HISTOIRE

 LES PIEDS-NOIRS EN FRANCE
« ILS NOUS ONT ACCUEILLIS AVEC DES CRIS DE HAINE »

Ce texte évoque l’arrivée des Français rapatriés d’Algérie. Nous avons été obligés de le réduire pour l’inscrire dans notre format. Nous espérons en avoir préservé l’émotion qui s’en dégage.

Peu à peu, le soleil, pareil à une meule incandescente, émergea des flots. Tout autour du navire, les eaux soyeuses tournoyaient lentement, en vastes cercles concentriques qui s’évanouissaient à la limite extrême de l’horizon. Un haut parleur annonça bientôt que l’on apercevait les côtes de France. Mal réveillés, ils montèrent tous sur le pont.

Ils étaient tous là, serrés les uns contre les autres. Le paradis dont ils avaient tant rêvé enfant à travers les pages d’un livre de géographie approchait lentement. Et déjà ils n’en voulaient plus. Ils rêvaient d’un autre paradis perdu : l’Algérie.

Ce qu’ils avaient laissé « là-bas », c’était avant tout cette part d’insouciance qui les faisait rire et chanter. Aujourd’hui, le qualificatif de « Rapatrié» était apposé à chacun d’eux. Une manière comme une autre de les déposséder à tout jamais de ce pays qui les avait vus naître. De leur dire que, jamais, il n’avait été leur patrie.

La presse progressiste et bon nombre de politiques les avaient condamnés. « L’Humanité » du 6 janvier 1962 parlait d’eux en ces termes : « Ils ont une drôle d’allure ces passagers en provenance d’Algérie ». « La Croix » du 24 février disait même des jeunes rapatriés qu’il fallait « éviter de laisser notre jeunesse se contaminer au contact de garçons qui ont pris l’habitude de la violence poussée jusqu’au crime ».

Robert Boulin, secrétaire d’État aux Rapatriés, avait déclaré le 30 mai 1962 au Conseil des ministres : « Ce sont des vacanciers. Il n’y a pas d’exode contrairement à ce que dit la presse ».

Des vacanciers ! Partout de lamentables cargaisons humaines où les matelas mal ficelés côtoyaient les cages à canaris. Des hommes, des femmes, des vieillards, dépenaillés, hirsutes, démoralisés, souffrant, la démarche pesante, tandis que les mamans étaient tiraillées en tous sens par leurs enfants qui pleuraient. La part la plus précieuse, nul n’avait pu l’emporter avec soi, parce qu’elle dormait dans l’ordonnance des murs et dans la lumière baignant les paysages des premiers émerveillements de l’enfance… on n’enferme pas ses souvenirs, le soleil et la mer dans une valise !...

Pour les recevoir, point de « cellules d’accueil »… mais un service d’ordre qui avait pour mission de procéder au « filtrage » des suspects, les membres de l’OAS. Des pères de famille qui avaient eu le malheur d’être mentionnés sur les fiches de police étaient arrachés à leurs épouses et à leurs enfants et, jugés aussitôt tels des criminels, allaient remplir les prisons françaises encore imprégnées de l’odeur des tortionnaires du FLN graciés en hâte.

Les pieds nus dans des babouches, un homme en pardessus à chevrons n’avait dessous que son pyjama. La voix brisée par l’émotion, il se tordait les mains en racontant comment sa fille avait été enlevée, le matin même du départ. « Elle criait, « Ne me laisse pas papa... » Mais qu’est-ce que je pouvais faire ? Ils me tenaient. Ils me tenaient je vous dis… » Hurlait le pauvre homme en éclatant en sanglots.
À quelques pas, une dame effondrée racontait au personnel chargé de l’orientation des réfugiés : « Moi, je ne voulais pas partir, Monsieur... On n’est plus resté qu’avec Madame Ramon, dans la maison... Et puis, l’autre matin, quand je suis revenue du marché, elle était dans l’escalier, allongée, pleine de sang partout, avec sa tête en arrière qui ne tenait plus que par le chignon... »

De Gaulle déclara : « Il faut les obliger à se disperser sur l’ensemble du territoire ». Louis Joxe, son éminence grise, renchérit : « Les Pieds-Noirs vont inoculer le fascisme en France. Dans beaucoup de cas, il n’est pas souhaitable qu’ils retournent en Algérie ou qu’ils s’installent en France où ils seraient une mauvaise graine. Il vaudrait mieux qu’ils aillent en Argentine ou au Brésil ». Gaston Defferre alla jusqu’à déclarer à l’Assemblée Nationale : « Il faut les pendre, les fusiller, les rejeter à la mer… »

Face à ce désastre humain, le gouvernement demeura de marbre. Seuls quelques élus locaux réagiront humainement avec des moyens limités et quand Alain Peyrefitte, pris de remords, exposera au « général Président », le 22 Octobre 1962, « le spectacle de ces rapatriés hagards, de ces enfants dont les yeux reflètent encore l’épouvante des violences auxquelles ils ont assisté, de ces vieilles personnes qui ont perdu leurs repères, de ces harkis agglomérés sous des tentes… », De Gaulle lançera : « N’essayez pas de m’apitoyer ! »… On était loin du « C’est beau, c’est grand, c’est généreux la France ! »

Joseph Castano

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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