MICHEL BARNIER
EN ACCUSATION

 Dimanche 9 janvier 2005, nous avons interviewé un responsable de la résistance irakienne de la cité de Falloujah, un lieu attaqué à deux reprises par l'armée américaine. Nous ne pouvons ni infirmer, ni confirmer ses propos. Ils sont cependant crédibles et expliqueraient beaucoup de choses.


 Alain Chevalérias : Quels sont vos noms et responsabilités ?

Zafer Al Obeidi, président du Haut Secrétariat de " l'Ifta " (1) à Falloujah.

A.C : Quelle est votre responsabilité politique?

Zafer Al Obeidi : En islam, on ne peut dissocier le politique du religieux. Je suis à la fois président du Haut Secrétariat de l'Ifta, imam, prêcheur et enseignant auprès de l'école religieuse.

A.C : Que pensez-vous de la politique française en Irak?

 Zafer Al Obeidi : Elle est honorable et louable.Une personnalité française (2) a été la première à enfreindre l'embargo en atterrissant à Bagdad (sous Saddam Hussein). Des contacts avaient alors été noués avec des gens de son appartenance, des représentants du Haut Secrétariat de l'Ifta et des comités en relation avec celui-ci. Ces relations ont perduré jusqu'à aujourd'hui. Nous avons beaucoup d'affinités avec les Français. C'est pour cela que j'ai contribué activement à la libération des deux journalistes français (Chesnot et Malbrunot) pendant ces quatre mois.

A.C : Précisément, qu'avez-vous fait?

Zafer Al Obeidi : Nous n'aimons pas la publicité, mais nous avions un programme prévu et un accord avec un membre du Parlement français. Nous espérions que je remette moi-même les deux journalistes au Président Jacques Chirac en personne. Mais il y a eu des difficultés qui ont surgi de la faute d'autres groupes français.

A.C. : Comment s'appelle ce membre du Parlement ?

Z.Obeidi : Je ne me souviens pas de son nom. Si vous voulez je peux contacter une personne qui me donnera son nom...

(Zafer Al Obeidi téléphone. Il donne ensuite le téléphone à Alain Chevalérias. Quelqu'un parlant un très mauvais français dit que le parlementaire en question s'appelle " Julien Didier. " Chevalérias comprend qu'il s'agit de Didier Julia).

 A.C. : Quand avez-vous commencé à travailler pour obtenir la libération des deux otages?

Zafer Al Obeidi : L'opération a commencé dès le premier jour mais nous veillions à ce qu'elle soit sans contrepartie financière afin que nos relations avec la France restent bonnes, surtout avec des amis comme Julien Didier (Didier Julia). Dans le passé, je suis déjà intervenu personnellement pour faire relâcher trois Français qui avaient été capturés (par les groupes armés) pendant la première offensive contre Falloujah (3). C'était quelques jours avant que vous ne me contactiez (4). Moi même, le Haut Secrétariat de l'Ifta et ceux qui me suivent ou sur lesquels j'ai une influence par mes paroles et mes actes dans différentes parties de l'Irak, nous respectons la presse indépendante. Nous apprécions la présence des journalistes. J'étais aussi derrière la libération de journalistes américains parce qu'ils sont venus en opposant de Bush pour soutenir la cause irakienne.

A.C.:Etes-vous intervenu pour la libération d'autres otages ?

Zafer Obeidi : Oui. Pendant le mois d'avril, pour être précis, j'ai été mêlé à la libération de ces trois journalistes français, d'un journaliste grec, d'une journaliste australienne, de deux Allemands, un homme et une femme, de deux journalistes américains et d'un journaliste italien. Je préparais une voiture, le chef de police venait. Nous avions une voiture privée et une (équipe) de protection afin que les prisonniers ne soient pas repris par ceux dont nous contestons les agissements. J'accompagnais alors les gens libérés à l'ambassade de leur pays.

A.C. : Qui prend des otages et les exécutent ?

Zafer Al Obeidi : Nous ignorons l'identité de ces gens. Etrangement, nous, Irakiens, nous ne savons pas qui ils sont! Nous nous interrogeons.

A.C: Sont-ils Irakiens où viennent-ils de l'étranger ?

Zafer Obeidi : Je ne peux rien affirmer. Le plus important c'est que nous nous opposons à leurs agissements. Si nous étions d'accord avec eux et leurs comportements, avec ce qu'ils prétendent et affirment, je n'aurais pas accepté de vous rencontrer.

 A.C. : Connaissez-vous Zarqaoui?

Zafer Al Obeidi : Qui est ce Zarqaoui? Moi, un Irakien habitant Falloujah je ne sais pas qui il est. S'il existait vraiment, ou avait l'importance que lui donnent les Etats-Unis, ces derniers l'auraient arrêté. Ils ont capturé Saddam Hussein et ils ne pourraient pas s'emparer de Zarqaoui !

 A.C. : Vous avez l'air d'insinuer que Zarqaoui pourrait être une fiction...

Zafer Al Obeidi : Je constate. Après avoir détruit Falloujah, où ils disaient que Zarqaoui se cachait, les Américains ont brusquement déclaré :" Nous le croyons à Mossoul, " avant de s'en prendre à cette ville. Je veux être clair. En tant qu'Irakiens nous nous attaquons à l'occupant. Nous sommes une résistance légale parce que nous avons le droit de défendre notre pays. Les Français se trouvaient dans la même position quand les Allemands occupaient leur sol.Mais si j'approuve une résistance nationale loyale, je ne peux pas accepter les décapitations et les attaques contre des innocents, ni les kidnappings et les assassinats de journalistes.

 A.C. : Le ministre français Michel Barnier a accusé Didier Julia d'avoir retardé la libération des otages. Confirmez-vous?

Zafer Al Obeidi : Didier Julia est un ami du peuple irakien. Nous avions arrangé les choses (pour obtenir la libération des otages) avec lui mais Barnier s'est immiscé dans l'affaire en versant des pots-de-vin. Il a donné beaucoup d'argent. Par son comportement, il a ouvert une porte qui était close sur la France. Il a aiguisé l'intérêt. Il s'est aussi approprié notre travail et nos efforts. On peut très bien vérifier, nous avons fait libérer les deux journalistes français grâce à l'intervention d'un ambassadeur arabe.

A.C. : Bien, soyez plus précis. Philippe Brett s'est-il rendu à Bagdad ?

Zafer Al Obeidi : Philippe est arrivé à Bagdad par Amman le 27 septembre dernier avec l'intermédiaire qui avait contacté nos amis français. Il est resté quatre jours. Il a été convenu que les deux journalistes seraient remis (aux autorités françaises) en passant par la Syrie. Le chauffeur syrien a confirmé cela. Nos amis à Paris devaient affréter un avion privé, à Amman ou à Damas ou ailleurs, et je devais accompagner en personne les deux journalistes français pour les remettre comme un cadeau à la France.

A.C. : Pourquoi cela ne s'est-il pas fait ?

Zafer Al Obeidi : A cause de Barnier. En payant des pots-de-vin il a tout fait capoter.

 A.C. : L'opération américaine contre Falloujah a-t-elle empêché la libération des otages?

Z.S.O. : Même au plus fort des bombardements, nous n'avons jamais cessé de travailler à la libération des deux Français.

 A.C. : J'ai cru comprendre que vous étiez soufi (6)...

Zafer Al Obeidi : Oui, j'en suis fier.

A.C. : Quelles sont vos relations avec les salafistes ?

Zafer Al Obeidi : Nous nous référons au Cheikh Abdel Kader Al Jilani (7), qu'Allah en soit satisfait. Nous sommes nous les vrais salafistes (8).Ceux que l'on connaît aujourd'hui sous ce nom sont en réalité dépassés. Ils sont déphasés. Leur comportement sur le terrain ne correspond pas à l'éthique islamique, que Dieu nous préserve. Les œuvres des salafs (9) planent dans les hauteurs, ces prétendus salafistes qui disent leur ressembler, pataugent au fond des vallées. Ils déclarent des musulmans apostats, ils tuent des innocents et font payer les crimes commis par les uns aux autres.

 A.C. : Une journaliste de Libération (10) a disparu en Irak. Avez-vous des informations à ce sujet?

Zafer Al Obeidi : J'ai entendu cela à la télévision, mais je ne sais pas grand-chose de cette affaire. Je ne sais pas quel groupe l'a enlevée. A mon avis, s'il y a une raison à son enlèvement, elle est liée aux agissements de Barnier dans l'affaire des deux journalistes français (qui viennent d'être libérés). Je parle de la façon dont il a agi. Cela va être une malédiction contre lui et son pays la France que nous espérons à la hauteur de son nom et de sa civilisation.

A.C. : Conseillez-vous aux Irakiens de voter aux prochaines élections ?

Zafer Al Obeidi : Nous sommes pour des élections car la rédaction de la Constitution est une affaire de concertation entre les citoyens. Aujourd'hui, cependant, le processus manque de clarté. Le peuple irakien ignore les règles de ces élections et la manière dont elles sont pensées. Il y a plus grave. Une clause de cette Constitution stipule que le gouvernement élu n'aura pas le droit de demander des comptes aux soldats américains qui commettraient des crimes sur notre sol.

A.C. : Bien, mais invitez-vous les Irakiens à voter aux prochaines élections ?

Zafer Al Obeidi : Je conteste ces élections parce qu'elles sont opaques, que le gouvernement transitoire, le collaborateur des Américains, jouit du pouvoir et que l'Irak ne formera qu'une seule circonscription. Nous devrions bénéficier d'un découpage en 18 circonscriptions, chacune d'entre elles devant former une région indépendante.

 A.C. : Donc, vous donnez pour consigne aux Irakiens de ne pas voter ?

Zafer Al Obeidi : Il faut absolument repousser les élections jusqu'à la mise en place d'un mécanisme sain et acceptable. Parce que le gouvernement de transition n'étant pas légal, il en est de même pour la loi administrative temporaire et pour les élections annoncées par l'occupant.
 
 
 
 
 
 
Cheikh Zafer Obeidi, président du Haut Secrétariat de l'Ifta à Falloujah

 Interview réalisé avec l'aide de Badih Karhani, journaliste et conseiller au
Centre de recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001.

NOTES

(1) Lieu où sont rédigées les fatouas ou " Dar el Fatoua. "
(2) Il s'agissait déjà de Didier Julia qui s'est rendu en Irak sous embargo en septembre 2002 et en février 2003, à la veille de la deuxième Guerre dite du Golfe.
(3) Au printemps 2004.
(4) Alain Chevalérias était entré en contact téléphonique avec Obeidi pendant la première offensive américaine sur Falloujah.

(5) La loi islamique issue du Coran.
(6) Les soufis, divisés en " tariqa " ou voies, ont une approche ésotérique de la religion musulmane.
(7) Le Cheikh Abdel Kader Al Jilani a fondé l'ordre soufi de la Qadiriyyah. Né en Iran en 1077, il est mort en Irak en 1166 où il a été enterré. On peut visiter son mausolée à Bagdad.
(8) Les Salafistes apparaissent à la fin du XIXème siècle. Ils sont d'abord en faveur d'un réformisme de l'islam avant de devenir de plus en plus sectaires au cours du siècle suivant .
(9) Les Salaf, ou prédécesseurs, sont les compagnons de Mahomet et les deux générations de musulmans qui les ont connus. Ils sont considérés comme des sources autorisées en matière de direction spirituelle islamique. Les Salafistes, dans leur nom, font référence à eux.

(10) Florence Aubenas, disparue avec son interprète depuis le 5 janvier 2005

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