lhomme fort du régime syrien |
octobre 2011
Après sept mois de manifestations dans
les rues syriennes, on compte plus de deux mille morts, identifiés
par lopposition, tombés sous les balles de larmée.
Quand ils parlent du régime, la plupart des commentateurs
se contentent dévoquer le nom du Président,
Bachar Al-Assad. Ils oublient un personnage essentiel, Maher,
frère de Bachar, chef des forces prétoriennes du
pouvoir et un décideur incontournable. A la fin des années 80, il est intégré dans la « firqa 4 », la quatrième division de larmée syrienne. Cest une formation blindée, équipée alors de T-72, ce que produit alors de mieux lUnion Soviétique en matière de tanks. Maher est placé sous la surveillance de son frère, Bassel, à lépoque capitaine et héritier présomptif de leur père Hafez. Il reçoit une formation de parachutiste, puis on lui confie le commandement dun escadron. A la mort de Bassel (1), le 21 janvier 1994, on croit un moment que Maher va être désigné pour succéder à son père. Mais ce dernier lui préfère un autre frère, Bachar, un ophtalmologue installé à Londres que rien ne semble prédestiner à une telle carrière. On sinterroge encore sur le choix dHafez. Fin politique, même sil nhésitait pas à ordonner des bains de sang, a-t-il craint, tout le pouvoir échouant entre les mains de Maher, que celui-ci ne privilégiât systématiquement la force aux méthodes plus nuancées de la menace ? En dautres termes, Hafez a-t-il cherché à donner une assise plus réfléchie au régime, avec Bachar, tout en lui assurant le soutien dune force inflexible, avec le prétorien Maher ? En tout cas, redistribuant les cartes, Hafez noublie pas Maher et lélève au grade supérieur pour en faire un commandant de brigade, à la tête de plusieurs régiments. Sa mise à lécart de la succession nest cependant pas sans causer des difficultés. Ainsi, le général Ali Haidar, chef des forces spéciales, manifeste son mécontentement. Pourtant sauveur du régime, quand Hafez tomba plusieurs semaines dans le coma en 1983, il est démis de ses fonctions et renvoyé dans ses foyers à Lattaquié. En juin 2000, à la mort dHafez, comme prévu, Bachar accède à la Présidence. Maher est promu colonel et reçoit le commandement de la firqa 4 en même temps que de la Garde républicaine. Cest lui qui contrôle les accès de la capitale, Damas. Puis il entre au comité central du Baath, le parti unique. Beaucoup croient voir dans la période douverture, baptisée printemps de Damas, qui suit linstallation au pouvoir de Bachar, une diversion destinée à faire sortir de lombre les opposants potentiels. Les témoignages recueillis ne vont pas dans ce sens. Plusieurs de nos contacts le confirment, le nouveau Président cherche alors à sortir la Syrie de lisolement et veut libéraliser le système. Mais, à la même époque, Maher renforce son ascendant sur son frère et parvient à le convaincre. Quelques naïfs sont alors embastillés et le régime redevient plus inflexible que jamais. Dans la foulée, Bachar rompt avec les confidents étrangers témoins de sa volonté douverture. Le renforcement du pouvoir de Maher dans larmée saccompagne de son entrée dans dautres domaines, ceux des affaires et de la diplomatie parallèle. Quatre jours après la mort dHafez, les jeunes du clan Assad, tous bénéficiant de positions dans les divers trafics couverts par le régime, sont convoqués par le nouveau Président. Dorénavant, leur dit-il en substance, Maher sera leur « parrain » dans les relations avec ladministration. Une position qui permet de prélever des prébendes plus que confortables. Deux cousins de Maher et Bachar, Fawaz et Mounzer Al-Assad, détenaient le monopole des trafics illicites sur le littoral syrien, du nord de Lattaquié au sud de Tartus. Fous de rage, ils se répandent en propos peu amènes. Un incident va les ramener à la raison. Dans la région dAl Mondhar, près de Tartus, une patrouille de police intercepte un convoi de marchandises illicites conduit par Mohammad Al-Assad, protégé de Maher. Des coups de feu sont échangés. Un sous-lieutenant de la police est tué. Les coupables sont connus, mais Maher intervenant, la plainte est déposée contre X et ne connaît pas de suite. Fawaz et Mounzer doivent ladmettre. Maher est bien le nouveau patron. Il faut se soumettre ou se démettre. En matière de diplomatie parallèle, Maher tente un gros coup. Début 2004, en Jordanie, il rencontre secrètement Eitan Bentzur (2), un ancien directeur général des Affaires étrangères israélien, devenu homme daffaires mais resté émissaire de lÉtat hébreu. Sûr de lui, le Syrien offre le principe douverture de négociations officielles sans condition. En dautres termes, le retour du Golan, terre syrienne occupée par Israël depuis 1967, nest plus une exigence a priori. Laffaire était suivie au jour le jour, à Damas par Bachar et en Israël par Sylvan Shalom, alors ministre des Affaires étrangères. La tentative de Maher est sur le point de réussir, aux dépens de la Syrie qui risque alors de perdre définitivement le Golan, mais le Premier ministre Ariel Sharon rejette loffre. Maher agit en homme convaincu de ladage
« largent est le nerf de la guerre ».
Jusquen 2005, au Liban sous occupation syrienne,
il entretient des relations financières et commerciales
avec Émile Lahoud (3),
alors Président du pays. Il travaille en liaison avec
Rostom Ghazalé (4),
placé à la tête des renseignements syriens
au Pays du Cèdre et couvrant, entre autres, le trafic
de la drogue. Au cours des années, en concurrence avec un autre baron du régime, Rami Makhlouf (5), il met sur pied un véritable empire financier. Pour ce faire, il utilise des hommes de paille, Mohammad Hamcho, Mayzar Nizamedine et, bien sûr, Khaled Kaddour. A lui seul, le groupe Hamcho contrôle plusieurs affaires dans les domaines des communications téléphoniques internationales par satellite, de la publicité avec la régie Bouraq, des relations financières de la bourse syrienne avec létranger, du change des devises et du parrainage rétribué des investissements étrangers en Syrie. Parmi les compagnies sous contrôle indirect de Maher figurent : Jabal Ali import-export, active dans les pays du Golfe arabo-persique, Charq Al-Awsat, spécialisée dans la promotion des technologies de linformation et de la communication, la Société syrienne de production artistique, le site Internet dinformation Cham Press, la cimenterie Charq Al-Awsat, lentreprise Jupiter, dédiée au tourisme, la chaîne de restaurants Zaman Al-Kheir etc... Maher noublie pas pour autant dassurer ses arrières chez les prétoriens du régime. Il sest constitué un groupe de fidèles, officiers comme lui, dont il sentoura dès son entrée à lécole des cadets. On connaît Ghassan Bilal, Moulhem Mayhoub, Bassel Al-Ali, Ahmad Bichqaq et Ahmed Al-Abdallah. Leur fidélité lui est assurée grâce aux nombreux cadeaux quil leur fait, en particulier de voitures de luxe, dépassant de loin le niveau de leurs soldes. Ghassan Bilal a reçu la direction du Bureau de sécurité, un service de renseignement dédié à la personne de Maher, qui dispose de sa propre prison. La puissance de Maher connaît néanmoins des limites. Assef Chawkat a épousé Bouchra Al-Assad, la soeur des deux frères Assad. Or, ce mariage ne jouit pas du soutien de la famille. Un moment, même, le couple a dû sexiler à Londres. Il est rentré peu de temps avant la mort dHafez Al-Assad, comme nous le savons survenue en 2000. Puis Chawkat sest vu à nouveau confier la responsabilité des renseignements. Bachar sest ainsi donné un allié de poids mais Maher ne lentend pas de cette oreille. Au cours dune réunion, en novembre 1999, une dispute ayant éclaté entre lui et Chawkat, il aurait fait usage de son arme et blessé ce dernier dune balle au ventre. Plusieurs témoignages affirment que le blessé a été hospitalisé à lhôpital du Val de Grâce à Paris. En 2008, cest Maher, encore, qui reçut la mission de mater une rébellion survenue dans la prison de Saidnaya. 25 prisonniers ont été tués dans une opération dune violence inouïe, engageant des lance-roquettes et des missiles. Aujourdhui à la tête de la firqa 4, Maher officie de nouveau sans retenue. Dun problème de régime il a fait la cause de la mise au ban des nations de la Syrie. Lhabile Hafez, qui savait jusquoù aller pour éviter pareille situation, avait bien raison de se méfier de Maher. (1) Bassel sest tué au volant
de sa Mercedes. Des soupçons de complot pèsent
encore sur ce décès. |
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