HISTOIRE
GENÈSE AFGHANE
DU JIHADISME

octobre 2014

C’était au printemps 1985. J’entreprenais un quatrième voyage de plusieurs mois pour rejoindre la région de Mazar-i-Charif, au nord de l’Afghanistan. D’habitude, je me déplaçais à pied ou à cheval accompagnant les caravanes qui remontaient des armes destinées aux maquis anti-soviétiques. Cette fois, je devais voyager avec une colonne de trois camions chargés de roquettes et de mitrailleuses lourdes, escortés de quelques dizaines de combattants.

Je rejoins la colonne en instance de départ dans la zone tribale pakistanaise. Un secteur interdit aux étrangers dans lequel je circule habillé à l’afghane et pratiquant les us et coutumes de mes hôtes pour passer inaperçu.

Je connais la plupart des Afghans prêts au départ. Parmi eux, cependant, un groupe de quatre hommes me surprend. Trois sont Algériens, un Syrien. Les Afghans leur manifestent de la déférence. J’apprendrai que ces « Arabes », comme on les appelle, sont venus les poches pleines d’argent envoyé par les pays du Golfe.

Dès l’abord, ils me manifestent de l’hostilité. En particulier leur chef, un Algérien âgé d’une trentaine d’années portant une barbe noire et une tenue afghane de couleur sombre.

Je l’écoute parler à nos hôtes. Il s’adresse à eux en persan, la langue principale du pays. « Les médecins français*, dit-il, veulent détruire l’islam ». Il les accuse de distribuer des photos de femmes nues et des crucifix à leurs patients. Il faut être tordu pour répandre pareilles calomnies car, dans ce pays austère et ultra religieux, elles peuvent mettre en péril la vie des « toubibs ».

L’étrange individu ne s’arrête pas là. « Savez-vous à qui appartient le monde ? » Assène-t-il avec autorité. Confronté au silence interloqué des Afghans, il affirme: « Mais aux musulmans, bien sûr ! Et un jour, nous convertirons tous les infidèles à l’islam, nous ferons le jihad et gouvernerons la planète... »

Quelques jours plus tard, alors que nous avons entamé notre périple à l’intérieur du territoire afghan, le prêcheur à la barbe noire se rapproche de moi et me parlant en français, langue que jusqu’ici il prétendait ignorer, il m’invite à me convertir à l’islam, plus précisément à son interprétation de cette religion : « Déjà des milliers de tes compatriotes ont pris la vraie religion. Bientôt des millions vont se convertir. Nous installerons un gouvernement islamique à Paris et appliquerons la charia sur tout le pays... »

Surpris, je demande : « Qu’adviendra-t-il des Français qui refuseront de se convertir ? » La réponse est sans appel : « Ceux qui accepteront de payer un impôt spécial, la jizya, pourront pratiquer librement leur religion. Les autres seront exécutés. C’est l’ordre de Dieu... » « Et les athées, » osai-je répliquer : « Les impies doivent mourir ».

L’imprécateur se fait appeler Abdallah Anas. J’apprendrai plus tard son véritable nom : Boujouma Bounoua.

Cependant, comme les affaires des hommes ne vont pas toujours à leur gré, des mouvements de troupes et d’avions soviétiques nous obligent à rebrousser chemin pour repartir plus tard avec des chevaux. Inquiet des propos tenus par Anas, je pense qu’il faut informer les Américains, qui soutiennent la résistance afghane, de ce qui se trame.

Je profite des quelques jours précédant le départ pour me rendre à l’ambassade des États-Unis, lieu que j’avais jusqu’ici évité. Je suis reçu par un diplomate qui sent l’officier de la CIA à plein nez. Peu m’importe, je veux faire passer l’information. Je lui raconte mon aventure, ce que j’ai vu et entendu. « À mon avis, ajoutai-je, il y a un vrai danger pour la sécurité des étrangers en Afghanistan et, à long terme, pour nos pays ».

Je me souviendrai toujours de sa réponse. D’un ton protecteur il me dit : « Your name is Alan, isn’t it ? Never mind Alan, everything is under control... » (Vous vous appelez Alain, n’est-ce pas ? Ne vous inquiétez pas Alain, tout est sous contrôle).

La vérité ne m’apparaîtra clairement que plus tard. Les Américains ont eux-mêmes facilité le recrutement de ces jihadistes arabes. Puis ils ont perdu tout contrôle sur eux. Aujourd’hui, j’entends les propos d’Anas dans la bouche de Baghdadi, le « calife » du prétendu État islamique. Quant à Anas, il vit en Grande-Bretagne où il joue au modéré sous la férule des autorités britanniques.

Alain Chevalérias

Note

* « Médecins sans Frontière », plus modestement « Médecins du monde », envoyaient des médecins et des infirmières pour aider la population afghane. La plupart de ces hommes et de ces femmes étaient français.

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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