HISTOIRE
LA DÉMOCRATIE
EST-ELLE GRECQUE ?

juillet 2015

Sans conteste, le terme démocratie est d’origine hellène, né de l’assemblage des mots « dêmos » et « kratos », peuple et pouvoir en grec ancien. Elle signifie, pour paraphraser Abraham Lincoln, « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». En clair, en démocratie, ce n’est pas un homme qui décide du destin du peuple, mais le peuple luimême. Que ce soit pour désigner ponctuellement un chef ou pour prendre une décision collective, le vote devient alors le mode de fonctionnement consacré. Mais la démocratie est-elle bien née en Grèce ?

À travers la planète il ne manque pas de pratiques démocratiques locales qui ne doivent rien à l’héritage grec.

En Afrique, par exemple, existe la tradition très vivante de l’arbre à « palabres ». Les hommes du village ou du clan s’y retrouvent pour discuter des décisions importantes. Autre exemple, en Afghanistan, la « jirga », en langue pachtoune, est une assemblée de notables convoquée pour les mêmes raisons. Passant à l’échelon supérieur, la « loya jirga », ou grande réunion, rassemble les chefs de plusieurs tribus, depuis le XXe siècle, accompagnés de personnalités représentatives en raison de leur rang dans la société.

Nous trouvons aussi des cas typiques dans l’Histoire. À la mort de Mahomet, les quatre premiers califes, ses successeurs, furent élus. Clovis lui-même, apprend-on, fut choisi par les autres guerriers et élevé sur le pavois, un grand bouclier, pour consacrer sa nomination. Longtemps avant, au VIe siècle av. JC, encore peu frottée de culture grecque, naquit la République romaine.

On comprend la démocratie, fût-elle fragmentaire, d’un usage naturel plus commun que l’on ne le croit. Mais pourquoi dès lors cette affluence dans l’histoire, et cela intensément jusqu’au début du XIXe siècle de notre ère, des
monarchies et des empires ?

Clovis, encore, nous donne le mécanisme du passage à la monarchie. Par des voies que nous qualifierons de démocratiques, un guerrier se voit élu chef de guerre pour conduire ses camarades au combat. La bonne fortune, son courage et son talent ayant fait qu’il l’emporte sur l’ennemi, il garde le pouvoir, se fait roi, puis transmet le sceptre en héritage à son fils. Une lignée monarchique a ainsi pris son essor. Nous pourrions faire le même constat avec Mouawiyah qui, 6ème calife après Mahomet, obligea ses pairs à lui reconnaître son fils Yazid comme successeur. Avec ces deux hommes commençait la dynastie des Omeyyades. Rappelons-nous aussi Jules César qui, profitant de la gloire de ses campagnes militaires, s’imposa comme empereur à la place de la République romaine.

Le fonctionnement démocratique naturel, constatons-nous, est le plus en usage parmi les populations tribalisées, qu’il s’agisse des Arabes avant Mahomet, des Africains, des Afghans des régions rurales etc... On parle alors le plus souvent de populations nomades ou semi-nomades. En revanche, avec le passage à l’agriculture, par conséquent à la sédentarisation, surtout quand se développaient les cités, on assistait le plus souvent à une mutation monarchique. Ce n’est qu’après bien des siècles, profitant d’un affaiblissement du pouvoir royal, que parfois la République se substituait à celui-ci, comme en France, ou que ses prérogatives se voyaient réduites à l’état de symboles, par exemple en Grande-Bretagne.

Encore faut-il l’admettre, y compris dans la Grèce ancienne et aux différentes étapes de la République en France, la démocratie n’a pas toujours été « universelle ». Pour que les femmes aient le droit de vote, il a fallu attendre la deuxième moitié du XXe siècle, souvent aussi, le suffrage était censitaire, seuls les plus fortunés pouvant voter. Enfin les esclaves, plus tard chez nous, les indigènes de nos colonies, considérés comme sujets et non comme citoyens, n’avaient pas le droit de vote.

 

Tout cela puisse-t-il nous amener à plus d’humilité dans nos rapports avec les autres peuples car, si nos pays, en particulier la France, ont affiné le concept de démocratie hérité des anciens, encore faut-il admettre qu’il peut exister ailleurs des idées de démocratie peut être mieux adaptées à des cultures différentes. À vouloir à tout prix exporter nos usages politiques sous toutes les latitudes, nous sommes parfois bien arrogants et souvent dangereux. Dangereux parce que, comme en Irak, nous engendrons des déséquilibres mortels.

Jean Isnard

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

 
Retour Menu
Retour Page d'Accueil