recrutée par un mouvement terroriste

 

Jenni Murray, de la BBC, a interviewé Anne Singleton le 6 octobre 2005. Ancienne des Moujahidine-e-Khalq (MEK), elle a essayé d'expliquer comment, manipulé, un individu normal pouvait devenir un terroriste.

TRADUCTION DE L'INTERVIEW
D'ANNE SINGLETON
A LA BBC RADIO FOUR
LE 6 OCTOBRE 2005

Jenni Murray : Quand nous entendons parler de jeunes gens impliqués dans le terrorisme, nous nous demandons souvent comment ils ont pu se noyer ainsi. Nous nous demandons aussi ce qui leur a fait prendre part à des actes de violence que la plupart des gens trouverait particulièrement répugnants. Ceci dit, Anne Singleton, partant de Leeds (Grande-Bretagne) est entrée dans un groupe déclaré terroriste au cours des dernières années, les Moujahidine-e-Khalq d'Iran. Elle est passée par l'université de Manchester à la fin des années 70, puis a subi un entraînement militaire dans l'un de leurs camps en Irak. Elle a combattu pour survivre. Aujourd'hui, elle aide ceux qui veulent sortir de l'organisation. Je lui ai parlé plus tôt ce matin pour lui demander comment elle avait pu se retrouver ainsi piégée en première ligne ?

Anne Singleton : Je voulais changer le monde. J'étais jeune et idéaliste, très passionnée quand il s'agissait de justice et d'injustice à travers le monde. Je suis tombée sur ce groupe (les Moujahidine-e-Khalq) qui me semblait très sérieux dans la conduite de ses activités. Il tenait de nombreux meetings et organisait des manifestations. J'ai fini par me faire recruter.

J. M. : Comment cela a-t-il pris de l'ampleur ? Je veux dire, vous avez commencé par être une simple sympathisante puis vous êtes vraiment devenue un membre à part entière, n'est-ce pas ?

A. S. : Ils utilisaient des techniques. Par exemple, ils devenaient très amis avec vous. Ils vous faisaient sentir que vous compreniez mieux les choses que les autres. Ils usaient un peu de la flatterie et un peu du sentiment de culpabilité pour dire, " Comment pouvez-vous rester assis, sans réagir, quand il y a tant de gens qui souffrent. " Puis, petit à petit, ils vous prenaient quelque chose, comme de l'argent. Ils commençaient ainsi, demandant : " Pouvez-vous participer financièrement ? Accepteriez-vous de nous soutenir ? Nous sommes dans une situation désespérée, aidez-nous s'il vous plaît. " Comme je travaillais, j'ai pu leur donner de l'argent. Cela me donnait bonne conscience. Je leur ai versé des sommes importantes. Cela ne s'est pas arrêté là. Ils m'ont alors priée d'arrêter quelque temps de travailler pour participer aux manifestations en raison de leur " besoin vraiment pressant de soutien. " C'est ainsi que j'ai donné de mon temps, mon implication croissant avec le temps.

J. M. : Comment votre famille et vos amis se sont-ils retrouvés mêlés à tout cela ?

A. S. : J'ai essayé d'intéresser mes amis à mes activités parce que j'étais convaincue de la justesse d'une cause pour laquelle je me sentais très concernée. En fait, ils étaient un peu plus cyniques que je ne l'étais. J'étais sentimentalement impliquée. Cependant, s'ils étaient informés, ils n'ont rien fait pour me dissuader. Je pense qu'ils n'y voyaient pas un danger.

J. M. : Etiez-vous informée à propos de l'assassinat de civils américains à Téhéran (par les Moujahidine-e-Khalq) et de leur soutien à la prise de l'ambassade des Etats-Unis en 1979 ?

A. S. : Je pense que j'ai été informée de ces choses avec le temps. J'ai lu aussi la littérature concernant le passé du mouvement avant la Révolution iranienne mais, bien sûr, la relation historique des faits a beaucoup changé en vingt ans.

J. M. : Pourquoi avez-vous été en Irak afin de suivre un entraînement militaire ?

A. S. : Parce que j'ai été prise dans un processus de manipulation psychologique qui ne permettait pas de penser correctement, qui engourdissait mes capacités critiques au point que j'aurais suivi les Moujahidine-e-Khalq jusqu'au bout du monde s'ils me l'avaient demandé.

J. M. : Vous étiez jeune quand vous avez commencé. Estimez-vous que vous étiez naïve pour rejoindre ainsi ce groupe ?

A. S. : Pour parler franchement, ce type de méthode de recrutement marche aussi bien sur de jeunes gens, que sur des personnes plus âgées, sur des riches, que sur des pauvres. Oui, j'étais naïve. Néanmoins, je ne crois pas exact de dire que parce que quelqu'un est jeune, il est plus vulnérable. Quand je suis rentrée dans l'organisation, j'avais trente ans. J'ai quitté mon travail, ma maison, ma voiture. J'ai tout abandonné pour le donner aux Moujahidine-e-Khalq. J'ai fait cela à cause des techniques de manipulation psychologiques qu'ils ont utilisées et cela n'a rien à voir avec mon âge du moment. Cela fonctionne sur n'importe qui à n'importe quel stade.

J. M.: Que faisiez vous en guise d'entraînement militaire ?

A. S. : Je suis partie pour l'Irak parce que tout le monde y allait, mais l'entraînement militaire était en quelque sorte inévitable. C'était un principe pour les Moujahidine que d'emmener les gens en Irak et de leur donner un entraînement militaire de base : marche, règles militaires essentielles, manipulation d'un fusil, progression en rempant sous les barbelés, cours de combat, formation idéologique. C'était vraiment un entraînement de base.

J. M. : Auriez-vous participé à des attaques violentes s'ils vous l'avaient demandé ?

A. S. :Voyez-vous, c'est le point qui, très récemment, m'a décidé à plus m'exprimer à propos de mon expérience. Parce que, quand j'ai entendu parler des explosions de bombes à Londres et que j'ai vu ces trois jeunes hommes qui avaient été élevés dans la même région que moi, j'ai pensé à eux partant (pour l'étranger). Je ne me souviens pas exactement si j'ai entendu qu'ils étaient partis, mais je pense qu'ils ont dû se rendre dans un camp d'entraînement en Afghanistan ou au Pakistan. Soudain cela m'a touchée. C'était exactement ce que j'avais fait. Quelle différence y avait-il entre eux et moi ? Je m'étais rendue en Irak. Dans un camp d'entraînement au terrorisme. Je n'avais pas songé à çà. A la fin de la journée, je n'avais pas avancé d'un pouce pour admettre ce à quoi cela aurait pu me mener. Alors, j'ai commencé à m'interroger. C'était il y a juste quelques mois. J'ai essayé de me convaincre que sûrement je n'aurais jamais pu m'impliquer dans un acte de violence parce que j'y suis opposée par conviction. Réalisez, j'attrape les mouches et les envoie dehors par la fenêtre plutôt que de les tuer. Cependant, étant honnête avec moi-même, j'ai fini par admettre que j'aurais pu entrer dans un processus violent. Pour une bonne raison : je n'aurais jamais eu la volonté de résister tellement j'étais sous l'influence des Moujahidine. J'aurais fait ce qu'ils m'ordonnaient. Si, par exemple, ils m'avaient dit, nous allons entreprendre une action armée en Iran, j'aurais probablement été effrayée, j'aurais douté de moi, mais j'en suis sûre, je me serais retrouvée suivant avec empressement. Je suis sûre que je l'aurais fait.

J. M.: A quel point cela a-t-il été difficile pour vous ?

A. S. : C'est très, très difficile. Quoique ayant échoué à l'intérieur de l'organisation des Moujahidine, parce que je n'ai pas réussi à me conformer pleinement au système, je me battais et étais en état de stress. J'ai cessé de m'alimenter pendant une longue période. Aussi, en raison de mon incapacité à me conformer à leurs règles, d'Irak les Moujahidine m'ont envoyée à Paris avant de me renvoyer en Angleterre. Je crois que c'est en Angleterre, parce que c'est mon pays, que je suis parvenue à me trouver des voies d'issue pour m'échapper. Par chance, ma mère n'a jamais perdu contact avec moi. Elle est toujours restée en relation avec moi et c'était comme une ligne de vie reconnue que de la savoir là, gardant à l'esprit tout ce qu'elle pouvait me donner. Il y avait aussi le sentiment que rentrant chez moi, je trouverai un système social, que j'aurais un endroit où aller, que je pourrais avoir un logement et bénéficier pour cela d'une aide. Je savais qu'il existait des moyens d'échapper, mais ils n'étaient que matériels. Les ressources naturelles pour échapper à la secte sont bien plus difficiles à trouver parce que vous avez subi un lavage de cerveau. C'est aussi simple que çà.

 

 

 

 

Anne Singleton est née à Leeds, la ville d'où sont venus trois des auteurs des attentats du 7 juillet 2005 à Londres.

 

Anne Singleton est l'auteur du livre:

 

SADDAM'S PRIVATE ARMY

How Rajavi changed Iran's Mojahedin from armed revolutionaries to an armed cult.
 
L'ARMEE PRIVEE DE SADDAM
Comment, de révolutionnaires armés, Rajavi a transformé les Moujahidine-du-peuple-d'Iran en une secte armée.
 
Ce livre vient d'être publié en français

Livre: L'armée privée de Saddam Hussein

Dans ce livre Anne Singleton décrit sa propre expérience au sein des Moujahidine-e-Khalq (MEK ou MKO) de Massoud et Maryam Rajavi.

 Pour commander le livre contacter:
Iran-interlink.org

Lire aussi: Manipulation psychologique chez les Moujahidine (MEK, MKO)

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