La révolution égyptienne
sur une voie de garage

février 2012

Fin novembre se déroulait en Égypte le premier tour des élections législatives. Les Frères musulmans ont obtenu 36,62% des voix. Les salafistes, 24,36% et le Wasat, lui aussi en faveur de l’application de la charia, 4,27%. En clair, les islamistes bénéficient de 65% des suffrages. Plus qu’une majorité absolue. C’est un véritable assaut vers le pouvoir.

Il faut savoir l’opinion divisée en trois grandes mouvances : les organisations islamistes, dominées numériquement par les Frères musulmans, les tendances libérales, nous dirons « modernistes », et les partisans de l’armée. Ces derniers ne constituent pas un parti mais, d’une part, l’ensemble des Égyptiens soucieux du retour de l’ordre sous l’égide des militaires, d’autre part, la clientèle qui dépend de ces derniers pour sa subsistance.

En effet, dans l’ancien pays des Pharaons, l’armée est un État dans l’État. Non seulement elle reçoit une part du budget national mais elle dispose de ses usines, de ses magasins et de ses propres structures financières. Les dizaines de milliers d’employés civils à son service et leur parentèle sont autant de relais au sein de la population.

Or, par-dessus les civils, autorité de fait depuis la chute de Moubarak, le CSFA (Conseil suprême des forces armées) veut garder inscrit dans la future Constitution le droit pour l’armée de gérer elle-même ses affaires et son budget. Il veut aussi le texte lui octroyant le rôle de garant de la légitimité constitutionnelle. En d’autres termes, l’armée au-dessus des lois.

De leur côté, avec un tiers des suffrages exprimés, les Frères musulmans savent qu’ils ne pourront pas gouverner seuls. Aux élections, du reste, ils n’ont présenté des candidats que dans la moitié des circonscriptions électorales, évitant des scores humiliants là où ils se sentent trop faibles. Aussi, afin d’échapper à la pression des salafistes, plus radicaux qu’eux et leurs ennemis jurés, en catimini ils négocient avec l’institution militaire pour partager avec elle le pouvoir.

Quant aux « modernistes », séduits par le modèle occidental, c’est l’armée elle-même qu’ils voudraient voir cantonnée au rôle qu’elle a en Occident : la Défense des frontières sous une autorité civile. Néanmoins laminés dans les urnes, ils savent le péril en la demeure et les militaires le dernier rempart face aux islamistes.

A cela s’ajoutent les masses d’un sous-prolétariat réduit à la survie. Elles attendaient de la révolution une amélioration de leur quotidien. Les conditions économiques du pays font qu’elles n’ont rien vu venir. Frustrées, elles peuvent s’enflammer au premier appel d’agitateurs. Or, si cette plèbe est une menace pour les intérêts de tous, une fois encore, il n’y a que l’armée capable de lui faire face.

Voilà pourquoi les premiers résultats du processus électoral, donnant la carte politique du pays, font plus que jamais des militaires les arbitres du jeu. L’armée détient la clé du futur de l’Égypte. Frères musulmans et modernistes, dépendant d’elle, sont contraints de céder aux demandes des généraux et leurs députés de confirmer ses prérogatives au cours de la rédaction de la nouvelle Constitution.

Sur les bords du Nil, plus qu’ailleurs, on comprend la révolution échappant de plus en plus à ceux qui l’ont faite. Derrière le décor, les Américains ne peuvent que s’en réjouir. Car, véritables maîtres de l’armée égyptienne, pour le moment ils tiennent les leviers de commande.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
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