opposée à l'émergence
d'un État du Kurdistan à leur frontière.
Constante de leur politique, faite de saisies d'opportunités,
les Israéliens attendent pour décider.
Alain CHEVALERIAS
est consultant au
Centre de Recherches
sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
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