Juin 2007
On sait la Commission Trilatérale un club mondialiste de financiers et d'hommes politiques fondé en 1973 par David Rockefeller et Zbigniew Brzezinski. En dépit des travaux effectués par Pierre de Villemarest sur le sujet, beaucoup se contentent, à propos de cette organisation, d'informations de seconde main. Pour en savoir plus, à la fin du mois dernier, nous avons interviewé Paul Revay, directeur européen de la Commission trilatérale. Ses propos sont éclairants. Ecoutons-le : " L'avantage de la Commission Trilatérale, comparée à d'autres structures de réflexion du même type, c'est que ses idées ont un accès plus direct auprès des décideurs. " Et pour cause, les membres de la Commission Trilatérale étant, " en gros, composés pour un tiers de responsables politiques, pour un second d'hommes d'affaires et pour le dernier de personnalités issues des média... Jusqu'à il y a peu, nos membres étaient automatiquement démissionnaires quand ils entraient dans un gouvernement. Depuis deux ans, certains ont demandé à continuer de figurer dans nos effectifs ". Les membres " participent impérativement à deux réunions de deux jours par an. La première, à l'échelle mondiale, au printemps, la seconde, à l'automne, à l'échelon régional ". Pour le bureau européen, "
nous avons un budget annuel de 600 000. Le financement
est assuré pour l'essentiel par nos membres chefs d'entreprise.
La cotisation de la France s'élève à 80
000 répartis entre les dix-huit membres de ce pays
". Mais alors, qu'est-ce donc que la " gouvernance mondiale " dont parlent les documents de la Trilatérale : " Il s'agit de la méthode à mettre en place pour résoudre ensemble les problèmes du monde. Ceci pour rendre plus légitimes un certain nombre de décisions qui sont prises au niveau mondial dans le cadre du multilatéralisme (1) ". Et d'ajouter : " Nous soutenons avec vigueur le multilatéralisme et nous sommes très, très, inquiets du retour du fait national ". Voilà Revay touchant du doigt la blessure, en opposant multilatéralisme et nationalisme. Car nous sommes certes favorables au multilatéralisme lorsqu'il suscite des structures de discussion entre les États sur une base d'égalité. Mais nous y sommes rebelles quand il sert de camouflage aux ambitions unipolaires des États-Unis et à leurs tentatives de domination du monde. A nos yeux, " le fait national " ne s'oppose donc pas à notre entendement du multilatéralisme. Au contraire, pour nous, l'un se nourrit de l'autre. Par contre, " le fait national " est inassimilable avec l'actuel projet des États-Unis et le mondialisme. Aussi, opposant " fait national " et multilatéralisme, Revay révèle le fond de sa pensée. Il poursuit : " Nous sommes inquiets, au niveau du commerce international, de la création de blocs. S'il y a pour nous une philosophie à laquelle nous souscrivons tous, c'est le soutien du multilatéralisme pour défendre les petits pays ". Le multilatéralisme de Revay, sous le contrôle des États-Unis, conduit à l'écrasement des petits par "la" superpuissance, faute de contrepouvoirs pour s'opposer au plus fort. Il l'admet implicitement en dénonçant l'émergence de "blocs" (seuls capables de défier l'hégémonie américaine). Mais l'Union européenne ne constitue-t-elle pas, justement, un bloc du type dénoncé par Revay ? Là, il faut bien écouter : " Au niveau européen, nous sommes très inquiets de l'apparition du phénomène de l'intergouvernementalisme (2) des pays membres. Il va à l'encontre de la gestion communautaire. Nous sommes très en faveur du renforcement du pôle de la commission. C'était quand même l'idée du projet original du projet européen ". Là, on comprend. Aux yeux de Revay, l'Europe centralisée n'est pas un danger. Elle ne représente pas un bloc concurrent des États-Unis. Et pour cause, elle ne protège pas les Européens, mais les livre à l'appétit de Washington. Notre rencontre allait cependant nous livrer quelques surprises. Par exemple, sans doute pour faire passer le message, notre interlocuteur nous confie après une heure d'entrevue : " Nous savons que le cycle de Doha, cet été, va probablement échouer, il n'y aura probablement pas de résultat très concluant ". Or, justement, le cycle de Doha, initié au Qatar en 2001 sous les auspices de l'OMC (3), avait pour objectif d'accentuer la libéralisation de l'accès des marchés des pays sous-développés aux pays industrialisés. Déjà, en juillet 2006, faute d'entente, les négociations avaient été suspendues. Nous avons du mal à voir dans cette recherche d'accès aux marchés des plus pauvres, le reflet de l'altruisme des plus riches. (1) Concept utilisé dans
les relations internationales, le multilatéralisme est
un mode d'organisation interétatique basé sur la
coopération entre les États afin d'instaurer des
règles communes. |
Nous avons obtenu un document interne de la trilatérale rapportant les propos tenus lors d'une séance de la 26ème Rencontre européenne de l'organisation, à Prague, du 18 au 20 octobre 2002 (1). Christopher Patten (2), alors Commissaire aux relations extérieurs de l'Union européenne, avait entamé les discussions, déclarant que l'action militaire n'était pas, à ses yeux, la meilleure méthode d'apporter la démocratie au Moyen Orient. Dans l'air, flottait déjà des rumeurs insistantes de guerre contre l'Irak. Richard Perle (1), alors conseiller du gouvernement des États-Unis, répondit vertement. Il alla jusqu'à préconiser d'attaquer l'Irak rapidement, en raison du risque que représentait à ses yeux ce pays. Plus loin, il contestait même le droit des Nations unies à décider de la légitimité d'une guerre. Comme d'autres, Paul Revay (4), sortant de la réunion, dit s'être senti assommé. " Ils vont y aller", disait-on dans les couloirs. À partir de ce jour, la coupure de la Commission Trilatérale en deux courants devenait évidente. La réunion de Prague, servant de tribune aux " Néo-cons " américains, divisait aussi l'institution.
DE LA TRILATÉRALE
|
www.recherches-sur-le-terrorisme.com |