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          Il
        arrive que l'on me demande pourquoi, après avoir reçu
        mon prix Nobel, je me suis adressée à la foule
        à la sortie de l'avion qui me ramenait de Stockholm en
        criant: " Allahou Akbar ! " (Dieu est grand
        !) Mais ce n'était pas mes premiers mots ! J'ai d'abord
        salué ma vieille mère, venue m'accueillir. Ce n'est
        que lorsque la foule s'est rapprochée, que la pression
        est devenue si forte qu'elle allait nous écraser, que
        me sont venus à l'esprit ces mots familiers à tous
        les musulmans. Pour attirer leur attention, leur faire prendre
        conscience du danger qu'ils nous faisaient courir: Dieu est grand!
        La foule, étonnée, a relâché son étreinte.
        Les forces de police ont pu s'interposer. Je n'oublie pas que
        je suis musulmane... L'islam, comme toutes les religions,
      peut s'interpréter de façons diverses. Les Eglises de certains pays autorisent
      le mariage homosexuel, tandis que d'autres l'interdisent. De
      même pour l'islam. En Arabie saoudite, par exemple, les
      femmes n'ont pas le droit de conduire, encore moins d'avoir des
      activités politiques ou sociales, alors qu'en Indonésie
      ou au Bangladesh, elles ont accédé depuis des années
      aux plus hautes fonctions de l'Etat. En Arabie saoudite, le Parlement
      n'existe pas. En Syrie, le pouvoir présidentiel est héréditaire.
      La Malaisie, quant à elle, vit un régime plus démocratique.
      La question est là: quel islam ? Et quelle interprétation
      ? Contrairement à ce que les Occidentaux imaginent, l'islam
      iranien est ouvert et moderne pour ce qui concerne les libertés,
      les droits des femmes. L'islam auquel se réfère
      notre peuple n'est pas celui auquel croit notre gouvernement.
      Aussi, dans mes fonctions de juriste, me suis-je toujours efforcée
      de débusquer au coeur des textes religieux ce qui, face
      aux contraintes, pouvait nous donner de l'oxygène. Et
      je l'ai bien souvent trouvé. 
        Militante de la liberté,
        je demeure persuadée que l'Iran doit passer en douceur
        à un gouvernement démocratique, correspondant
        á l'aspiration profonde des Iraniens. Après la
        révolution, encore trop récente, et les huit années
        suivantes, ils en ont assez des effusions de sang et de la violence.
        Si beaucoup sont prêts à risquer leur vie et à
        aller en prison pour leurs opinions, je n'envisage pas pour autant
        une population disposée à prendre les armes contre
        le gouvernement. Dans l'escalade verbale que l'on observe actuellement,
        l'Occident doit donc agir avec discernement et surtout avec diplomatie
        pour faire pression sur l'Iran afin qu'il change de politique.
        Aussi, sans m'inquiéter fondamentalement, la personnalité
        de George W. Bush m'étonne. 
          
            | Oui,
              je suis étonnée qu'au vu des résultats de
              l'attaque contre l'Irak, le président américain |  
          La menace d'un changement
        de régime en Iran par la force met en péril tous
        les efforts accomplis ces dernières années par
        les Iraniens en faveur de la démocratie. Une intervention militaire donnerait au
        système un prétexte pour réprimer d'autant
        plus sévèrement son opposition, et minerait la
        société civile qui prend corps dans notre pays.
        Elle ferait oublier aux Iraniens l'aversion qu'ils ont pour
        le régime islamique ; ils en viendraient à
        soutenir des dirigeants impopulaires par pur nationalisme. Qu'y
        a-t-il dans la tête du président Ahmadinejad, lorsqu'il
        souffle le froid et le chaud à propos de ses réelles
        intentions sur le nucléaire, à propos de l'Holocauste,
        ou du port du voile ? Je ne suis pas dans sa tête, or c'est
        là qu'il faudrait chercher. C'est bien à lui qu'il
        faudrait demander. Reste qu'à mes yeux, il n'existe
        pas de scénario plus alarmant, de changement interne plus
        dangereux que celui engendré par le fantasme d'un certain
        Occident - apporter la démocratie en usant de la force
        militaire ou en fomentant une violente rébellion.
            | persiste dans
              un discours de surenchère. |  L'essentiel est que l'Occident puisse
      garder en permanence un oeil sur l'état des droits de
      l'homme en Iran, car le système islamique s'est déjà
      montré sensible aux critiques de cet ordre. La République
      islamique peut bien s'accrocher à son droit à l'énergie
      nucléaire, même si elle doit pour cela subir les
      sanctions de la communauté internationale... mais ses
      responsables les plus rationnels considèrent que le non-respect
      des droits de l'homme et des prisonniers handicape notre nation
      sur la scène internationale. Si l'Occident nous envoie
      ses avions de chasse au lieu de diplomates, cela n'incitera pas
      nos religieux à protéger les droits des citoyens.
      A l'intérieur, la situation est aiguë: notre taux
      de chômage est très important. La pauvreté,
      un grave problème: une personne sur sept vit chez nous
      avec moins d'un dollar par jour. Pour un pays qui détient
      tant de pétrole, c'est alarmant. Restriction des libertés,
      censure, tout cela crée au sein de l'opinion un fort mécontentement.
      La pression exercée par la communauté internationale
      est donc utile, mais à condition d'être ciblée
      : d'abord et avant tout de nature diplomatique. Car la révolution
      iranienne a engendré sa propre opposition, sans compter
      une nation de femmes instruites - plus de 65 % des étudiants
      sont des femmes, ce que bien des Occidentaux ignorent - qui militent
      pour leurs droits. Le prix à payer pour la métamorphose
      pacifique de l'Iran est - je
      l'ai toujours su mais je le ressens plus vivement ces derniers
      temps - le sacrifice suprême, celui de la vie. C'est une
      réalité inéluctable: des gens comme moi
      ou les dissidents que je représente périront en
      chemin.
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          | 'l'islam auquel se réfère
            notre peuple n'est pas celui auquel croit notre gouvernement
            ' Shirin Ebadi
           |                     Shirin Ebadi est avocate, prix
      Nobel de la paix 2003. 
        Elle a présenté
        son livre: "Iranienne
        et libre, mon combat pour la liberté"
        à Paris le
        21 avril 2006.
                                
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