|
avril 2012
L’hebdomadaire « Actualité Juive » du 8 mars 2012 a publié un article pleine page sous le titre « Le peuple kurde, paradoxe de l’histoire ». Quand on sait ce média entièrement dédié à la gloire d’Israël et du monde hébraïque, on s’étonne de son intérêt pour les Kurdes. Mais l’étonnement va croissant, quand on lit sous la plume de Moshé Frydmann, l’auteur du papier, des propos dignes du plus militant des nationalistes kurdes. « Inconnus ou presque des ONG et absents des résolutions onusiennes, les Kurdes, écrit-il, peuple musulman sunnite, se battent depuis 1920 et le traité de Sèvres (1) afin de faire reconnaître l’indépendance du Kurdistan, l’État qui leur était destiné ». Pour nous, il est vrai, cela ne représentait pas une surprise, à la suite d’une enquête menée au printemps 2004, un an après l’offensive américaine contre l’Irak. Fin avril 2004, une information nous parvenait émanant des autorités militaires turques. Selon ces dernières, une compagnie aérienne, dirigée par un ancien colonel israélien du nom de Shalom Mordechaï, était en formation pour relier le Kurdistan irakien à Tel-Aviv. La presse turque, pour sa part, parlait d’achat de terres par des Israéliens dans le nord de l’Irak occupé. N’y croyant pas, nous nous rendîmes au bureau du représentant de « la région autonome du Kurdistan » à Paris, un certain Sayman Barzani. Il nous avait reçu dans un bureau situé à deux pas de l’église Saint Augustin. Étrangement, s’il ne confirmait pas, il ne démentait pas non plus la création d’une compagnie aérienne israélienne au Kurdistan. Quant aux terres dont des Israéliens étaient supposés se porter acquéreurs, il répliqua : « Les juifs ont toujours eu des terres au Kurdistan. Cela remonte à l’antiquité babylonienne... » Puis Barzani admit « depuis 1994, des Israéliens d’origine kurde se sont rendus plusieurs fois chez nous. Ils venaient voir l’état de leurs biens. Ils n’ont rien réclamé... » Nous avons, en Occident, la faiblesse de ne pas tenir compte du poids de l’Histoire pour comprendre la politique. Il faut se souvenir : en 586 av. J.C., Nabuchodonosor, roi de Babylone, emmena les Hébreux en déportation en Mésopotamie après les avoir vaincus. Là, passant un an plus tard sous la domination perse, ils prospérèrent et devinrent les protégés du nouveau pouvoir. Leur influence devint telle qu’un royaume kurde, Abiadène, se convertit au judaïsme au 1er siècle de l’ère chrétienne (2). Or Arbèles, la cité royale, est devenue Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Certes, les siècles s’écoulant, les Kurdes se sont massivement convertis au christianisme puis, avec un certain sens de l’opportunisme, à l’islam quand celui-ci devint le plus fort à partir du VIIème siècle. Mais les Israéliens n’ont pas oublié la brève judaïté d’une partie des Kurdes (3). Mieux, en quête d’alliés, dans un environnement arabe qui leur est hostile, ils ont tout fait pour forger un lien entre eux et ce peuple des montagnes. En 1967, par exemple, patriarche
kurde aujourd’hui décédé et Dans leur approche de séduction, les Israéliens n’ont pas peur du ridicule. Kevin Alan Brook, un spécialiste de l’histoire juive, auteur en outre de plusieurs livres et articles encyclopédiques, a écrit : « En 2001, une équipe scientifique formée d’Israéliens, d’Allemands et d’Indiens ont découvert que la majorité des Juifs de la planète sont proche parents du peuple kurde. Ils sont plus proches de ce dernier que des Sémites arabophones ». En fait, Brook avait tronqué les résultats des chercheurs qui avaient remarqué des éléments génétiques communs entre certains Juifs et les Kurdes. Ce que l’Histoire, comme nous l’avons vu plus haut, explique fort bien. L’auteur ne faisait que déformer la réalité scientifique aux dépens du bon sens : comment des Juifs, d’origine sémite, pourraient-ils être plus proches des Kurdes, d’origine indo-européenne, que des Arabes dont ils sont cousins par le sang ? (5) Le 20 septembre 2006, une émission de la BBC jetait un coup de projecteur sur la présence israélienne au Kurdistan irakien. Elle rapportait que d’anciens soldats des forces spéciales de l’État hébreu avait été envoyés dans ce pays pour former deux unités de Kurdes. La première pour constituer une force de protection de l’aéroport d’Hawler, à côté d’Erbil, l’autre afin de doter l’autorité locale d’une petite force d’élite. Cette opération était conduite par la société Interop, spécialisée dans le conseil en sécurité et dont Danny Yatom, ancien directeur du Mossad, est l’un des fondateurs. Agissant sur le terrain, deux succursales d’Interop, Kudo et Colosium, étaient présentées comme des entreprises suisses. Pour la période 2004-2005, Interop était dirigé par Schlomi Michaels, lui-même ancien officier des services israéliens. En plus du savoir-faire, Jérusalem a fait parvenir 150 millions de dollars de matériel de communication et de clôtures de sécurité au Kurdistan.
Il faut savoir le Kurdistan irakien riche de deux potentialités dont manquent Israël : le pétrole et l’eau. Certes, l’éloignement ne joue pas en faveur de l’État juif, mais la configuration de la région permettrait, sans trop de difficultés, un acheminement par pipe-line des ors noir et bleu par la Jordanie, dont le gouvernement collabore volontiers avec Jérusalem. Une autre raison se profile néanmoins.
Passée sous silence dans la presse française, une
information, publiée dans les éditions de fin février
du journal israélien « Haaretz »,
mérite quelque intérêt. Enfin, toujours au mois de février, la chaîne américaine NBC disait : « Israël a fait appel aux services de l’OMPI, une association terroriste iranienne, pour assassiner les scientifiques » nucléaires iraniens. On sait en effet le Mossad ayant exécuté, directement ou indirectement, cinq de ces chercheurs. Le dernier s’appelait Ahmadi Roshan. Il a été tué à Téhéran le 11 janvier de cette année. En outre, l’OMPI, ou Moujahidine-e-Khalq (8), organisation passée à l’opposition après avoir combattu le régime du Chah aux côtés des khomeynistes, est elle-même basée en Irak depuis Saddam Hussein qui leur avait donné le camp d’Achraf, à une centaine de kilomètres au nord de Bagdad. Certes, depuis l’offensive américaine de 2003, les hommes de l’OMPI sont retenus en semi-détention dans leur ancienne base opérationnelle. Ils sont cependant parvenus à exfiltrer plusieurs éléments au Kurdistan. On comprend le Kurdistan irakien, frontalier de l’Iran, devenu une base d’assaut d’Israël contre Téhéran. Dans ce cadre, on comprend l’ardeur mise par les Israéliens pour sécuriser l’aéroport d’Erbil : à mi-chemin entre Israël et l’Iran, il permettrait aux avions de Tsahal de se poser et de faire le plein de carburant avant de bombarder les installations nucléaires iraniennes. On voit mieux, comme nous l’avons dit, pourquoi Yossi Alpher (4) a été jusqu’à déclarer : « L’autonomie kurde est très positive pour Israël ». Mais depuis quand ce plan israélien a-t-il été pensé avant d’être exécuté ? En octobre 2002, spécialiste du Moyen-Orient à l’« University College » de Londres, Neill Lochery écrivait à propos de la future guerre contre l’Irak : « La vérité brutale est que cette guerre sera plus la guerre d’Israël que celle des États-Unis ». Quant à Bill Christison, ancien officier de la CIA devenu analyste politique, il disait en février 2003 : « Tout cela démontre la volonté de l’actuel gouvernement d’Israël d’obtenir la conquête de l’Irak par les États-Unis... » Aujourd’hui, force est de constater que si les États-Unis n’ont rien gagné en Irak, sinon à ouvrir la région chiite à l’Iran, les Israéliens, eux, apparaissent comme les seuls à avoir tiré profit de cette guerre coûteuse et destructrice. Christison concluait sa déclaration par les mots : « Il m’est difficile d’imaginer une meilleure recette pour susciter plus de terrorisme ». Comment le contredire ?
|
www.recherches-sur-le-terrorisme.com |