Il y a vingt ans, les derniers membres d'Action directe étaient interceptés. La France traversait alors une vague de terrorisme comme elle n'en avait jamais connue. Ici, Denis Gorteau met en évidence une inquiétante hypothèse à propos de l'Iran. Ceci nous suggère d'apprendre à apprécier la réelle menace émanant de ce pays, s'en gardant, sans l'exagérer, ni la provoquer.

 

 Action Directe
20 ans après

En février 1987, le groupe terroriste français d'extrême gauche Action Directe était démantelé par la police, à l'initiative de Charles Pasqua alors ministre de l'Intérieur. Le groupe, qui ne comptait plus qu'une dizaine de membres, est alors mis hors d'état de nuire.

Après une période "soixante-huitarde," au cours de laquelle leurs actions n'avaient causé que des dégâts matériels, le groupe s'était radicalisé dans les années 80 pour tuer à deux reprises.

Des questions se posent : Pourquoi cette dérive meurtrière quand, à l'époque, l'extrême-gauche se décompose ? Comment le groupe a-t-il choisi ces cibles ? Et surtout, dans quel but a-t-il commis ces crimes ?

 

1. La dérive d'un groupuscule
anarcho-violent

Le groupe Action Directe nait dans la seconde moitié des années 70. Rencontre de tendances activistes diverses, Action Directe regroupe les militants les plus intransigeants de la mouvance dite "autonome". Les "autonomes" sont des anarchistes en rupture avec les organisations historiques de leur tendance. Refusant l'organisation politique de type "parti", ils sont connus, encore aujourd'hui, pour leur volonté de confrontation avec les forces de l'ordre.

De 1977 à 1979, le groupe passe à la " guérilla urbaine ". Les premières actions violentes ont lieu (mitraillage du siège du patronat, de ministères, de bâtiments de l'armée française, etc...) dirigées contre les symboles du pouvoir politique ou économique. Néanmoins, aucune victime n'est à déplorer malgré les dizaines d'actions menées. Dans l'atmosphère de l'après 68, Action Directe n'est pas seule à s'inscrire dans cette logique de " sabotage du capitalisme " et quelques grouscules n'hésitent pas à se servir des cocktails Molotov. La plupart se contente dans les faits de débats théoriques abscons, associés parfois à des actions plus proches du vandalisme que du terrorisme.

A cette époque, en France, des membres de ces mouvances d'extrême gauche, seules les "Brigades Internationales" (groupe d'inspiration maoïste) ont assassiné : un colonel uruguayen en 1975 et l'ambassadeur de Bolivie à Paris en 1976.

L'année 1981 marque cependant un tournant. La plupart des chefs de l'organisation ayant été arrêtés, Action Directe décide de suspendre ses actions le temps des élections présidentielles. Une fois élu, François Mitterrand gracie ces prisonniers dits politiques en échange d'un arrêt de la lutte armée. La majorité des militants accepte l'offre du pouvoir, mais quelques uns restent néanmoins actifs et décident de coordonner leurs actions avec d'autres organisations d'extrême-gauche et des groupes de militants étrangers (essentiellement européens et turcs).

 Ainsi dans la première moitié des années 80, Action Directe s'internationalise et va jusqu'à passer un accord avec la Fraction Armée Rouge ouest-allemande (1985). Puis, en 1985, le groupe tue pour la première fois, assassinant le général Audran, responsable des ventes d'armes française à l'étranger. L'année suivante, le PDG de Renault, Georges Besse, est assassiné devant chez lui.
Georges Besse, gisant dans son sang devant chez lui
Un an plus tard, les chefs d'Action Directe sont arrêtés ensemble dans une ferme du Loiret, sans doute à la suite d'une trahison de militants du FLNC corse. Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron, et Georges Cipriani sont plusieurs fois condamnés à perpétuité en vertu de lois antiterroristes parfois qualifiées de justice d'exception.

 

 
Joëlle Aubron, souffrant d'un cancer, fut libérée en juin 2004

 

2. Les cibles

Il faut se replacer dans le contexte pour comprendre le choix des cibles.

D'une part, le groupe comptant de moins en moins de militants, il en est venu à radicaliser ses méthodes pour se faire entendre. Les dynamitages et autres actions de "sabotage" n'ayant jamais rien donné, les derniers activistes d'Action Directe ont, de toute évidence, décidé de frapper plus fort afin d'occulter la faiblesse de leurs effectifs et, comme le dit Jean-Marc Rouillan lui-même, pousser les ouvriers français à l'affrontement avec le pouvoir. En effet, depuis sa prison, le chef d'Action Directe ne cache pas que le choix de Georges Besse comme cible s'inscrivait dans une problématique "sociale". L'entreprise Renault, que dirigeait Besse, licenciait alors des milliers d'employés.

Néanmoins, pourquoi Georges Besse et non pas un autre capitaine d'industrie confronté au problème du licenciement d'une partie de ses employés ? Nous pensons à une piste iranienne.

Au milieu des années 80, loin du folklore de Mai 68, des agents iraniens frappent la France. On sait, à l'époque, le soutien de la France à l'Irak de Saddam Hussein, en guerre contre l'Iran, la cause de ces tentatives de déstabilisation.

A la même période, la jeune république islamique cherche aussi à pousser Paris à honorer un contrat nucléaire signé entre l'Iran du Shah et la France. En effet, la France s'était engagée en décembre 1974 à aider le monarque à mettre sur pied son programme nucléaire. Jacques Chirac, alors premier ministre de Giscard d'Estaing, s'était rendu en Iran et avait engagé notre pays à livrer 10 % de son uranium enrichi à ce pays. En échange, ce dernier entrait dans Eurodif, consortium européen chargé de l'enrichissement de l'uranium. Or, Georges Besse était alors président d'Eurodif.

Cet accord était unilatéralement dénoncé par la France à la suite de la révolution islamique de 1979.

L'Iran n'en cessait pas pour autant de faire valoir ses droits. Notre pays faisant la sourde oreille, en 1986, Paris était la cible de plusieurs attentats. La même année, Georges Besse était assassiné, alors que, dans le même temps, il s'opposait à la reprise des livraisons d'uranium à l'Iran. Mais dès la fin de l'année 1986, la France et l'Iran renouaient des relations. En 1991, l'Iran redeviendra même pleinement actionnaire d'Eurodif. Entre temps les attentats cessaient et les otages français au Liban retrouvaient la liberté.

Dès lors, que faut-il penser de la mort de Georges Besse ?

Les prisonniers d'Action Directe ont toujours nié l'interprétation des faits suggérée plus haut. Ils peuvent cependant avoir été manipulés. Les Iraniens sont experts en la matière. En outre, Action Directe coopérait déjà depuis des années avec d'autres groupes armés sévissant au Moyen-Orient, dont certains étaient en relation avec l'Iran.

Denis Gorteau

Lire dans brèves la déclaration des parents d'Hélène Castel, une ancienne d'Action Directe

 

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