UNE ANNULATION
DE MARIAGE
FAIT DES VAGUES

août 2008

Clôturée provisoirement au terme d'un jugement rendu le 1er avril 2008 par le Tribunal de grande instance de Lille, l'affaire de l'annulation d'un mariage éclatait trois mois plus tard dans la presse.

Elisabeth Badinter, au nom du droit des femmes, montait au créneau, alors que Rachida Dati estimait le jugement conforme au Droit, et protecteur des intérêts de l'épouse. Le dossier va rebondir au cours de la deuxième quinzaine de septembre.

Intéressé par ces problèmes sociaux, qui sous-tendant des divergences de vues peuvent devenir des sources de conflits, Alain Chevalérias a rencontré Maître Charles-Edouard Mauger, praticien du droit de la Famille, et avocat de la mariée.

 

Alain Chevalérias : Qui sont les deux mariés ?

Charles-Edouard Mauger : Tous les deux sont musulmans français d'origine marocaine, par leurs parents. Lui, ingénieur, elle infirmière, ils sont parfaitement intégrés à notre société. En outre, il ne s'agit pas d'un mariage arrangé mais d'un mariage d'amour, contrairement à ce qui a pu être dit.

AC : Dès lors, pourquoi une demande d'annulation du mariage ?

CEM : Le 8 juillet 2006, après les traditionnelles agapes, quand les deux jeunes gens se sont retrouvés seuls, le mari a prétendu avoir constaté que son épouse avait eu une vie intime avant le mariage et en a immédiatement informé son propre père. Celui-ci, sans attendre, a reconduit la jeune femme chez ses parents, au milieu de la nuit. Je voudrais insister sur le choc psychologique subi. La honte aussi, devant les derniers invités encore attablés.

AC : Comment a-t-elle alors réagi ?

CEM : Pour elle, tout s'écroulait. Elle était anéantie. C'est alors que, trois semaines plus tard, elle reçut une assignation (1). Le jeune homme demandait l'annulation du mariage car il estimait avoir été trompé sur les qualités essentielles de l'épouse.

AC : Qu'est-ce qu'une annulation de mariage ?

CEM : Il s'agit d'une procédure reposant sur le principe de nullité du mariage, ce qui n'a rien à voir avec un divorce. Cette nullité peut-être " d'ordre public ", en cas de mariage forcé par exemple, quand il n'y a pas consentement. Mais la nullité est dite " relative " si l'un des époux estime avoir été trompé sur une qualité essentielle de la personne qu'il épouse.

AC : Qu'appelle-t-on, en l'occurrence, une qualité essentielle ?

CEM : Cela est parfaitement subjectif. Il peut s'agir - pour reprendre les cas d'école - aussi bien d'une femme, qui se serait prostituée, que d'un homme, envoyé autrefois au bagne pour l'assassinat d'enfants, l'un comme l'autre ayant dissimulé les faits à leurs conjoints.

AC : Là, il s'agit d'une virginité...

CEM : On parle de nullité relative quand la connaissance d'un aspect, dissimulé avant le mariage, aurait fait que le conjoint ne se serait pas marié s'il en avait eu connaissance.

AC : Le fait qu'une jeune femme ne soit plus vierge au moment de convoler a-t-il déjà été la cause de l'annulation de mariages ?

CEM : Sauf erreur, nous ne disposons pas de jurisprudences annulant des mariages sur des fondements strictement analogues, bien que des procès anciens entre catholiques puissent faire penser à une analogie. En fait, dans l'affaire qui nous occupe, la notion de non-virginité s'ajoute au fait qu'il y aurait eu selon l'époux, dissimulation d'une relation amoureuse avant le mariage.

AC : Comment avez-vous réagi à la lecture de l'assignation (1) ?

CEM : D'abord sur le principe, comme tout le monde, j'estime inacceptable une telle assignation. Mais l'époux, de son côté, a fait comprendre à son épouse qu'il avait le temps et les moyens. Qu'il irait jusqu'au bout de sa procédure. Répondant à la question de ma cliente, je lui dis que, de recours en recours, cela pouvait durer sept ans, elle fut atterrée, se voyant liée par ce " mariage " sans pouvoir refaire sa vie. Car il faut comprendre cela, elle veut, elle aussi, mettre un terme à ce mariage.

AC : D'où sa décision...

CEM : Oui, nous avons accepté le principe de demande de nullité mais sans rentrer dans le débat et les motifs, par le recours à l'acquiescement judiciaire, afin de protéger sa pudeur de jeune femme. Ceci a été accepté par le mari et validé par le tribunal.

AC : C'est une sorte d'annulation par consentement mutuel, si je puis me permettre ?

CEM : Cela revient un peu à cela, par analogie au divorce par consentement mutuel dans lequel il n'y a pas d'énonciation de griefs, pourtant sous-jacents.

AC : Devant la Chambre des députés, le garde des Sceaux, Rachida Dati, a estimé le jugement fondé. Pourquoi le Parquet (2) fait-il appel ?

CEM : Nous sommes devant un paradoxe : le ministère public s'en ait " rapporté à justice " (3), et donc fut totalement taisant au moment du procès. Puis il a approuvé dans les médias la décision du tribunal. Mais, à la fin, on le voit faire appel de cette décision. Nous sommes confrontés à une problématique sociale et politique, teintée de religiosité.

AC : On voit l'émotion populaire interférer dans le fonctionnement judiciaire.

CEM : Plutôt l'émotion de certains penseurs, philosophes, sociologues ou autres qui se sont précipités sur cette affaire, mais sans avoir les connaissances juridiques nécessaires pour l'apprécier totalement. Cependant, pour ma part, je suis l'avocat d'une personne dont je me dois de respecter la stricte volonté et non d'une cause. Néanmoins, l'émotion suscitée par cette affaire demeure des plus normale.

AC : La réaction de ces penseurs aurait-elle été la même si les époux avaient appartenu à une autre religion ?

CEM : On peut s'interroger.

 

Notes


(1) Ordre de comparaître devant la Justice.
(2) Le Parquet est l'ensemble des magistrats représentant le ministère public. Il exprime l'opinion du pouvoir politique mais ne juge pas.
(3) Il laisse les juges trancher sans émettre une opinion sur le fond, " s'en remettant à la sagesse de la Juridiction saisie ".

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