HISTOIRE
Pétain et Jabotinsky

novembre 2010

La publication du projet de loi sur le « statut des Juifs », votée le 3 octobre 1940, apparaît comme une occasion de plus d’attaquer le maréchal Pétain et de flétrir la mémoire de la France. Certes, à l’aune de nos principes, il est intolérable de refuser l’accès de certaines professions à des Français, en l’occurrence les Juifs, comme le faisait cette loi.
Néanmoins, nous nous permettons de signaler, que 70 ans plus tard, c’est une règle assez ressemblante qu’imposent les Juifs d’Israël aux 20% de leurs concitoyens arabes : sur les papiers d’identité de ces derniers figure leur religion, premier moyen de discrimination, et ils ne sont pas appelés sous les drapeaux sous prétexte qu’ils n’appartiennent pas au « peuple juif ». Quant à leur accès aux affaires de l’État, il reste difficile de trouver un ministre ou un ambassadeur israélien issus de la minorité arabe. Un autre anniversaire que celui du « statut des juifs » est cependant célébré en ce mois d’octobre par un grand nombre de membres de la communauté : celui de la naissance, il y a 130 ans, de Vladimir Jabotinsky, décédé de plus quelques mois avant la promulgation de la loi du 3 octobre 1940. « Actualité Juive » du 14 octobre 2010 consacre plus de sept pages à l’événement. Il convenait de dir e à nos lecteurs qui est ce personnage.

Né le 18 octobre 1880 à Odessa (Ukraine) dans une famille aisée de marchands de grains, Jabotinsky se retrouve orphelin à six ans. Grâce à sa mère, il n’en poursuit pas moins ses études en russe et en hébreu. Puis il part à 18 ans pour l’Italie et la Suisse où il étudie le droit et devient un journaliste reconnu.

Selon ses biographes, il fut très marqué par le pogrom de Kichinev, en 1903, en Bessarabie (1). De cette époque date son engagement en faveur d’un sionisme radical (2). Comme de nombreux jeunes Palestiniens choqués par la violence de « l’autre », il ne peut envisager d’autre réponse que la force.

Polyglotte, il mène alors une vie d’activiste, d’intellectuel et d’orateur. Il tente d’abord de créer une milice d’auto-défense juive à Odessa, puis on le retrouve de 1908 à 1910 à Constantinople diffusant la propagande sioniste auprès de la communauté juive. Quand la Première Guerre mondiale éclate, il part d’abord comme correspondant d’un journal russe.

Convaincu que les alliés l’emporteront, il lance un appel en faveur de la création d’une force juive, afin de permettre aux sionistes de se trouver aux côtés des vainqueurs à la table de négociations et d’obtenir ainsi la création d’un État juif en Palestine. En 1915, les Britanniques créent un corps de muletiers juifs, puis trois régiments, les 38ème, 39ème et 40ème de Fusiliers royaux, qui combattent contre les Turcs. En 1918, alors lieutenant, Jabotinsky traverse le Jourdain à la tête d’une compagnie du 38ème. Mais, en 1919, les Britanniques dissolvent les unités juives suscitant la fureur du jeune homme, qui voulait en faire le noyau d’une armée d’occupation de la Palestine.

Il s’installe néanmoins sur ce territoire avec des dizaines de milliers de Juifs et fonde un groupe d’autodéfense. En mars et avril 1920, quand éclatent des émeutes arabes s’opposant à l’installation massive de Juifs, il fait le coup de feu. Un tribunal militaire britannique le condamne alors à 15 ans de prison pour détention illégale d’armes. Au bout d’un an, cependant, il est gracié.

En 1921 il est élu à la direction de l’OSM (Organisation sioniste mondiale). Très vite, néanmoins, son extrémisme l’oppose aux autres membres de l’organisation dont il démissionne le 17 janvier 1923. Puis, en 1925, il fonde « l’Union des sionistes révisionnistes ». Par ce terme, « révisionniste », il signifie son opposition au courant dominant. Il y a aussi de l’ambiguïté chez Jabotinsky. En 1923, il a créé le Betar (3), présenté comme un mouvement de jeunesse sioniste. En fait, c’est une organisation militarisée proche par ses apparences des mouvements fascistes. Moshé Arens, ancien ministre de la Défense israélien, raconte : « Je me souviens des jeunes betarim en uniformes, rassemblés pour l’inspection et pour acclamer Jabotinsky » (4).

Plus significatif, en 1934, les sionistes révisionnistes fondent l’ « Académie navale du Betar » à Cititavecchia, en Italie. Il s’agit d’une école pour former les marins qui devront constituer le noyau de la future marine israélienne. ls agissent sous la protection de Mussolini qui s’est laissé convaincre par Jabotinsky de l’intérêt pour Rome de disposer d’un allié dans l’est méditerranéen face aux Arabes. L’école recevra même un bateau, le Sarah-I, financé par un juif de nationalité belge, un certain Kirschner (5).

En 1937, le Sarah I se rendra à Haïfa suscitant un article dans « The Palestine Post » (6). Il sera reçu avec tous les honneurs par les autorités juives locales. Pourtant, le régime de Mussolini ne faisait pas secret de ses relations avec les révisionnistes sionistes. Dans le bulletin des professionnels de la mer italiens de l’époque, on pouvait lire : « En accord avec toutes les autorités compétentes, il a été confirmé que les vues ainsi que les orientations sociales ou politiques des Révisionnistes (sionistes) sont connues et sont en absolue concordance avec la doctrine fasciste. Aussi, étant nos étudiants ils vont apporter la culture fasciste et italienne en Palestine » (5).
Les cadets de Jabotinsky se sont véritablement engagés aux côtés de Mussolini, allant jusqu’à participer avec les Italiens à la seconde guerre d’Éthiopie, en 1935-1936 (5), même si l’école, sans doute sous les pressions de la communauté juive, devait fermer ses portes en 1938.

Si, à partir de 1929, Jabotinsky est interdit de séjour en Palestine par les Britanniques, il n’en continue pas moins d’influencer la politique du pays à partir de l’étranger. Ainsi, en 1935, il entre à la direction de l’Irgoun, structure militaire qui s’est donné pour mission la protection des Juifs de Palestine. Plusieurs attaques terroristes contre des civils arabes sont alors exécutées par cette organisation. Pour certains historiens, Jabotinsky n’était pas d’accord.

Néanmoins, le 27 février 1939, quand l’Irgoun assassine 27 civils arabes pris au hasard des rues de Haïfa pour venger l’exécution d’un Juif exécuté par les Britanniques, Jabotinsky approuvera : « Votre réponse aux manifestations de victoire des ennemis de l’État juif a produit un effet énorme et positif » (7), dira-t-il.

Mais, ses engagements extrêmes, en particulier sa revendication proclamée d’un État juif, quand la plupart des sionistes préfèrent taire leur véritable objectif pour ne pas provoquer le blocage de l’immigration, provoquent contre lui une véritable levée de boucliers chez les sionistes. Aussi, le 4 août 1940, quand il meurt d’une crise cardiaque lors d’une visite d’un camp du Bétar aux États-Unis, beaucoup préfèrent l’oublier. Il devra attendre 16 ans pour que ses restes soient inhumés au Mont Herzl, à côté de Jérusalem.

Restait son héritage idéologique. Sur l’insigne du Bétar, continue de figurer une carte sur laquelle on voit l’État juif s’étendant sur les deux rives du Jourdain pour inclure la Jordanie en plus des actuels territoires palestiniens.

Tirée d’un article publié dans plusieurs journaux, dont le « Jewish Herald » du 26 novembre 1937 en Afrique du Sud,
la pensée de Jabotinsky se résume en quelques mots (8) : « Nous ne pouvons pas offrir de compensation adéquate aux Arabes palestiniens en échange de la Palestine. Aussi, il n’existe pas la moindre possibilité de parvenir à un accord volontaire (...) La colonisation sioniste doit ou s’interrompre, ou se poursuivre sans se préoccuper de la population indigène (...) derrière un mur de fer que les indigènes ne peuvent pas briser (...) C’est notre politique arabe ».

On lit plus loin : « Nous prétendons que le sionisme est honnête et juste. À partir du moment où il est honnête et juste, justice doit être rendue ». Hitler n’aurait pas parlé autrement pour imposer son point de vue.

Jean Isnard

Notes

(1) Le 6 février 1903, on découvrait à Kichinev (capitale de l’actuelle Moldavie), le cadavre d’un jeune garçon. On arrêta plus tard l’auteur du meurtre, mais la rumeur accusa les juifs d’avoir commis un crime rituel. Le 6 avril, se prolongeant pendant trois jours, un pogrom éclata causant la mort de 49 juifs et le pillage de nombreuses maisons et commerces leur appartenant.
(2) Le sionisme est une théorie politique inventée par Théodore Herzl à la fin du XIXème siècle.
(3) Cette organisation existe encore. En France elle est responsable de plusieurs actions violentes.
(4) In « Actualité juive » du 14 octobre 2010.
(5) D’après le livre d’Eric Kaplan, « The Jewish Radical Right : Revisionist Zionism and its Ideological Legacy ».
(6) Journal sioniste en langue anglaise fondé en 1932 en Palestine.
(7) D’après les archives de Jabotinsky.
(8) Notre traduction de l’anglais en français.

 

 

 

 Les héritiers de Jabotinsky


Pour un sujet aussi sensible, nous citons une source juive.

A propos de Menahem Begin : « Alors qu’il était Premier ministre, il retarda une première réunion avec Jimmy Carter afin de visiter la tombe de V. Jabotinsky sur le Mont Herzl à Jérusalem et de « l’informer » que les disciples du maître à penser du courant sioniste révisionniste constituent désormais le gouvernement d’Israël ».

« Après la démission de Begin, c’est pourtant un autre admirateur de V. Jabotinsky qui prit la relève. Yitzhak Shamir fut en effet nommé Premier ministre (...) Membre de l’Irgoun, il était un adepte de la manière forte ».

« Après la défaite du Likoud en 1993, le parti de droite entra dans l’opposition jusqu’à l’élection, en 1996, d’un autre fervent du courant révisionniste. Benyamin Netanyahou est en effet un pur produit « jabotinskien ». Son père, Ben-Zion, professeur d’histoire juive, fut dans les années trente, le secrétaire particulier de V. Jabotinsky. A ce titre, il a enseigné à ses fils, et notamment à Benyamin, toutes les bonnes raisons d’admirer celui que l’actuel Premier ministre définit comme « l’un des géants intellectuels des annales du sionisme et de l’histoire de notre peuple dans les temps modernes » ».

« Après un intermède travailliste de trois ans, le courant jabotinskien revint sur le devant de la scène en la personne d’Ariel Sharon (...) (qui) croyait que con formément à la pensée de Jabotinsky, « ce qui ne peut s’obtenir par la force peut s’obtenir par plus de force » ».

En France, nous ne connaissons pas d’hommes politiques se réclamant du maréchal Pétain, pourtant un modéré, comparé à Jabotinsky.

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Lu dans « Actualité juive » du 14 octobre 2010 en page 12.

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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