LA RÉVOLTE LIBYENNE |
avril 2011
Cet article, écrit par un journaliste
italien, nous a paru important. Il jette un autre éclairage
que celui de lÉlysée sur cette guerre voulue
par Nicolas Sarkozy. Le seul, comprenons-nous, qui avec le ministre des Affaires étrangères Moussa Koussa * avait un accès direct à la résidence du raïs sans avoir à frapper avant dentrer. Le seul à pouvoir franchir le seuil de la suite 204 du vieux cercle officiel de Benghazi où le colonel libyen a accueilli avec tous les honneurs le Premier ministre italien Silvio Berlusconi pendant la visite officielle en Libye. Cette visite de Mesmari à Tunis ne dure que quelques heures. On ne sait pas qui il rencontre dans la capitale où la révolte contre Ben Ali couve sous la cendre. Mais il est désormais certain que dans ces heures-là et dans celles qui ont immédiatement suivi, Mesmari jette les ponts de ce qui, à la mi-février, allait devenir la rébellion de la Cyrénaïque. Il prépare lestocade contre Kadhafi en cherchant lalliance sur deux fronts : le premier est celui de la dissidence tunisienne. Le second est celui de la France de Nicolas Sarkozy. Et les deux alliances lui réussissent. Cest ce dont témoignent des documents de la DGSE, le service secret français, et une série de nouvelles fracassantes qui ont circulé dans les milieux diplomatiques français à partir de la lettre confidentielle, Maghreb Confidential. Mesmari arrive à Paris le lendemain, 21 octobre. Et il nen bougera plus. En Libye il na pas caché son voyage en France, puisquil a emmené avec lui toute sa famille. Officiellement, il est à Paris pour subir un traitement médical et probablement une opération. Mais il ne verra pas lombre dun médecin. Ceux quil verra seront par contre, tous les jours, des fonctionnaires des services secrets français. On a vu de façon certaine au début du mois de novembre, entrer à lHôtel Concorde Lafayette de Paris, où Mesmari réside, de proches collaborateurs du Président français. Le 16 novembre, une file de voitures bleues est devant lhôtel. Dense et longue réunion dans la suite de Mesmari. Deux jours plus tard une importante et étrange délégation française part pour Benghazi. Avec des fonctionnaires du ministère de lAgriculture, des dirigeants de France Export Céréales et de France Agrimer, des managers de Soufflet, de Louis Dreyfus, de Glencore, de Cani Céréales, de Cargill et de Conagra. Expédition commerciale, sur le papier, pour essayer dobtenir à Benghazi justement de riches commandes libyennes. Mais se trouvent aussi dans le groupe des militaires français, déguisés en hommes daffaire. À Benghazi ils vont rencontrer un colonel de laéronautique libyenne indiqué par Mesmari : Abdallah Gehani. Il est au-dessus de tout soupçon, mais lex-chef du protocole de Kadhafi a révélé quil était prêt à déserter et quil a aussi de bons contacts avec la dissidence tunisienne. Lopération est menée en grand secret, mais quelque chose filtre jusquaux hommes les plus proches de Kadhafi. Ce dernier se doute de quelque chose. Le 28 novembre, il signe un mandat darrêt international à lencontre de Mesmari. Lordre arrive aussi en France à travers les canaux protocolaires. Les Français salarment et décident de suivre larrêt de façon formelle. Quatre jours plus tard, le 2 décembre, la nouvelle filtre justement depuis Paris. On ne donne pas de nom mais on révèle que la police française a arrêté un des principaux collaborateurs de Kadhafi. La Libye retrouve dabord son calme. Puis elle apprend que Mesmari est en réalité aux arrêts domiciliaires dans sa suite du Concorde Lafayette. Et le raïs commence à sagiter. Quand arrive la nouvelle que Mesmari a demandé officiellement lasile politique à la France, la colère de Kadhafi éclate, il fait retirer son passeport même au ministre des Affaires étrangères, Moussa Koussa, accusé de responsabilité dans la défection de Mesmari. Il essaie ensuite denvoyer ses hommes à Paris avec des messages pour le traître : « Reviens, tu seras pardonné ». Le 16 décembre, cest Abdallah Mansour, chef de la télévision libyenne, qui essaie. Les Français larrêtent à lentrée de lhôtel. Le 23 décembre dautres Libyens arrivent à Paris. Ce sont Farj Charrant, Fathi Boukhris et Ali Ounes Mansouri. Nous les connaîtrons davantage
après le 17 février 2011 : parce que ce sont justement
eux, avec Al Hadji, qui vont mener la révolte de Benghazi
contre les miliciens du colonel. Mesmari est nommé « Libyan WikiLeak », parce quil révèle un après lautre les secrets de la défense militaire du colonel et raconte tous les détails des alliances diplomatiques et financières du régime, en décrivant même la carte du désaccord et les forces qui sont sur le terrain. À la mi-janvier, la France a dans les mains toutes les clés pour tenter de renverser le colonel. Mais il y a une fuite. Le 22 janvier, le chef des services secrets de Cyrénaïque, un fidèle du colonel, le général Aoudh Saaiti, arrête le colonel daviation Gehani, référant secret des Français depuis le 18 novembre. Le 24 janvier, il est transféré dans une prison de Tripoli, accusé davoir créé un réseau social en Cyrénaïque, qui faisait les louanges de la contestation tunisienne contre Ben Ali. Mais cest trop tard : Gehani a déjà préparé la révolte de Benghazi, avec les Français. Article écrit par Franco Bechis, Directeur adjoint du quotidien italien Libero (23/03/11), traduit par Marie-Ange Patrizio. * Moussa Koussa, que nous avons vu à Tripoli lors de notre séjour, a lui aussi fait défection le 30 mars en rejoignant Londres |
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