LA GÉORGIE DÉPOUILLÉE

Pourquoi Saakachvili a-t-il attaqué l'Ossétie du Sud?

août 2008

Le 26 août, la Russie " reconnaissait " l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, dépouillant la Géorgie de deux de ses provinces. Moscou a beau jeu de rappeler le précédent du Kosovo arraché par la force des armes de l'OTAN à la Serbie. Dans les deux cas, la loi du plus fort s'impose et les minorités sont poussées à l'exil : au Kosovo, les Serbes, en Abkhazie et en Ossétie, les Géorgiens. Nos dirigeants occidentaux ont en commun avec ceux de la Russie le cynisme. Mais, quand les premiers sont des apprentis sorciers, les seconds demeurent des maîtres en matière de manipulation. Dans ce contexte, cela nous amène à nous demander pourquoi Saakachvili a attaqué l'Ossétie du sud, bombardant la ville de Tskhinvali, la capitale, le 7 août 2008.

La Géorgie compte 4 millions et demi d'habitants. La Russie 143 millions. Ce petit pays attaquant sa puissante voisine, proportionnellement, ce sont les cantons francophones de la Suisse, le quart du pays, partant en guerre contre la France. En outre, on connaît la brutalité de l'armée russe et la sachant présente dans l'enclave géorgienne d'Ossétie du sud, on ne pouvait douter qu'elle contre-attaquerait. Quelle mouche a donc piqué Saakachvili ?Carte de la Géorgie

Pour répondre, nous avons contacté plusieurs personnes, dont d'anciens correspondants de Pierre de Villemarest. Au terme de notre enquête, nous n'avons pas une réponse claire à la question posée mais seulement des bribes de vérités dont nous livrons l'essentiel à nos lecteurs.

Tenus par les pro-Russes et, de manière surprenante, par Marek Halter, le Président géorgien aurait attaqué à l'instigation des Américains. " Je crois, pour ma part, écrit Halter dans Le Figaro du 15 août, que le coup de force en Ossétie de Saakachvili a été préparé avec les conseillers américains et approuvé par Condoleeza Rice lors de son dernier séjour à Tbilissi ". Pour lui, pas de doute, Washington et Tbilissi comptaient " sur la réplique russe et sur la mobilisation médiatique qu'elle allait provoquer ".

En tout cas, une source neutre au sein du pouvoir géorgien conteste cette vision des choses. Depuis leur arrivée à la tête du pays, en 2004, Saakachvili et les membres de son gouvernement ne faisaient pas secret de leur rêve de remettre les Ossètes au pas. Or, cette même source témoigne que Condoleeza Rice n'est pas venue à Tbilissi pour préparer un coup de force mais, au contraire, pour appeler les dirigeants de Géorgie à ne pas risquer une aventure militaire en Ossétie du sud ou ailleurs.

Il n'en reste pas moins que le 14 août, une semaine après le début de l'aventure lancée par Saakachvili, les Américains signaient un accord avec la Pologne pour l'installation d'un bouclier antimissile sur le sol de cette dernière. La Géorgie sous les bombes russes venait à point pour décider les Polonais jusque-là hésitants.

Le 13 août, cependant, une information provenant d'Israël nous surprenait. La compagnie aérienne El Al avait effectué deux rotations pour évacuer plus de 400 Israéliens de Tbilissi. 24 heures plus tôt, un communiqué du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) nous était parvenu. Son auteur décrivait avec fierté, le rôle joué par les Israéliens dans l'équipement et l'armement des forces géorgiennes.

Les Russes n'avaient pas attendu cette dépêche pour dénoncer l'ingérence d'Israël et l'accuser d'avoir, lui aussi, poussé Saakachvili à lancer l'attaque contre l'Ossétie du sud.

Il est vrai, l'État hébreu jouit d'un lourd passif. Depuis sept ans, déjà sous Edouard Chevarnadze, Israël vend des armes à la Géorgie. Comme l'explique le CRIF, venant de ce pays, des juifs installés en Israël sont " devenus des hommes d'affaires influents dans le secteur de l'armement ". D'autre part, toujours selon le CRIF, " Le rapide développement de la coopération militaire entre les deux pays tient en partie au fait que le ministre de la Défense géorgien, Davit Kezerashvili, a été éduqué entre la Géorgie et Israël et parle couramment l'hébreu (...) Parmi les Israéliens qui ont tiré profit de cette opportunité, on trouve par exemple le général Hirsh ". La facture d'armement acheté à Israël s'élève à 200 millions de dollars, d'après les chiffres officiels.

Ce n'est pas tout. Décidément en veine de confidences, le CRIF poursuit : " Le ministre géorgien de la Réintégration, Temur Yakobshvili, de confession juive, qui maîtrise lui aussi parfaitement l'hébreu, a déclaré que l' " État d'Israël doit être fier de ses instructeurs, qui ont entraîné les soldats géorgiens " ".

Fier, pas si sûr. Le 7 novembre 2007, l'opposition au gouvernement de Saakachvili manifestait dans les rues de Tbilissi. Un témoin nous a dit : " Ce sont les commandos formés par les Israéliens qui ont violemment dispersé la manifestation avec des moyens ultra modernes ". Parmi ces moyens, des véhicules émettant des ondes sonores insupportables à l'audition.

Israël semble donc bien placé pour avoir été l'initiateur de l'attaque contre l'Ossétie du sud. Nous ne sommes pourtant pas convaincus que l'État hébreux ait tenu ce rôle.

Pour cela, une raison : depuis un an, Tel-Aviv avait limité ses livraisons d'armes à la Géorgie aux équipements défensifs. Les Israéliens craignaient que, par mesure de rétorsion, les Russes ne fassent parvenir des armes performantes, par exemple anti-aériennes, à l'Iran, à la Syrie et, par leur intermédiaire, au Hezbollah.

On imagine mal Israël poussant Saakachvili à la guerre et refusant de répondre à ses besoins en armes. Vrai, à moins d'un double langage, courant en Realpolitik.

Un indice pourrait indiquer que les Israéliens ont choisi cette voie dans leur relation avec la Géorgie. A la date du 12 août dernier, un site Internet sioniste, Israel Valley, publiait un article sous le titre : " Israël a besoin de la Géorgie comme base arrière en cas de conflit nucléaire avec l'Iran ". Une affirmation que nous avons déjà entendue dans des milieux sionistes. Cela reste néanmoins insuffisant pour accuser l'État hébreu.

On en oublierait les Russes. Ils ne sont pourtant pas au-dessus de tous soupçons. Le soir du 7 août, Saakachvili ordonnait un cessez-le-feu en ouverture d'un discours télévisé. Puis il s'adressait à la Russie pour déclarer : " La Géorgie est un allié naturel de la Russie. Nous avons besoin d'un véritable médiateur, d'un cessez-le-feu immédiat ". Le vaincu demandant à son adversaire de servir de médiateur, a-t-on déjà vu cela ?

Un homme politique géorgien nous a donné son interprétation de ces étonnants propos. " Saakachvili a passé un accord avec les Russes avant d'attaquer, affirme-t-il. Ils avaient promis de laisser les troupes géorgiennes avancer en Ossétie du sud. C'était un piège tendu par Moscou pour avoir un motif d'attaquer la Géorgie ".

Un peu dur à avaler ! Et pourtant, dans " Le Figaro " du 15 août, on peut lire une interview du vice-ministre de la Défense géorgien, Batou Koutelia. A la question, " Pourquoi avez-vous attaqué ? ", il répond : " Des forces ossètes bombardaient les villages géorgiens situés au nord de cette ville ; nous ne pouvions pas rester sans rien faire. Nous avons prévenu les forces russes que nous allions nous occuper des milices illégales qui tiraient sur nos villages. Ils nous ont donné leur feu vert pour intervenir, mais nos policiers ont été attaqués, une fois dans la ville, et nous avons dû envoyer nos troupes pour les soutenir. C'était un piège ".

Pour tout dire, nous craignons une partie de poker menteur dans laquelle tout le monde aurait joué contre la Géorgie. Les Américains pour utiliser la peur de la Russie, Israël pour réactiver la guerre froide qui le rendait indispensable à l'Occident, et la Russie, pour montrer sa nouvelle force. Quant à Saakachvili, il aurait tenu le rôle de l'idiot utile.


Alain Chevalérias

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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