HISTOIRE
L’AVEUGLEMENT
De Gaulle face à l’Indochine

Le colonel Pierre Quatrepoint est un ancien des Troupes de Marine. A l’origine admirateur de De Gaulle, comme il le confie, à la suite d’un voyage d’étude au Viêt-Nam, il est revenu sur ses sentiments. Dans son livre (1) il dresse un tableau pour le moins désabusé sur l’Homme du 18 Juin et ses responsabilités dans le drame indochinois.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le nationalisme gagne en intensité et se propage parmi les élites vietnamiennes. Un certain Nguyên-Sinh-Công en fait partie. Il se rend en France où il se voit refuser l’accès de l’École coloniale. Il voyage à travers l’Europe et adhère au marxisme. De retour en Asie, en 1930, il fonde le parti communiste vietnamien, est arrêté, s’échappe et se réfugie dans les montagnes. Il réapparaîtra pendant la Deuxième Guerre mondiale sous le nom d’Hô-Chi-Minh. Le 29 août 1942, à nouveau capturé, portant la gangue au cou et les fers aux pieds, il sera libéré en septembre 1943.

Les nationalistes ne sont alors pas le seul problème des Français. Les Japonais occupent le pays et les Chinois n’aspirent qu’à l’envahir. Quant à l’administration, officiellement sous les ordres de Vichy, De Gaulle l’appelle à la désobéissance. Il va même favoriser l’organisation d’une résistance des Européens et, preuve de son incompréhension de la situation, depuis Londres appeler vainement les Indochinois à se rebeller contre les Japonais.

Le 9 mars 1945, violant les accords signés avec les autorités françaises locales, les Japonais désarment les garnisons de ces dernières. Ceux qui résistent sont massacrés, les prisonniers torturés et parqués dans des camps de la mort lente. Plus grave, selon Quatrepoint, le 5 mars, De Gaulle connaissait le plan des Nippons par les écoutes australiennes. Or, calcul ou négligence, il n’a pas averti ses compatriotes bloqués en Indochine.

Le 10 mars, croyant amadouer ainsi les Vietnamiens, l’ambassadeur du Japon déclare à l’empereur Bao Daï : « Sire, la nuit dernière, nous avons mis fin à la souveraineté française sur le pays. Je suis chargé de remettre à Votre Majesté l’indépendance du Viêt-Nam ». Puis le 25 août, quelques jours après la capitulation japonaise, se soumettant au diktat des communistes, Bao Daï leur remet officiellement le pouvoir.

Il écrit à De Gaulle : « Même si vous arriviez à rétablir une administration française, elle ne serait plus obéie... Je vous prie de comprendre que le seul moyen de sauvegarder les intérêts de la France est de reconnaître franchement l’indépendance du Viêt-Nam... Nous pourrions si facilement nous entendre et redevenir des amis si vous vouliez cesser de prétendre redevenir nos maîtres ».

Mais De Gaulle a une autre idée en tête. Alors chef du GPRF (2), il a décidé la reconquête du Viêt-Nam. Il a choisi le général Leclerc pour commander le corps expéditionnaire mais, n’aimant cet officier trop droit pour ne pas être rétif, il place au-dessus de lui le vice-amiral d’Argenlieu comme gouverneur, un marin incompétent en matière de combats terrestres et ignorant tout de l’Indochine, mais d’une obéissance à toute épreuve.

Leclerc part le 18 août 1945 avec sa seule équipe. On ne lui a transmis aucune documentation. Il doit se débrouiller avec ce qu’il trouvera sur place et compter sur l’aide des Anglais.

Pendant plusieurs mois, sans moyens, Leclerc reste bloqué à Ceylan au quartier général britannique dont les soldats désarment les forces japonaises au Viêt-Nam. Il n’arrivera à Saïgon que le 5 octobre. De Gaulle propose une « large autonomie » au pays, mais ne veut pas entendre parler d’indépendance. Leclerc, lui, a compris celle-ci inévitable. Il fait néanmoins son devoir de soldat et, pour négocier en situation de force, parvient à reconquérir une partie du territoire. Hô-Chi-Minh finit par accepter le maintien des forces françaises pendant quelques années à condition d’aboutir à l’indépendance.

De Gaulle fera mine d’acquiescer, jouant sur les mots, jusqu’à ce qu’Hô-Chi-Minh se rende compte que l’ancien chef de la France libre se moque de lui. L’avenir de la région est alors écrit : trois décennies de guerre.

On peut se demander si, jouant un jeu plus honnête, De Gaulle n’aurait pas pu éviter beaucoup de sang et pu « sauvegarder les intérêts de la France », comme le disait Bao-Daï.

Jean Isnard

Notes

(1) « L’aveuglement, De Gaulle face à l’Indochine », Pierre Quatrepoint, Éd. Remi Perrin.
(2) Le Gouvernement provisoire.

 

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
www.recherches-sur-le-terrorisme.com
 
 

 

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