|
juin 2007
L'espionnage, hier soviétique, russe depuis 1991, est-il actif dix-sept ans après la chute du mur de Berlin et l'implosion de l'Empire soviéto-satellite qui s'ensuivit ? Est-ce un mythe agité par des obsédés de la guerre froide, comme le prétendent ceux qui parlent d'une Russie nationale apaisée grâce à Vladimir Poutine ? Nous tentons de répondre à cette question dans un bref survol fondé sur des faits et non des suppositions. Si le KGB a éclaté sous Eltsine en entités séparées : l'espionnage intérieur et l'espionnage dans le monde, en changeant plusieurs fois de dénomination, et s'il a connu une dizaine de directeurs successifs, un seul " service ", le GRU, n'a changé ni d'étiquette ni subi de telles crises. Ce service d'espionnage et de contre-espionnage militaire est connu pour ses rivalités avec le KGB. Rivalités d'hommes ou de clans. Rivalités aussi dans les méthodes opérationnelles (1). Le GRU a connu quatre directeurs depuis 1991, mais le dernier en poste, le général Valentin Korabelnikov, nommé fin mai 1997, est toujours à ce poste en 2007. Remarquable continuité tandis qu'en 2000 la Russie changeait de président avec Vladimir Poutine qui, on le sait, n'hésite pas à limoger quiconque ne semble pas coller à ses conceptions nationales-soviétiques. Cela dit, comment analyser ce que fait le SVR qui est, sous ces initiales, l'enfant de l'espionnage appelé KGB depuis 1952 ? Le SVR trouve à sa direction depuis mai 2000 le général-lieutenant Sergueï Lebedev. Il a pour adjoints principaux Vladimir Zavershinsky et Sergueï Smirnov, plus spécialement chargé de la lutte anti-terroriste. Ce sont les activités du SVR et du GRU qu'il faut examiner pour voir si, par rapport aux dix dernières années d'avant l'implosion de l'URSS, le taux et le niveau de l'espionnage russe a baissé ou non. Frederic P. Hitz, ancien inspecteur général de la CIA, a publié : " The great game the myth : and reality of espionage " (Alfred Knopf - New York, 2004). Il y compare Vladimir Poutine à Lavrenti Beria et, référence plus récente, à Youri Andropov, qui fut directeur du KGB à partir de 1967, et finit numéro Un du pouvoir soviétique, poste qu'il conserva jusqu'à sa mort en 1984. M. Hitz aboutit à la conclusion que la menace russe est de même nature en 2004 qu'à l'apogée de la confrontation Est-Ouest. Venant d'un affilié du CFR, cette conclusion est remarquable, d'autant que le CFR, organe du pouvoir réel aux États-Unis, a publié en mars 2005 une étude titrée : " Russie, une orientation dangereuse. Ce que pourraient et devraient faire les États-Unis ", en suggérant de rayer de la politique américaine l'idée de " partenariat stratégique " avec la Russie, pour la remplacer par le concept d' " une coopération sélective ". Suggestion d'autant plus intéressante que depuis plusieurs décennies, le CFR était à la pointe de la politique d'amitié et de coopération avec Moscou, quel que soit son régime, et plus encore depuis que George Bush avait " regardé droit dans les yeux Poutine ", et en avait conclu qu'il était un partenaire absolument fiable...
Selon le MI-5 (le contre-espionnage britannique) il n'y avait plus qu'un seul " diplomate-espion " à Londres en 1991. En 2007, le même service estime à 18 les opératifs du SVR et à 18 ceux du GRU, compte non tenu de l'appareil des illégaux, c'est-à-dire les individus introduits dans le pays sous les identités d'étrangers et insérés dans la vie courante des citoyens britanniques. Croit-on que les opératifs, nomenclaturés comme diplomates, mais identifiés comme espions par le MI-5, sont là pour ne rien faire, aux frais de l'État russe ?
Les " affaires " se mélangent souvent de nos jours à l'espionnage, comme l'a pratiqué il y a quelques années le général-colonel V. Troubnikov, qui fut l'adjoint d'Evgueni Primakov lorsqu'il dirigeait le SVR. Lui-même fut son successeur à ce poste en 1996. On peut dire que " sous son règne ", en Inde, les plus grandes entreprises du pays, industrielles et commerciales, ainsi que la formation des cadres militaires de New Delhi, ont été couvées et noyautées par Troubnikov. Il faut évoquer l'atout que représentent dans le jeu de l'espionnage russe ses anciennes possessions d'Asie Centrale. Le Comité de Shanghai réunit, à côté de Moscou et de Pékin, quatre Républiques musulmanes, et l'Organisation du Traité de Sécurité collective créée par Moscou, qui regroupe ces mêmes Républiques, plus l'Arménie et la Biélorussie. C'est un réservoir dans lequel recrutent aussi bien le SVR que le GRU... ainsi que la Chine. Celle-ci a en effet tout intérêt, étant donné ses milliers de kilomètres de frontière avec la Russie, à coopérer avec le contre-espionnage de Moscou, ne serait-ce que pour éviter que le peuple ouighour (9 millions de ressortissants), limitrophe de l'Asie russe et d'ethnie non chinoise, soit encouragé par la Russie dans ses aspirations indépendantistes. Nous parlerons une autre fois des activités de l'espionnage russe dans ses anciennes colonies d'Europe Centrale, comme en Pologne, où Moscou continue de recruter (2). Rappelons qu'en décembre 2004, a été découvert que Marczyn Tylinski, l'attaché parlementaire du député du Parti Paysan Polonais, Josef Grushka, était un agent du SVR. Un cas parmi une bonne centaine d'agents d'influence ou d'agents qui sont en cours de criblage à Varsovie. Nous examinerons plus tard aussi ce qui se passe à Prague, redevenue la Centrale du GRU pour les pays de l'Est européen : Bulgarie, Slovaquie, Hongrie et Roumanie. Les " affaires " couvrent aussi diverses facettes des activités du GRU et du SVR, en particulier dans le secteur de la Méditerranée. Le voyage de Poutine en été 2006, lorsqu'il s'est rendu en Algérie pour signer des contrats d'armements lourds et légers, a été très significatif. Il était entouré de ses amis au contrôle de l'Énergétique russe : Alexeï Miller de Gazprom, Vagit Alekperov de LukOil, Igor Makarov d'ITERA, etc... Mais était aussi présente une kyrielle d'officiers de rangs divers, dont la mission consiste non seulement à accompagner les livraisons d'armements russes, mais à demeurer sur place pour assurer " l'après-vente ", en même temps que la formation des cadres militaires algériens .Le même système qui accompagnait hier les relations entre Moscou et Bagdad. Six mille " experts " russes ont durant plusieurs années campé en Irak, et n'ont évacué le pays qu'en pleine offensive américaine, début 2003. L'emprise russe en Algérie est comparable à celle qui a marqué l'emprise du GRU et du KGB sur l'Inde. Dans le même temps, la Russie a repris ses vieilles antiennes sur " l'encerclement " dont elle serait victime, en dénonçant l'installation de bases américaines en Géorgie ou au coeur de l'ex-Europe soviéto-satellite. S'il y a une part de vrai dans cette propagande, l'espionnage russe connaît suffisamment les arcanes de l'Otan et de la CIA, où ses taupes sont très actives, pour savoir qu'en aucun cas les États-Unis ne cherchent jusqu'à présent, Bush étant encore au pouvoir, à nuire à la Russie. Comme d'habitude, même s'ils se montrent critiques de son comportement, les conseillers CFR de la Maison-Blanche ne cherchent qu'à persuader Moscou de s'entendre avec eux pour dominer ensemble, et non en rivalité, la marche au mondialisme. Pierre de Villemarest
|
www.recherches-sur-le-terrorisme.com |