LA CORSE AVANT LA FRANCE |
En Corse, les élections
régionales de décembre ont donné le pouvoir
aux partisans de lindépendance, baptisés
nationalistes. Gilles Simeoni, nouveau président du conseil
exécutif de la Collectivité territoriale de Corse,
a demandé au gouvernement « de prendre la mesure
de la révolution démocratique » qui se
déroule edans l'île. Élu à la tête
de lAssemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni a prononcé
un discours en langue corse et a prêté serment sur
le livre « Giustificazione della Rivoluzione di Corsica
» (Justification de la Révolution de Corse), le
livre qui servait de référence
«
La France est un pays ami », déclarait Jean-Guy
Talamoni, nouveau président de lAssemblée
territoriale, le 18 janvier. Il voulait sans doute apaiser les
tensions. Il les a aiguillonnées. Il veut la collégialité
de la langue corse aux côtés du français.
Manuel Valls la lui refuse. Il présente les |
AVANT LA FRANCE Lhomme met le pied sur lîle vers 10 000 avant notre ère. Une civilisation édificatrice de statues et de tours émerge entre les XVIe et XIVe siècles av. J-C. La Corse va alors être un enjeu de conquête entre les Étrusques, les Carthaginois, les Grecs et enfin les Romains qui se lancent à la conquête à partir de 259 av. J-C. Il ne faudra pas moins de cinq expéditions sur une trentaine dannées pour que Rome vienne à bout des habitants. Mais, en 455 ap. J-C, avec laffaiblissement de lEmpire, les Vandales sinstallent, délogés par les Byzantins quinze ans plus tard. Recommence alors une farandole doccupations en la personne des Goths, des Francs, des Génois et du Vatican, avec les armées du Pape, qui sajoutent aux autres tentatives, toutes éphémères, de prise de contrôle de la Corse. À partir de 704, cependant, un nouvel agresseur apparaît. On lappelle le « Maure ». Ce sont dabord quelques pirates islamisés et des musulmans attaquant à partir de lEspagne. Ils serviront souvent dexcuse à leurs interventions aux autres envahisseurs. La première vague mauresque se tarit en 1014. À cette date, une flotte de Pisans et de Génois défait celle de lémir Abou Hossein Moghehid, mais surtout le renouveau de puissance de lEmpire de Byzance bride les Arabes. En 1358, cependant, éclate une révolte populaire qui met à mal loccupation génoise présente depuis 1347. Significatif dun certain esprit de la population de lîle, des seigneurs sont chassés, des représentants populaires, les « Caporalis », les remplacent, la plupart des châteaux sont démolis et, dans les terres « libérées », le peuple sadministre sur la base de « communes émancipées » unies en confédération. Expérience qui se prolonge mais de manière atténuée, Gênes reprenant ses droit à partir de 1372. Mais, à partir de la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, leffondrement de Byzance et lexpansion de lEmpire ottoman, les Maures reviennent. On les appelle dorénavant « Barbaresques ». Moins bien défendues que dautres côtes méditerranéennes, celles de la Corse sont périodiquement razziées et les populations emmenées en esclavage. Pour rassurer les habitants, Gênes ordonne la construction de tours de guet pour lancer lalerte... mais aux frais des Corses. La menace barbaresque va durer trois siècles. Les Corses fuient les villages de la côte et sinstallent dans les montagnes. Ce long épisode explique pour partie lanimosité des Corses à légard des Arabes. En 1511, cependant, toute lîle est sous lautorité de Gênes. Il va néanmoins y avoir encore des tentatives pour se substituer à la souveraineté génoise. Ainsi, en 1551, la France soutient la rébellion de Sampiero Corso, un Corse qui a servi comme capitaine mercenaire dans les armées de François 1er . Il est pourtant considéré comme un héros de la cause corse. En 1555, les Français sallient aux Turcs pour attaquer Bonifacio et le Cap Corse. Il faudra lintervention génoise et le traité de Cateau-Cambrésis, en 1559, pour que la Corse revienne à Gênes. En 1729, un premier soulèvement a lieu contre Gênes à la suite de mau-vaises récoltes et de la surcharge dimpôts. En 1730, la Corse va jusquà demander son indépendance. Le St Empire germanique est appelé à la rescousse par Gênes. Calmée, la rébellion explose de nouveau. La France, cette fois intervient à la demande de Gênes.
LA CORSE EN FRANCE Cela nempêche pas lirrédentisme de se développer. En 1755, une assemblée de députés est convoquée par un certain Pascal Paoli pour écrire les grandes lignes dune Constitution. Puis Paoli est élu général en chef du soulèvement, de la République de Corse dans lesprit de ses partisans. A Gênes, on se fatigue de ces Corses dont linsoumission coûte cher. Le 15 mai 1768, au Traité de Versailles, en échange de lannulation de sa dette, la République des doges finit par donner la Corse à la France. Louis XV gouverne. Il refuse de reconnaître la République de Paoli et envoie son armée concrétiser le rattachement. Dabord, larmée corse met les troupes du roi en déroute le 9 octobre 1768 à Borgo. Le 8 mai 1769, la situation sinverse à Ponte-Novo et la Corse passe sous domination militaire française. Le 13 juin, Paoli senfuit pour la Grande-Bretagne. Laffaire ne laisse pas insensibles les philosophes des Lumières, dont Voltaire et Rousseau, qui voient dans la République de Paoli un exemple de démocratie. Les habitants de lîle non plus napprécient pas et, en 1774, cela vaudra à la France un nouveau soulèvement. Il se terminera par lenvoi au bagne de Toulon de 600 Corses. Lîle nen reste
pas moins la cible des pirates barbaresques. Ainsi, parmi dautres,
en 1778, une enfant est enlevée. Elle sappelle
Marthe Franceschini. Sa beauté la fera remarquer
par le roi du Maroc. Plus chanceuse que dautres
esclaves, elle sera élevée au rang dépouse
légitime et de sultane. Après avoir rallié la République naissante sur le continent, Paoli est néanmoins déçu par la montée de la terreur. Inexécutable, un ordre darrestation est délivré contre lui par la Convention en avril 1793. En 1794, il accentue ses négociations avec la Grande-Bretagne. Il tourne alors au dictateur excluant les opposants ou les empêchant de se rendre au vote. Puis il se fait élire Père de la Patrie et fait jurer fidélité à la couronne britannique. Sous le commandement de lamiral Hood, une flotte anglaise débarque. Les troupes françaises, trop peu nombreuses en raison des guerres continentales, sont chassées. Les Corses cependant résistent. Les villes littorales souffrent beaucoup sous les attaques. Calvi en particulier qui est détruite. Paoli semble avoir gagné. Mais les Britanniques lui refusent la couronne de vice-roi quil ambitionnait. Puis craignant quil ne fomente un soulèvement contre eux, ils lappellent à Londres où il mourra le 5 février 1807, traître à la France, aux Corses et pourtant héros légendaire aux yeux de ces derniers. Mais en 1796 Bonaparte a été nommé commandant en chef de larmée dItalie par le Directoire. Les Français chassent les Anglais de Corse. Puis, en 1804, Napoléon devient empereur des Français. Le fils du pays devenant le chef de la puissance occupante, les Corses remettent de moins en moins en cause leur appartenance à la France. Ce dautant plus quils jouissent de légalité des droits.
LA CORSE REBELLE Cependant, en 1816, la tension monte dans lîle... contre Louis XVIII, qui succède à Napoléon 1er, parce quil affiche des sentiments anti-bonapartistes. Autant dire le coup dÉtat de Napoléon III, en décembre 1851, bien reçu par la population. La Corse semble alors bien ancrée dans la France et, en 1859, quand la Cour de cassation y réaffirme le français seule langue officielle, on ne signale pas de fortes réactions de mécontentement. Parenthèse intéressante, en 1942, les forces italiennes et allemandes occupent la Corse. Mais, en 1943, suite à leffondrement du régime de Mussolini à Rome, les soldats italiens retournent leurs armes contre les Allemands avec laide de partisans corses et de militaires français arrivés de nos colonies africaines. Résultat, cette année là, Ajaccio est la première ville française libérée. La lune de miel entre les Corses et Paris ne va cependant pas durer. En 1957, un plan de mise en valeur des potentialités agricoles de lîle est bien lancé, mais 90% des terres promises aux Corses vont être données aux rapatriés dAlgérie. Dans le même temps, en raison du faible développement de lîle, les jeunes sexpatrient et le nombre dhabitants seffondre. Tout cela nourrit un vif ressentiment. À partir de 1965, éclatent les premières revendications, dabord autonomistes, puis indépendantistes. Puis la poudre commence à parler. Le 15 septembre 1972, un navire italien est dynamité. Il rejetait au large de lîle des déchets toxiques émanant dune usine de peinture italienne de la société Montedison. Le FPCL, « Front patriotique corse de libération » revendiquera lattaque. Puis, le 21 août 1975, à Aléria, avec une douzaine dhommes armés de fusils de chasse, le docteur Edmond Siméoni occupe lexploitation dun viticulteur pied-noir. Un millier de gendarmes et de policiers cernent les lieux. Deux gardes mobiles sont tués. Les 23 et 26 août, Des émeutes nocturnes éclatent à Bastia. Michel Poniatowski, alors ministre de lIntérieur, envoie des blindés dans la ville. Après quoi, relatif, le calme ne dure pas. Le 5 mai 1976, 22 plastiquages sentendent simultanément dans les villes corses, à Marseille et à Nice. Ils sont lacte de naissance du FLNC, « Front de Libération nationale corse ». La situation reste néanmoins maîtrisée, les autorités associant réformettes administratives, surveillance et libéralités financières. Peu de Corses, faut-il dire, suivent les indépendantistes. La population a trop à perdre, en terme daides sociales, de retraites et compte tenu de la forte proportion de fonctionnaires corses travaillant dans ladministration sur le continent. Pour preuve, les résultats des consultations électorales. Ainsi, en 1992, aux élections territoriales, la Corse étant dotée dune assemblée élue, les indépendantistes nobtiennent que 25% des voix. Cependant, très vite, des conflits éclatent entre leurs différents mouvements et le FLNC lui-même éclate. Il y a bien sûr des morts, à la suite de règlements de compte aux relents affairistes et mafieux. Des destructions de biens aussi. Mais finalement peu de chose comparé à la violence déchaînée en Espagne par les Basques. Puis, en 1998, le préfet Claude Erignac est assassiné. Un an plus tard, éclate laffaire dite des paillotes, une action clandestine de la gendarmerie ordonnée par le préfet Bernard Bonnet. Pour calmer le jeu, en 2000, Lionel Jospin, Premier ministre, élargit les compétences de la collectivité territoriale corse. Aussi, en juillet 2003, la majorité des électeurs vote en faveur des anti nationalistes conduits par Émile Zuccarelli. Cependant, aux élections de 2010, les nationalistes atteignent le score de 36%. Trois ans plus tard, lAssemblée corse vote pour la co-officialité de la langue corse et du français. Puis, le 13 décembre 2015, les nationalistes lemportent aux élections territoriales. Gilles Siméoni, fils dEdmond Siméoni cité plus haut, devient président du Conseil exécutif. On peut se demander combien de temps la Corse va rester française. Jean Isnard |
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