Tel qu'il est aujourd'hui
partagé, l'atome militarisé interdit l'expression
violente des intérêts nationaux. Aussi ceux-ci sont-ils
protégés, ou défendus, par la politique,
la manuvre diplomatique et économique, l'exploitation
des passions confessionnelles, voire, à l'extrême
par le terrorisme.
A l'ombre imposante que l'atome
répand sur la planète, toutes sortes d'autres moyens
de coercition sont explorés ou expérimentés
sans pour autant que les populations en aient connaissance.
L'actualité internationale, telle qu'elle est vécue
par l'opinion, vient de mettre en évidence au moins trois
événements illustrant les tensions nouvelles générées
par l'intérêt national :
-Le sommet du groupe de
Shanghai à Bichkek, capitale du Kirghizistan.
-Les vols stratégiques russes en Atlantique et Pacifique,
loin des frontières nationales.
-L'annonce, par l'agence Novosti de Moscou, de la mise au point
d'une arme nouvelle fondée sur les propriétés
de l'impulsion électromagnétique.
1° Réunion du Groupe de Shanghai, dit aussi Organisation de Coopération
de Shanghai (ou OCS).
A son origine, en 1966, le Groupe de Shanghai visait la coopération
militaire et énergétique soviéto-chinoise
et aussi, sans doute, le maintien dans l'URSS des républiques
turcophones musulmanes à soustraire à l'influence
atlantique exercée par la Turquie, membre actif de l'OTAN.
Depuis, consacré en juillet 2001 et compte tenu des événements
survenus en Irak et en Afghanistan, le Groupe de Shanghai porté
à 6 Etats membres (Chine, Russie, Kazakhstan, Kirghizistan,
Ouzbekistan et Tadjikistan) affiche sa volonté de
resserrer la coopération régionale sur les vastes
étendues de son territoire mais dissimule, sous le prétexte
de lutter contre le terrorisme, son hostilité aux Etats-Unis
et à leurs empiétements en Asie.
C'est que, si en 1966, les forces armées des Etats-Unis
étaient présentes, grosso modo, sur le méridien
de Berlin, elles l'ont été sur celui de Tachkent,
puis de Bichkek, non loin de la frontière chinoise et
sur des terres qui furent soviétiques, soit, vers l'est,
une progression de près de 5 000 kilomètres de
l'unique superpuissance.
Aussi,
la quête, par les Etats-Unis d'énergies fossiles
a-t-elle rapproché Chine et Russie. Ces deux puissances manifestent le même
rejet de l'encerclement par Washington.
*La Chine constate que les forces américaines
sont présentes à sa frontière occidentale,
symboliquement en Mongolie, nombreuses en Corée du Sud
et sur l'archipel japonais, indirectement à Taïwan
et, directement, en mer de Chine avec leur puissante 7ème
flotte.
* La Russie, pour sa part, excipe du déplacement
des installations du bouclier spatial américain pour rejeter
la présence, à ses frontières occidentales
et méridionales, des intercepteurs et radars américains
et invoquer l'encerclement. " Toutes les tentatives pour
résoudre seul les problèmes mondiaux et régionaux
sont vaines " a affirmé à Bichkek M. Vladimir
Poutine. Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, invité
au Sommet saisit l'occasion pour déclarer que
"
basé en Europe de l'est le système américain
était une menace pour plus d'un Etat, pénalisant
une large fraction de l'Asie et les membres du Groupe de Shanghai
".
* En ce qui concerne à la fois la quête
d'énergie fossile et le réarmement de la Chine,
celle-ci offre à Moscou un marché et, en retour,
bénéficie des richesses énergétiques
et de l'avance scientifique de la Russie.
* De leur côté, les ex républiques
musulmanes soviétiques disposent de précieuses
matières premières, à commencer par le gaz
naturel et le pétrole, et le Kremlin entend en détourner
vers son territoire national l'acheminement afin d'en tirer parti.
C'est ainsi que le gaz naturel du Turkménistan passera
par la Russie au lieu de ravitailler l'Europe de l'ouest, à
partir de la Caspienne et du sud de l'Europe centrale.
Le comportement de Washington en Irak et en Afghanistan a dressé
contre les Etats-Unis les populations musulmanes et, en 2005,
le gouvernement du Kazakhstan avait réclamé le
retrait des contingents américains déployés
en Asie centrale.
Enfin, le vaste marché chinois, de surcroît à
relative proximité, incite les républiques musulmanes
ex soviétiques à se tourner vers Pékin,
objectif du Groupe de Shanghai.
Assistaient à la réunion
de Bichkek, à titre d'observateurs, les représentants
de l'Inde, du Pakistan, de l'Iran, du Turkménistan,
de l'Afghanistan et de la Mongolie, les trois premiers
cités demandaient à être membres de plein
droit de l'Organisation de Shanghai.
Il est fort probable qu'en
2008, lors du prochain sommet du Groupe de Shanghai celui-ci
rassemblera les gouvernements de la moitié de la population
mondiale, répartie sur l'immense étendue de
la " plus grande île du monde ", selon
la définition de Mackinder, le géopolitologue britannique.
Certes, ces populations sont,
comparativement, pauvres si l'on se réfère
au PNB per capita (probablement en moyenne de l'ordre de 1 000
dollars, soit 40 fois moins que celui atteint aux Etats-Unis).
Mais elles représentent un énorme potentiel
de travail, donc de production et disposent de vastes ressources
naturelles. Et voici, pour la première fois, créé
un cadre politique de contestation face à la prédominance
occidentale sous l'autorité de Washington , voici isolé l'archipel
japonais, partagée la maîtrise des océans
Arctique, Indien, Pacifique et aussi évincés
d'Afrique, voire d'Amérique latine, les
Etats moteurs de l'Occident.
2° Vols stratégiques russes.
Tandis qu'en Russie avaient lieu des manuvres militaires
sino-russes, M. Vladimir Poutine annonçait fièrement
: " Aujourd'hui, le 17 août, à minuit, 14
bombardiers stratégiques - et probablement six
avions de transport lourds ont décollé de 7 aérodromes
répartis sur notre territoire
. Il y a trop longtemps
que nos pilotes ont été immobilisés au sol
".
Ces avions devaient survoler l'Arctique, le pôle nord -
au plateau continental revendiqué par la Russie et aussi
le Pacifique, loin des rivages de la Sibérie.
En juillet dernier, déjà, des TU 95 avaient
survolé la mer du nord, au voisinage du littoral écossais.
Mais, au début du mois d'août, des bombardiers russes
TU 95 et TU 160 évoluèrent dans le ciel de l'île
de Guam, base américaine du Pacifique.
Ses avions de chasse avaient aussitôt pris l'air et approché
des appareils russes, les équipages des deux pays se bornant
à " échanger des signes d'amitié
", selon le général Pavel Androsov,
commandant l'aviation stratégique russe (elle aligne 80
appareils quadri-réacteurs et quadri-turbines, aux vols
prolongés par des missiles air-sol). A partir de ce jour,
souligna Vladimir Poutine " ces activités
aériennes seront poursuivies de manière régulière
". L'aviation, l'espace, le nucléaire autant d'industries
avancées sur lesquelles la Russie fonde son avenir.
Comme Pékin, Moscou est fondateur du Groupe de Shanghai.
Mais, à la différence de la Chine qui peut spéculer
sur le passage des ans, la Russie est pressée et
elle pratique la diplomatie de la hâte. C'est qu'il s'agit,
pour elle, d'exploiter pleinement le potentiel de puissance politique
que lui confèrent - temporairement ses richesses énergétiques.
Celles-ci, dans une certaine mesure, compensent l'effondrement
de l'économie planifiée et le démembrement
de l'Union soviétique, redonnant à la nouvelle
Russie la capacité d'intervenir en faveur des Serbes
du Kosovo, de soutenir indirectement l'Iran et la Corée
du Nord, de sanctionner l'Ukraine et la Biélorussie
et de punir les Baltes de leur adhésion à
l'OTAN, par le tracé des oléoducs et gazoducs
de Gazprom. Et aussi de s'opposer farouchement aux projets
américains de " bouclier spatial ". Bref de
se faire entendre sur la scène internationale.
La politique " pétrolière " des Etats-Unis,
acharnés à s'assurer un ravitaillement suffisant
en énergies fossiles a, ainsi, mobilisé la moitié
du monde contre l'Occident, les intérêts de
la zone Asie-Pacifique se heurtant à ceux de la zone Euro-Atlantique
et les mettant à mal.
3° L'annonce par
l'agence russe Novosti de l'avènement d'une arme nouvelle
à impulsion électromagnétique.
Le phénomène n'est pas nouveau. En revanche l'agence
Novosti révèle la mise au point d'une série
de générateurs d'une puissance de milliers de mégawatts
émettant les impulsions électromagnétiques
correspondantes. Ces générateurs seraient particulièrement
compacts, ce qui sous-entend une certaine banalisation d'un "
procédé qui serait dix fois plus " efficace
" que ceux que les pays étrangers auraient mis au
point ".
Il n'est pas surprenant que ce soit par des manifestations
de la science et de la technicité russe, maintenant financées
par la rente des énergies fossiles et servie par une ardente
volonté politique, que la Russie tire parti de son riche
potentiel scientifique. En la matière elle est en mesure
d'être le pourvoyeur des grandes puissances émergentes
avides de technologies avancées. Ce sera à l'innovation
scientifique d'être peu à peu substituée
à l'exploitation des gisements fossiles pour contribuer,
demain, à la prospérité de la population
russe.
Général
CR Pierre-Marie Gallois
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