LE MONDIALISME EN MARCHE
La contre-offensive russe sur le gaz

janvier 2009

Nous voyons les Européens, pays par pays, tenter de contrer les effets de la crise financière, devenue crise économique. Un combat perdu d’avance, faute de se donner les moyens de protéger leurs productions et leurs indépendances énergétiques. Pendant ce temps, à l’Est, nous assistons au retour de la Russie, décidée à rebâtir sa puissance contre vents et marées. Quand les États-Unis travaillent, eux aussi, à renforcer leur empire et à l’étendre, serons-nous les seuls à nous laisser détruire par le mondialisme du grand capital financier ?

De manière symptomatique, le 19 décembre 2008, un projet de loi était déposé à la Douma russe. Selon le texte, « apporter une aide financière, matérielle, un soutien technique ou consulter (...) des organisations étrangères constitue un acte de trahison ». Les peines prononcées pourraient aller de 12 à 20 ans de prison. Actuellement, suite à l’évolution des textes depuis la chute du communisme, la loi limite la trahison à « des actes criminels destinés à miner la sécurité extérieure » de la Russie. A Moscou, nous assistons à un retour aux méthodes autoritaires de l’Union soviétique.

Quelques jours plus tôt, à l’initiative de Vladimir Poutine, le gouvernement établissait une liste de 295 entreprises considérées comme stratégiques, dont le géant gazier Gazprom et les pétroliers Loukoïl et Rosneft. Pourrait être ajoutées à ces 295, 1500 sociétés jugées vitales pour l’économie nationale. Une fois sélectionnées, elles seront éligibles pour recevoir des aides de l’État, des annulations de dettes fiscales et l’octroi d’avantages douaniers.

Le contraire de ce à quoi nous assistons en France et dans les pays voisins où, sous prétexte de libre concurrence, les diktats de l’Union européenne bloquent l’aide aux entreprises et nous interdisent de nous servir des taxes douanières pour protéger nos productions nationales. Tout se passe comme si nos dirigeants nous livraient pieds et poings liés à la concurrence internationale.

L’industrie du gaz apparaît comme l’un des secteurs dans lesquels la Russie se montre la plus active. Premier producteur du monde, elle cherche à renforcer son contrôle, à l’étranger, sur les ressources et sur les consommateurs.

Au niveau des ressources, la Russie développe sa coopération avec l’Iran et le Qatar. A eux trois, ces pays détiennent 56% des réserves de gaz du monde, dont 27% sur le territoire russe. Le 21 octobre, Abdullah Bin Hamad Al-Attiyah, ministre qatari du pétrole, Gholamhossein Nozari, son homologue iranien, et Alexei Miller, directeur exécutif de Gazprom, effectuaient leur première réunion trilatérale à Téhéran. Le 24 décembre, la Russie organisait une réunion avec dix autres pays producteurs, dont l’Algérie, la Libye et le Nigéria, outre le Qatar et l’Iran. Ensemble, ils mettaient sur pied une charte lançant les fondements d’un équivalent de l’OPEP (Organisation des Pays Producteurs de Pétrole). pour le gaz.

Le même jour, Gazprom annonçait son intention de travailler avec les sociétés pétrolières et gazières de l’Iran dans l’intention d’exploiter les gisements du pays. Il faut savoir Téhéran confronté à des difficultés techniques pour assurer seul l’exploitation de ses ressources. Or Total, notre compagnie nationale, sous la pression des États occidentaux, a déclaré « trop risqué politiquement » d’investir dans les champs gaziers de l’ancienne Perse. Pour complaire aux États-Unis et à Israël, dans la partie de bras de fer engagée autour du nucléaire iranien, nous laissons la Russie nous damer le pion.

Au niveau de la consommation, Moscou cherche à s’affranchir de sa dépendance des marchés de l’ouest européen. Outre un projet de gazoduc dirigé vers la Chine, le 19 février, il va charger son premier cargo de gaz naturel liquéfié sur l’île de Sakhalin. Cette technologie, que nous utilisons déjà entre l’Algérie et la France, lui permettra d’exporter sa production jusqu’à l’autre bout du monde.

Gazprom, dans le même temps, exerce une pression de plus en plus forte sur les marchés. En Serbie, après avoir racheté les parts de l’État en 2006, dans une société de transport du gaz, Srbijagas, il a augmenté les prix à la consommation de 59,9%. La solidarité slave ne compte plus guère quand il s’agit d’argent. Le 23 décembre, la société russe concluait un nouvel accord pour acheter la raffinerie serbe de pétrole, Nafna Industrija Srbije. En échange, Moscou va construire un gazoduc, nommé « South Stream », qui partant des côtes de la Mer Noire, traversera la Serbie pour rejoindre l’Italie.

Enfin, le 23 décembre, Moscou a prévenu les chefs d’États européens des risques de rupture des livraisons de gaz russe, si l’acheminement par l’Ukraine était interrompu. Une manière de chantage afin d’obtenir des pressions de l’Union européenne sur un pays qui se montre rétif pour payer ses dettes à la Russie et accepter ses conditions de vente du gaz.

Mais comment reprocher à Moscou ses méthodes, quand celles employées par Washington se révèlent tout aussi critiquables ? On doit par contre déplorer la passivité des pays européens, singulièrement de la France, quant à la préservation de leurs intérêts. Seule consolation, nous voyons la Russie tailler des croupières au mondialisme.

Offensive de séduction russe en direction de la France

Le 5 novembre 2008, l’Institut Périclès (1) patronnait un colloque à la Sorbonne sur le thème « la Russie, la France et l’Europe dans la politique internationale ».
Parmi les orateurs, on a entendu Natalia Narochnitskaya, députée à la Douma elle est aussi présidente de l’Institut pour la Démocratie et la Coopération et directrice du bureau parisien de celui-ci. Cet organisme, une émanation de Moscou, s’est donné pour vocation de « contrôler le respect des droits de l’homme dans le monde ». Créée en novembre 2007, elle s’est installée à Paris et à New York en janvier 2008. La député russe a plaidé pour la rupture de l’alliance entre l’Europe et les États-Unis et l’entrée de la Russie dans l’Union européenne. Certes, nous avons apprécié quand elle a avoué : « Nous les anciens Soviétiques savons qu’un but uniquement nationaliste et matérialiste est voué à l’échec ». Nous avons aussi compris son sentiment quand elle a dénoncé l’encerclement de la Russie des pays satellisés par les États-Unis.
Par contre, nous nous sommes raidis quand elle a clamé comme une vérité incontournable : «
L’avenir de la Russie, c’est l’avenir de l’Europe ».
Les autres orateurs étaient pourtant sur la même longueur d’onde, aussi bien Jean-Paul Bled, que le colonel (CR) Alain Corvez, Paul-Marie Coûteaux ou John Laughland, sujet britannique et directeur de recherches dans l’institut créé par Madame Narochnitskaya. Corvez, dans son engouement, a été jusqu’à rappeler que la Géorgie avait été intégrée à la Russie en 1801, avant l’entrée des États du Mississipi dans les États-Unis. Les Géorgiens apprécieront ! (2)
Mais on doit sans conteste le moment le plus truculent du colloque à Jean-Pierre Arrignon, professeur à l’université d’Arras et spécialiste de la Russie. Intervenant après les autres orateurs, il a dit : «
On reproche souvent à la Russie de compter d’anciens membres du KGB dans ses rangs. Mais qu’est-ce que le KGB sinon Sciences Po et l’ENA réunies ! C’est comme si je vous disais que Centrale est une agence de renseignement !»
Pour notre part, si nous ne nourrissons pas d’animosité à l’égard de la Russie, nous croyons nécessaire de
placer nos pays à équidistance de Moscou et de Washington. Pour préserver notre identité et nos intérêts, il nous semble raisonnable, coopérant avec l’un comme avec l’autre, d’éviter une trop grande proximité de l’un comme de l’autre.

(1) Fondé au début de l’année 2008, l’Institut Périclès est une émanation du RIF (Rassemblement pour l’indépendance et la souveraineté de la France), lui-même présidé par Paul-Marie Coûteaux. Coûteaux est député souverainiste au Parlement européen.
(2) Lire : La Géorgie victime de sa géographie

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

Retour Menu
Retour Page Accueil