mai 2006
On peut, quand on lit l'Histoire, n'en prendre que ce qui nous plaît et même préférer les belles légendes aux vérités trop cruelles. On peut aussi ne garder du voisin que la mémoire de ses avanies quand nous sonnons pour nous le rappel de nos victoires : Waterloo désigne une gare de chemin de fer chez les Anglais, quand en France nous préférons débarquer du train à Austerlitz. Vaine coquetterie ! Car le nom dont les peuples se couvrent contient fréquemment plus de souvenirs de défaites et de soumissions que les livres d'histoire dans leur pudique relation. Les hommes sont ainsi faits, s'ils détestent l'occupant, ils finissent au cours des ans par prendre son nom pour s'identifier à lui. |
Prenons la Turquie. Jusqu'au XVème siècle, ce pays faisait partie de l'empire de Byzance. On y parlait grec et pratiquait le christianisme. Mais en 1453, Constantinople, la capitale ancestrale, tombe aux mains des Turcs. Par la race, avec leurs yeux bridés et leur peau jaune, les Turcs appartiennent au groupe asiatique. Aux populations soumises, ils imposent leur organisation sociale, leur langue et même l'islam, religion empruntée aux Arabes. Résultat, au XXIème siècle, il faut être Kurde, en Turquie, pour refuser l'identité turque. Auparavant, il y a plus de trois millénaires, les Iraniens n'ont pas agi autrement. Des tribus dites " aryennes " (1) étaient venues du nord. Au VIème siècle avant J-C, elles fondent l'empire perse sous la direction des Achéménides. Leurs hommes et leurs femmes, encore peu mélangés, sont grands, blonds aux yeux bleus. Eux aussi imposent leur langue, le persan, et leur organisation sociale aux populations vaincues. Au cours des siècles, les " Aryens, " en plus petit nombre que les vaincus, se mêlent aux indigènes, bruns et petits de taille, et disparaissent. Mais les Iraniens s'identifient encore à leurs anciens maîtres. Ils se disent Aryens, honorent le passé de grandeur des Achéménides et parlent la langue de ces lointains envahisseurs, le persan.
Le Moyen-Orient, du Maroc à l'Irak n'est pas mieux loti. Quand les Arabes déferlèrent sur la région à partir du VIIème siècle après J-C, ils rencontrèrent des peuples qui parlaient l'araméen, de la Palestine à la Mésopotamie, le copte, en Egypte, le berbère en Afrique du Nord. Dans les grandes villes, souvent le grec dominait dans les classes aisées. Quatorze siècles plus tard, à quelques nuances près, tout le monde se dit arabe, comme si un peuple en avait chassé un, plus ancien, pour prendre sa place. On aura compris, là aussi, le réflexe d'identification au plus fort l'a emporté. Un bon moyen pour effacer les lâchetés et les vexations engendrées par l'occupation... Le processus d'assimilation identitaire au conquérant n'est cependant pas incontournable. D'abord, il lui faut du temps. Plusieurs siècles. Ensuite un certain degré de soumission des populations. Enfin que celles-ci aient le sentiment de pouvoir prospérer normalement en jouissant de droits suffisants. Les Espagnols, sous la botte arabe, ne trouvèrent pas beaucoup d'avantages. Leur esprit d'indépendance fit le reste et les siècles n'y purent rien. Il y eut la " Reconquista. " Les Gaulois par contre, s'ils acceptèrent mal le joug romain, en reçurent des avantages convaincants. Dès Jules César, ils bénéficièrent de la pleine citoyenneté romaine, de la sécurité et de moyens de communication facilitant le commerce. Ils adoptèrent le latin, finirent par se dire "Gallo-Romains " et les Français, aujourd'hui, par se réclamer de la latinité. Nos ancêtres n'en étaient du reste ni à leur premier coup ni à leur dernier. Au XIème siècle avant J-C, les Celtes, ou Gaulois, venus d'Europe centrale, contrôlent l'actuelle Bourgogne (2). A partir de 450 (3) ils déferlent sur l'ensemble de notre pays et soumettent les populations locales. Au bout de quelques siècles, quand Jules César s'empare de la Gaule, tout le monde se dit Gaulois. Lorsque Rome s'effondre, au Vème siècle, les Francs, tribu germanique, passent le Rhin. Ils conquièrent la Gaule. Certes, ils adoptent le latin, qui évoluera en français, mais leur nom deviendra le nôtre. Relue sous cet angle, l'Histoire apparaît surprenante. N'en déplaise à M. Bouteflika, elle nous enseigne aussi qu'il eut suffi de quelques siècles de plus pour faire de l'Algérie une autre partie de la France.
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