LA DÉMOCRATIE EST-ELLE GRECQUE ? |
Sans conteste, le terme démocratie est dorigine hellène, né de lassemblage des mots « dêmos » et « kratos », peuple et pouvoir en grec ancien. Elle signifie, pour paraphraser Abraham Lincoln, « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». En clair, en démocratie, ce nest pas un homme qui décide du destin du peuple, mais le peuple luimême. Que ce soit pour désigner ponctuellement un chef ou pour prendre une décision collective, le vote devient alors le mode de fonctionnement consacré. Mais la démocratie est-elle bien née en Grèce ? |
À travers la planète il ne manque pas de pratiques démocratiques locales qui ne doivent rien à lhéritage grec. En Afrique, par exemple, existe la tradition très vivante de larbre à « palabres ». Les hommes du village ou du clan sy retrouvent pour discuter des décisions importantes. Autre exemple, en Afghanistan, la « jirga », en langue pachtoune, est une assemblée de notables convoquée pour les mêmes raisons. Passant à léchelon supérieur, la « loya jirga », ou grande réunion, rassemble les chefs de plusieurs tribus, depuis le XXe siècle, accompagnés de personnalités représentatives en raison de leur rang dans la société. Nous trouvons aussi des cas typiques dans lHistoire. À la mort de Mahomet, les quatre premiers califes, ses successeurs, furent élus. Clovis lui-même, apprend-on, fut choisi par les autres guerriers et élevé sur le pavois, un grand bouclier, pour consacrer sa nomination. Longtemps avant, au VIe siècle av. JC, encore peu frottée de culture grecque, naquit la République romaine. On comprend la démocratie,
fût-elle fragmentaire, dun usage naturel plus commun
que lon ne le croit. Mais pourquoi dès lors cette
affluence dans lhistoire, et cela intensément jusquau
début du XIXe siècle de notre ère,
des Clovis, encore, nous donne le mécanisme du passage à la monarchie. Par des voies que nous qualifierons de démocratiques, un guerrier se voit élu chef de guerre pour conduire ses camarades au combat. La bonne fortune, son courage et son talent ayant fait quil lemporte sur lennemi, il garde le pouvoir, se fait roi, puis transmet le sceptre en héritage à son fils. Une lignée monarchique a ainsi pris son essor. Nous pourrions faire le même constat avec Mouawiyah qui, 6ème calife après Mahomet, obligea ses pairs à lui reconnaître son fils Yazid comme successeur. Avec ces deux hommes commençait la dynastie des Omeyyades. Rappelons-nous aussi Jules César qui, profitant de la gloire de ses campagnes militaires, simposa comme empereur à la place de la République romaine. Le fonctionnement démocratique naturel, constatons-nous, est le plus en usage parmi les populations tribalisées, quil sagisse des Arabes avant Mahomet, des Africains, des Afghans des régions rurales etc... On parle alors le plus souvent de populations nomades ou semi-nomades. En revanche, avec le passage à lagriculture, par conséquent à la sédentarisation, surtout quand se développaient les cités, on assistait le plus souvent à une mutation monarchique. Ce nest quaprès bien des siècles, profitant dun affaiblissement du pouvoir royal, que parfois la République se substituait à celui-ci, comme en France, ou que ses prérogatives se voyaient réduites à létat de symboles, par exemple en Grande-Bretagne. Encore faut-il ladmettre, y compris dans la Grèce ancienne et aux différentes étapes de la République en France, la démocratie na pas toujours été « universelle ». Pour que les femmes aient le droit de vote, il a fallu attendre la deuxième moitié du XXe siècle, souvent aussi, le suffrage était censitaire, seuls les plus fortunés pouvant voter. Enfin les esclaves, plus tard chez nous, les indigènes de nos colonies, considérés comme sujets et non comme citoyens, navaient pas le droit de vote.
Tout cela puisse-t-il nous amener
à plus dhumilité dans nos rapports avec les
autres peuples car, si nos pays, en particulier la France, ont
affiné le concept de démocratie hérité
des anciens, encore faut-il admettre quil peut exister
ailleurs des idées de démocratie peut être
mieux adaptées à des cultures différentes.
À vouloir à tout prix exporter nos usages politiques
sous toutes les latitudes, nous sommes parfois bien arrogants
et souvent dangereux. Dangereux parce que, comme en Irak, nous
engendrons des déséquilibres mortels. Jean Isnard |
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