Visées Israéliennes
sur le
Kurdistan

mai 2004

Le Kurdistan En janvier 2004, de retour d'Irak et après un séjour à Falloujah, nous avions mis en valeur les déviances de l'occupation anglo-saxonne sur six plans: l'insécurité grandissante, le mépris affiché à l'égard des populations, l'israélisation des tactiques américaines, l'extension de la menace terroriste, déjà les excès commis contre les détenus et, conséquence, la colère montante des Irakiens sunnites et chiites confondus. Le siège de Falloujah a révélé la gravité des dérives. Le 25 avril, quand nos médias occidentaux parlaient de cessez-le feu, nous étions en liaison téléphonique avec les insurgés : sous la protection des tirs de leur artillerie et profitant de la nuit, les Américains attaquaient en dépit de la parole donnée. Selon des témoins, ils auraient empêché les ambulances de rejoindre les hôpitaux. Pour le reste, nous pensons inutile d'ajouter aux révélations de la presse quand elle ouvre soudain les yeux sur les exactions commises dans les prisons. Avec le sud et le centre enflammé, on en oublie le nord, le Kurdistan, devenu havre de paix.
Fin avril, émanant d'une source proche des autorités militaires turques, une information nous parvenait signalant la création, au Kurdistan irakien, d'une compagnie aérienne dirigée par un colonel israélien. Ce colonel, affirmait la source, s'appelle Shalom Mordechaï.

En Turquie, depuis un an, la presse parle d'achats de terres, par des Israéliens, au Kurdistan irakien.


Sayman Barzani, "le représentant de la région autonome du Kurdistan," nous a reçus dans son bureau parisien, installé à deux pas de l'église Saint Augustin. "Je n'ai pas connaissance de l'existence, au Kurdistan, d'une compagnie aérienne dirigée par un Israélien, dit-il, mais s'il y a des négociations pour créer une telle entreprise avec Israël, je ne suis pas forcément au courant."
Puis, se lâchant un peu, il laisse tomber: "Des Israéliens ont parlé de créer une ligne aérienne avec le Kurdistan, mais je crois le projet resté sans suite."

Concernant l'achat de terres par des Israéliens, il répond un sourire ironique aux lèvres: "Les juifs ont toujours eu des terres au Kurdistan. Cela remonte à l'antiquité babylonienne..."


On se souvient. En 586 av. J-C, Nabuchodonosor, roi de Babylone, ayant vaincu les Hébreux, les emmena en déportation en Mésopotamie. Là, ils prospérèrent et, rapportent les écrits de Flavius Josèphe (38-100 ap. J-C), obtinrent la conversion au judaïsme du royaume d'Abiadène au Ier siècle avant l'ère chrétienne. Détail significatif, la capitale d'Abiadène, Arbèles, est devenue Erbil, aujourd'hui au centre du Kurdistan irakien.
Les siècles s'écoulant, les Kurdes se sont massivement convertis au christianisme, puis le pouvoir changeant de mains, à l'islam. Mais le passé a laissé sa trace. Sayman Barzani, trouve très drôle de partager son nom avec une famille juive irakienne installée à Jérusalem. Sans doute faut-il voir là la cause de la "fatoua"
(1), prononcée par des islamistes, et accusant les Barzani de confesser en secret le judaïsme.


Alors ces terres achetées par des Israéliens, une désinformation? En fait, admet Sayman Barzani, "depuis 1994, des Israéliens d'origine kurde se sont rendus plusieurs fois chez nous. Ils venaient voir l'état de leurs biens. Ils n'ont rien réclamé..."


Israël exerce une véritable fascination sur les Kurdes. "Les juifs ont réussi à obtenir la reconnaissance de leur pays," commente avec admiration Sayman Barzani. Cette dernière ne date pas d'hier. En 1967, déjà, Mullah Mustapha Barzani, le patriarche kurde aujourd'hui décédé, visitait Israël pour consulter Moshé Dayan (2).


Et du côté israélien, qu'en pense-t-on? Yossi Alpher, un ancien officier du Mossad reconverti en analyste politique "indépendant," a déclaré: "Les Israéliens et les Kurdes ont toujours partagé un même élan de fraternité dans leurs confrontations avec le monde arabe. En vérité, ils ont collaboré militairement dans le passé... A ce que nous pouvons appelé le niveau stratégique supérieur, l'autonomie kurde est très positive pour Israël."

Entendre des sionistes invoquer l'argument racial pour justifier leurs projets politiques, comme autrefois les nazis, ne manque pas de surprendre. Pourtant, on lit sous la plume de Kevin Alan Brook (3), citant de prétendues recherches génétiques: "En 2001, une équipe scientifique formée d'Israéliens, d'Allemands et d'Indiens ont découvert que la majorité des juifs de la planète sont proches parents du peuple kurde. Ils sont plus proches de ce dernier que des Sémites arabophones..."


Et Kevin Alan Brook de conclure: "Espérons que la relation (entre juifs et Kurdes) puisse être renouvelée et renforcée..."
Murad Akincilar, un exilé politique turc, remarque qu'un État kurde irakien indépendant "serait en butte à l'hostilité de ses voisins arabes. Dans ce contexte, il tendrait à devenir un allié d'Israël, celle-ci agissant comme son garant. Garant d'un État kurde qui contrôlerait l'Euphrate et le Tigre et disposerait des réserves de pétrole dont Israël a besoin..." Certes pour permettre aux Kurdes d'obtenir l'indépendance et le pétrole de Mossoul, il faudrait une autre guerre...


En attendant, on voit bien les dirigeants israéliens avoir deux fers au feu dans la région. D'une part, ils comptent sur l'alliance stratégique avec la Turquie, tout en se sentant affaiblis par l'arrivée au pouvoir des islamistes. De l'autre, ils gardent en réserve l'option sur les Kurdes, qui susciterait la colère d'une Turquie opposée à l'émergence d'un État du Kurdistan à leur frontière. Constante de leur politique, faite de saisies d'opportunités, les Israéliens attendent pour décider.

 

Alain CHEVALERIAS

est consultant au

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001

 

NOTES

(1) Avis juridique prononcé par un juriste.
(2) D'après Michael Rubin, professeur assistant à l'Institut de Relations Internationales de l'Université Hébraïque Leonard Davis de Jérusalem.
(3) Spécialiste de l'histoire juive, auteur de plusieurs livres et articles encyclopédiques.

 

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