Couverture livre Brûlé Vif, MEK

 BRÛLÉ VIF

Alain CHEVALERIAS

Au nom de Marx et de Mahomet
Enquête sur les Moujahidine du Peuple d'Iran (MEK)
Edité par le Centre de recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001

Auteur: Alain Chevalérias

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 BRÛLÉ VIF

Résumé:

Pendant plus d'un an, l'auteur a enquêté sur les Moujahidine, se rendant en Irak, en Iran, en Allemagne et en Grande-Bretagne pour rencontrer les témoins de leur histoire.
Il a découvert un monde étrange où l'islamisme se mêle au marxisme, mis à jour des filiations remontant à Hassan As Sabbah, le maître de la secte des Assassins au XIème siècle. Plus étonnant encore, pénétrant dans l'intimité de l'Organisation (MEK), comme la désigne ses adeptes, il nous révèle les protections américaines dont jouissent les Moujahidine. Mieux, en France, il a percé à jour les relations qu'ils entretiennent avec une certaine extrême gauche toujours en mal de Révolution.
Surtout, l'auteur, s'interrogeant sur la nature des Moujahidine du peuple,(Mojahidine-e-Khalq), approfondit la réflexion sur le terrorisme et la manière de combattre ses affidés.

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Pages choisies:

 CHAPITRE 1

Immolations par le feu


Nous sommes le mercredi 18 juin 2003 à Paris. Rue Nélaton, dans le 15ème arrondissement, quelques dizaines d'individus manifestent devant les bureaux du ministère de l'Intérieur. Leur teint mat trahit leur origine orientale. Scandant des slogans indistincts, ils brandissent des drapeaux et de grandes photos d'une femme souriante. Sans s'en préoccuper, pour la plupart en civil, des fonctionnaires de police gravissent les marches du bâtiment pour se rendre à leur travail. Les montres vont afficher 9 heures 25 sur leur cadran. Il fait déjà chaud.

Soudain, un hurlement déchire l'air. Un peu plus loin, devant la ligne du métro aérien, une silhouette enveloppée de flammes se débat. Un homme court vers elle. Des policiers interviennent. Trop tard. Noirci, monstrueux, le corps gît sur le sol agité de soubresauts. Les manifestants connaissent la victime. Elle est iranienne. Du même pays qu'eux. Âgée de 42 ans, elle s'appelle Marzieh Babakhani. Elle voulait s'immoler par le feu pour obtenir la libération de la femme dont l'image flotte au-dessus de la petite foule assemblée, à quelques pas, devant le ministère de l'Intérieur.

Transportée d'urgence à l'hôpital Cochin, la blessée rendra l'âme dans la soirée.

A la mi-journée, une autre jeune femme, après s'être aspergée d'essence, se transforme en torche humaine au même endroit. Elle répond au nom de Sedighieh Mohageri et comptait 38 printemps. Plus tard dans l'après-midi, Mohammad Vakili-Fard, un homme de 46 ans, répète le geste fatal. Une épidémie de suicides par le feu semble gagner la planète: le jour même, un homme à Bern; la veille et le lendemain, quatre à Londres; deux encore à Rome et un autre à Ottawa. Message sans ambiguïté, à chaque fois, pour se donner la mort, les victimes ont choisi la proximité d'une ambassade de France.

La cause de cette passion mortifère s'appelle Maryam Rajavi. Avec son mari, Massoud Rajavi, elle dirige les Moujahidine-e-Khalq, ou Moujahidine du Peuple, un mouvement d'opposition au régime islamiste au pouvoir en Iran. Les suicides ont pour objet d'obtenir la libération de Maryam, arrêtée par les autorités françaises. Le 17 juin aux aurores, le juge Jean-Louis Bruguière a lui-même conduit l'opération à la tête de plusieurs centaines de policiers. Ils ont effectué un raid sur la résidence des MEK, à Auvers-sur-Oise, dans la région parisienne. Près de deux cents Moujahidine ont été incarcérés avec Maryam.

Pour Pierre de Bousquet de Florian, le directeur de la DST, la décision prise par les autorités est justifiée. « Il y avait un danger pour notre pays et nos concitoyens,déclarait-il au cours d'un point de presse organisé le 18 juin, il était tout à fait temps d'intervenir. »

Ali Safavi, porte-parole des Moujahidine, qualifie « de complètement faux » les propos du patron de la DST.

En 22 ans de présence en France, clame-t-il, « toutes nos activités ont été pacifiques et respectueuses des lois européennes. »

L'élargissement de Maryam et de ses compagnons, le 3 juillet, semble donner raison à Ali Safavi. Certes, elle doit verser une caution de 80 000 euros et reste en examen, mais laisse-t-on en liberté un danger public, fût-ce contre rançon?

Il est vrai encore, on imagine mal l'égérie des Moujahidine dans la peau d'un chef de bande terroriste. Arrivant à Auvers-sur-Oise à sa sortie de la prison de Fleury-Mérogis, on la voit en tailleur et foulard roses répondre avec sollicitude aux ovations de ses partisans. Engageant sa réputation, Jean-Pierre Bequet, le maire socialiste d'Auvers vient même l'accueillir.

Ce n'est pas le seul soutien français de Maryam. Outre de nombreux députés et sénateurs de notre pays, elle compte parmi ses amis Danièle Mitterrand. A sa sortie de prison, dans le discours dédié à ses partisans, elle remercie les personnes qui sont intervenues en sa faveur. En premier lieu, la veuve du Président socialiste « qui a démontré la grandeur, la conscience et les plus nobles valeurs de la France et de la Résistance française... C'est comme si Madame Mitterrand avait amené ici avec elle le général De Gaulle, le chef de la Résistance contre le fascisme en France, et feu le président Mitterrand... » Image osée, tant l'on imagine mal De Gaulle et Mitterrand unis par un même sentiment. Mais comment ne pas se laisser séduire par tant de fraîcheur?

Cependant, tout n'est pas aussi rose que le tailleur de Maryam dans cette affaire. Au cours des perquisitions, les policiers ont saisi pour huit millions de dollars en billets. Les Moujahidine ne peuvent pas expliquer l'origine de cet argent. Et puis, il y a ces suicides par le feu.

Certes, depuis les locaux de la DST où on la tenait en garde à vue, Maryam a invité ses supporters à cesser ces immolations. Des actes par ailleurs dommageables pour son image de marque auprès de l'opinion française. Cependant, le synchronisme et l'ubiquité de ces sacrifices humains obligent à penser à l'existence d'un chef d'orchestre.

Les autorités françaises le pensent aussi. Confirmant leurs soupçons, dans la nuit du 20 au 21 juin, elles ont arrêté deux Iraniens. Des membres des Moujahidine. Elles les ont mis en examen pour « provocation au suicide.» Âgés de 47 et 51 ans, les deux hommes ont été filmés par une caméra de surveillance achetant huit litres d'essence dans un bidon. Ceci quelques dizaines de minutes avant l'immolation de Sedighieh Mohageri, la seconde victime de la rue Nélaton.

En ce mois de juin 2003, je n'avais qu'une vague connaissance de cette affaire. D'autres auraient pu susciter mon intérêt. Je sentais pourtant celle-là portée par des mystères étonnants pour l'Occident. Comme on choisit un roman réagissant à son titre ou à l'image de couverture, je décidai de consacrer quelque temps à une enquête sur les Moujahidine-e-Khalq.

 

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CHAPITRE 3
Naissance des Moujahidine-e-Khalq

 

Reza Qaremi aime raconter. II est intarissable:
« Je suis né en 1951 à Jahrom, dans le sud de l'Iran, commence-t-il, mon père et ma mère militaient activement pour les MEK. Saied Mohsen, l'un des fondateurs de l'Organisation, venait parfois de Chiraz, où il habitait, pour passer chez nous le week-end. Régnait alors une ambiance de contestation permanente contre la monarchie. Deux tendances antigouvernementales coexistaient: l'une marxiste, l'autre islamiste. Les Moudjahidine ont fait une synthèse des deux idéologies.

L'initiative de leur création remonte à 1965, quand trois étudiants et universitaires décidèrent de se donner une structure militante.Outre Saied Mohsen, il y avait Mohammad Hanif-Nezhad et Abdelreza Nikchbin dit Abdi. Ce dernier, très actif, professait une ligne marxiste. Il voyait une science dans la dialectique communiste. Il a abandonné ses activités politiques trois ou quatre ans plus tard. Voilà pourquoi on ne trouve plus son nom nulle part. »

Je le coupe:

« J'ai lu d'autres noms de créateurs des MEK dans les documents dont j'ai pris connaissance.
- Oui, mais ils ont rejoint le noyau initial un peu plus tard. Ali Asghar Badi Zadegan fut le premier. D'autres ont suivi, comme Mahmoud Asgarizadeh, Rasoul Meshkinfam et Ahmad Rezai. Le plus jeune s'appelait Lotfollah Meisami.
- Le marxisme rejette toutes les religions. Comment les MEK parvenaient-ils à l'amalgamer avec l'islam pour en faire une idéologie cohérente?
- Ils affirmaient trouver dans le marxisme des points de dogme révélés autrefois dans le Noble Coran.
- Quoi par exemple?
- En ce qui concerne le Coran, je ne me souviens pas. Mais, vous savez que nous, chiites, nous attribuons une grande importance à l'Imam Ali, paix sur lui. Or notre Imam disait: « Ce que vous avez en trop, donnez-le aux pauvres. » Il aurait même déclaré un jour: « Quand je vois la maison d'un riche, je vois aussi les maisons détruites. » Ce qui revient à dire que la richesse se construit toujours aux dépens d'autrui.
- C'est quand même un peu court pour assurer la fusion entre islamisme et marxisme. Et puis, j'ai cru comprendre qu'en Iran, à la même époque, une forte tension existait déjà entre les tenants de ces deux idéologies.
- En réalité, c'était une tromperie de la part des Moujahidine. Les responsables de l'organisation nous recommandait de «prendre la chair du marxisme et la peau de la religion. De cacher notre allégeance au marxisme sous le masque de l'islam... »

Ou l'inverse. Je reconnais là l'influence de la pensée iranienne faite de croyances à doubles entrées. Cependant, m'aventurant sur ce terrain, je crains des considérations philosophiques m'écartant de mon enquête. Je veux d'abord du concret. Je continue:
« Vous ne m'avez pas parlé de Massoud Rajavi.
-Je ne l'ai jamais rencontré, mais je connais bien son histoire. Fils d'un haut fonctionnaire de l'état civil, il est né en 1948 à Tabas, dans la province du Khorassan. Sa famille était à l'aise. Sur les cinq enfants, quatre ont poursuivi des études à l'étranger. A Machad, où ils vivaient, Massoud a pris goût à l'idéologie religieuse militante en suivant des conférences dans la ligne d'Ali Chariati... »

Ali Chariati. Nul ne peut s'intéresser à l'Iran sans tomber sur ce personnage peu connu en Occident. Cet idéologue a pourtant poursuivi une partie de ses études à la Sorbonne et marqué de sa pensée les courants d'opposition à la monarchie. Animé par une vision révolutionnaire, il appelait à l'éveil de la conscience sociale et à la « renaissance de l'indépendance culturelle face à l'agression culturelle occidentale. » Il dénonçait le manque de réflexion des masses et le besoin de foi religieuse des intellectuels.

Né en 1933, enseignant à Téhéran, il est décédé le 19 juin 1977, trois semaines après son arrivée en Angleterre où il était parti en exil. Emprisonné à plusieurs reprises sous le Chah d'Iran, on croit encore sa mort causée par la SAVAK, le service de renseignement de la monarchie.

Mon interlocuteur continue:
« Massoud est arrivé à Téhéran au début des années 60 pour poursuivre des études de droit à l'Université. Il a rejoint l'Organisation en 1966 et, rapidement, en est devenu l'un des idéologues avec Ahmad Rezai. Ils appartenaient à un groupe de 16 personnes chargées de réfléchir à l'orientation stratégique de l'Organisation. Il a alors abandonné ses études et est entré dans la clandestinité. Il vivait dans des caches secrètes.
- Et vous, pendant ce temps, que faisiez-vous?
-Je rendais des services à l'Organisation. Je louais pour eux des maisons et je transportais des messages. Il m'arrivait d'avoir une arme et d'utiliser de faux papiers pour me déplacer à travers le pays.

- Vos parents ne s'inquiétaient pas de telles activités?

- Mon père collaborait depuis longtemps avec l'Organisation. Il lui donnait même de l'argent. Lui et ma mère trouvaient normal de finir un jour en martyr. L'un d'entre nous, Nasser Sadeq, a dit devant les tribunaux du Chah: « Notre idéologie, c'est la mort, c'est le martyr. »
-Et vous ne trouvez pas cela terrible? »

Un silence s'établit entre nous. Je remarque alors la nervosité de Reza Qaremi. Son regard se perd quelques instants dans le vague. Il revient désemparé. Presque à mi-voix, il confesse:
« C'est notre culture...

Il continue, à nouveau volubile:
- A la fin de l'année 1972, j'ai été mis en contact avec un Palestinien du Fatah de Yasser Arafat. Nous avions des relations avec son organisation. Je lui remettais des renseignements sur les installations militaires iraniennes.
-Pourquoi les Palestiniens avaient-ils besoin de ces renseignements?
-Je ne me posais pas la question mais, aujourd'hui, je pense qu'ils les communiquaient aux Soviétiques.
- Combien de temps avez-vous fourni des documents aux gens d'Arafat?
- Plusieurs mois. J'ai été arrêté en mai 1973 et torturé. On me bloquait les pieds à l'aide d'une corde, et on frappait sur la plante jusqu'à ce que je parle. La SAVAK appelait cela la « torture miraculeuse, » parce que personne n'y résiste... »

La main de Reza Qaremi serre l'accoudoir du fauteuil pour ne pas trembler. « Excusez-moi, lui dis-je en persan. » Il me montre ses pieds. Ils sont restés déformés à vie. On voit là toute la dureté de la guerre secrète entre les services du Chah et les opposants à son régime.

Je laisse finir Reza Qaremi:
« A ma sortie de prison, l'Organisation m'a demandé de reprendre mes activités avec les Moujahidine. J'ai refusé. Alors, au moment de la Révolution islamique, en 1979, quand ils étaient proches de l'Imam Khomeiny, ils m'ont fait juger pour collaboration avec les services du Chah. »
Les MEK collaborant avec le régime islamiste! Voilà un sujet que je me promets d'explorer.

Mais il est tard. La nuit tombe sur la rousseur automnale du parc, qui cerne l'hôtel. En ce mois de Ramadan, c'est le signe attendu par les musulmans pour boire et prendre leur premier repas depuis le lever du jour. En pareil moment, la courtoisie veut de laisser un mahométan satisfaire son appétit. Nous nous quittons. Sur le pas de la porte, Reza Qaremi me serre la main avec force. Puis, relâchant la pression, il hésite un instant et me fixe dans les yeux pour articuler:
« Dites tout. Vous savez les Iraniens n'ont pas mérité toutes ces souffrances... »

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CHAPITRE 8

LE MARIAGE IMPOSSIBLE DE RAJAVI ET BANI SADR

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En ce soir de novembre, Versailles, déjà dans l'obscurité, ressemble à un univers de cauchemar. Personne dans les rues. Les phares des voitures passent à grande allure sur l'avenue des États-Unis. Un crachin agressif me cingle le visage. Étrange comme on se sent seul dans ces banlieues. Je presse le pas. Mes amis des télévisions arabes m'ont encore dépanné en me donnant le numéro de téléphone de Aboul Hassan Bani Sadr. « Tu verras, m'a dit un Libanais, on dirait le château de la Belle au Bois Dormant. »

De fait, grande maison de style se fondant dans l'ombre, avec ses toits pointus et ses volets clos, la demeure de l'ancien Président iranien semble enveloppée de mystère. On passe une lourde porte de fer, grinçant comme dans un film pour effrayer les âmes sensibles. Le concierge, un jeune Iranien, me fait patienter dans un baraquement aux fonctions de poste de garde. Puis il m'introduit auprès du maître de céans.

Je pénètre dans une grande salle d'une centaine de mètres carrés. Vide, à part deux canapés à un bout, et à un autre deux chaises frileusement serrées autour d'un poêle à bois. Le plafond est si haut, que la pièce reste froide et humide. Bani Sadr donne juste congé à un universitaire italien venu poser quelques questions sur l'Iran. Il a conservé ce rictus qui lui donne l'air de toujours retenir son rire. Comme son ombre, son assistant, un homme frisant la cinquantaine, demeure dans la pièce pendant tout l'entretien. Les formules de politesse échangées, j'attaque:
«Comment êtes-vous devenu Président de la République islamique?
Se mettant à l'aise, il croise les jambes. Le sujet lui plaît.
- J'étais en France en exil, comme Monsieur Khomeyni. A l'époque, j'ai rédigé un document qui est devenu le discours officiel de la Révolution. Dans ce dernier, je m'attachais à réconcilier les approches marxistes, islamistes et libérales des principales tendances.
- Libérales, que voulez-vous dire par là?
-Je parle de ceux qui privilégiaient la notion de liberté économique sur l'indépendance, les avancées sociales ou les valeurs islamiques. Je suis arrivé en Iran en même temps que Monsieur Khomeyni, le 1er février 1979. II m'a présenté comme le débatteur et défenseur de la Révolution face aux marxistes et aux Moujahidine de Massoud Rajavi. Je me suis alors beaucoup déplacé à travers l'Iran pour répandre mes idées de liberté. Lors des élections de l'Assemblée constituante, au mois d'août, j'ai été élu en deuxième position, derrière Monsieur Taleghani. En janvier 1980, le peuple iranien m'a élevé au rang de Président de la République avec 76% des suffrages exprimés... »

Étonnant ce terme de "Monsieur" précédant les noms de dignitaires religieux comme Khomeyni et Taleghani. En outre si les hommes politiques jouissent souvent d'une mémoire sélective, Bani Sadr n'échappe pas à la règle. Il oublie de dire qu'il doit son mandat à l'approbation de l'Imam Khomeyni. En ces temps révolutionnaires, l'écrasante majorité de la population iranienne soutenait l'ancien exilé et adversaire du Chah. Nul n'aurait pu se faire élire à d'aussi hautes responsabilités sans son appui. Mais, je ne suis pas ici pour refaire la Révolution iranienne.

A mes yeux, comme il existe une licence poétique, pour la quête de la vérité, nous avons le droit, dans notre métier, à une « licence journalistique » nous accordant le privilège de l'insolence devant les plus grands. En usant, je coupe l'ancien Président de l'Iran dans ses considérations d'ordre personnel sur sa légitimité populaire:
« Aviez-vous déjà des relations avec les Moujahidine-e-Khalq?
- Non. C'est beaucoup plus tard que Massoud Rajavi a pris contact avec moi. A mon arrivée en Iran, je lui avais proposé de débattre sur le terrain idéologique, mais il avait refusé.
- Pourquoi?
-Je pense qu'il ne se sentait pas en mesure de se défendre et de présenter des arguments convaincants.
- Une fois Président, vos relations avec l'Imam Khomeyni se sont rapidement détériorées. Vous êtes aussi entré en conflit avec M. Rajaï, le Premier ministre nommé par le Parlement. Aviez-vous déjà des relations avec les MEK avant les manifestations du 30 de Khourdad (20 juin 1981) et votre destitution par le Parlement le 21 juin?
- Après le coup d'État contre la Présidence de la République, je me suis enfui chez des amis de Monsieur Dariush Forouhar, chef du Parti du Peuple iranien et lui-même ancien ministre post révolutionnaire. C'est là que deux des émissaires de Massoud Rajavi sont venus me voir... »

(Je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée pour Dariush Forouhar. Je l'avais rencontré en 1995 lors d'un voyage en Iran. Homme chaleureux, la moustache dressée en pointes, il défendait avec énergie l'héritage national de son pays. En novembre 1998, il a été tué à son domicile, avec sa femme Parvaneh. Personne n'a été inculpé et l'opinion internationale attribue ces assassinats aux autorités iraniennes.)

Ne se rendant pas compte de mon absence d'un moment, Bani Sadr continue:
« Les hommes de Rajavi sont revenus un jour après l'attentat du 28 juin contre le siège du Parti de la République Islamique. Je leur ai dit avoir l'intention de rédiger un communiqué pour dénoncer cette action terroriste. Ils m'ont assuré ne rien à voir avec celle-ci.
- Qui vous parlait?
-Il y avait le frère de Maryam Rajavi, Mahmoud Azodanlou, et Abbas Dawali. Ils ont proposé de m'emmener dans une de leurs caches pour assurer ma sécurité. J'ai accepté...
Je n'en dis mot, la polémique étant inutile, mais Samad Nazary, à Sari, avait évoqué une relation entre les MEK et Bani Sadr avant le renversement de ce dernier par le Parlement.
-Je me suis retrouvé dans un bâtiment d'un étage,continue Bani Sadr, j'ai été installé au premier où j'ai compté quatre pièces et une salle de bain. En cas de nécessité, nous disposions d'une sortie secrète pour nous échapper. J'ai découvert que la femme de Rajavi, Achraf, se cachait dans la même maison.
- Vous voulez dire sa première femme, qui a été tuée depuis.
- Oui. Un jour, Rajavi est venu me parler. Il m'a suggéré de quitter l'Iran avec lui. J'ai d'abord dit, « Je suis le Président de l'Iran. J'ai des devoirs. Si le peuple participe aux prochaines élections présidentielles, je reste. Sinon, je pars avec vous. » Le 24 juillet, dans l'ensemble de l'Iran, deux millions et demi de personnes ont voté, sur une population de quarante millions. Alors j'ai dit à Rajavi, « Nous pouvons partir. » A Paris, à la descente de l'avion, j'ai déclaré à un journaliste de la BBC avoir « quitté l'Iran pour dénoncer les relations organiques entre le khomeynisme et le reaganisme... »
Comprenne qui pourra.
- Aviez-vous demandé des garanties à Rajavi?
- Avant notre départ, j'avais conclu un pacte écrit avec Rajavi. Il reposait sur trois principes: pluralisme politique, liberté des individus et indépendance nationale. Pour chacun de ces trois points, j'avais donné des définitions précises... »
Sur ces mots, le téléphone sonne. Bani Sadr s'éclipse quelques instants.

Les images de son départ défilent dans ma tête. Grâce à des complices, le 28 juillet, Rajavi et lui s'étaient introduits déguisés sur l'aéroport militaire de Téhéran. Ils ont embarqué à bord d'un avion de transport de carburant destiné au ravitaillement des chasseurs F14 de l'aviation iranienne. Le colonel Behzad Moezi était aux commandes. Ancien pilote personnel du Chah, la Révolution l'avait rétrogradé à des fonctions qu'il jugeait humiliantes. En l'air, l'aéronef dévia de l'itinéraire de sa mission officielle, traversa la frontière et se dirigea vers la France.

Immédiatement, les fugitifs obtinrent l'asile politique. François Mitterrand présidait alors aux destinées de l'Hexagone. Sa femme, Danièle, a sans doute joué un rôle dans cette prise de décision. On la connaît pour son soutien à tous ceux qui, devant elle, se réclament du marxisme. Les fuyards s'installèrent à Auvers-sur-Oise sous la protection des autorités françaises. Rajavi avait bien joué. Deux jours plus tard, trahissant la préparation minutieuse de l'opération, il créait le CNR (Conseil National de la Résistance), dont Bani Sadr, en raison de sa position d'ancien Président de la République, constituait l'un des piliers. L'autre était représenté par le PDKI (Parti Démocratique Kurde d'Iran).

Parmi les membres, figuraient aussi quelques personnalités indépendantes de renom opposées au régime de Khomeyni, comme le docteur Mansour Farhang, Bahman Niroomand, Mehdi Khanbaba et le docteur Nasser Pakdaman.

Une question me brûle les lèvres. Quand Bani Sadr revient, je la lui lance:
« N'était-ce quand même pas risqué de vous embarquer dans cette affaire sans savoir ce qui vous attendait à l'étranger?
Les yeux de mon interlocuteur vacillent derrière ses lourdes lunettes.
- Il me fallait accepter l'épreuve, comme un devoir religieux. Vous espérez réussir, mais vous savez pouvoir échouer. J'ai dit à Rajavi: « Avec Khomeyni, je n'ai pas fait de contrat, parce que c'est un chef religieux. Il était supposé respecter ses engagements, mais il ne l'a pas fait. Vous concernant, je sais votre idéologie basée sur la prise du pouvoir et l'instauration d'un système absolutiste. Si vous changez pour prendre la bonne direction, celle de la liberté, tant mieux. Votre organisation sera alors bénéfique pour la démocratie iranienne. Par contre, si vous déviez de cette voie, je vous dénoncerai. »
- Vous avez quand même collaboré presque trois ans avec lui...
- Deux ans et quelques mois, en fait.
- Officiellement vous avez rompu avec lui le 24 mars 1983. Entre-temps, cependant, votre fille a épousé Massoud Rajavi. On a l'impression d'un pacte, comme autrefois les alliances entre seigneurs féodaux cimentées par les épousailles de leurs enfants. Que signifiait ce mariage à vos yeux?
- C'est ma fille, Firouzeh, qui a décidé de contracter cette union. J'étais contre pour plusieurs raisons. D'abord, je ne crois pas qu'il soit souhaitable de mêler politique et relations intimes.

Ensuite, je sais comment Rajavi pratique: il parle jusqu'à étourdir la personne qu'il a en face de lui et, de guerre lasse, obtient ainsi son accord. Enfin, j'ai expliqué à ma fille: « nous menons une expérience avec Rajavi. Nous ne savons pas s'il va respecter son contrat. » Elle m'a répondu vouloir renouveler ce pacte avec lui. Alors j'ai dû m'incliner devant sa volonté et respecter son indépendance.
- Quand le mariage a-t-il eu lieu?
- Je me perds un peu dans les dates. Cela devait se passer plus d'un an avant notre rupture. C'était quelques temps après le décès de sa première femme, Achraf. Je me souviens, je le lui ai fait remarqué. Il m'a répondu, « L'Imam Ali s'est remarié immédiatement après la mort de son épouse Fatima. » Nous étions à quelques jours du Nao Rouz, le nouvel an iranien, peu avant le 21 mars 1982 par conséquent. »

Bani Sadr échange quelques phrases avec son assistant pour retrouver les dates. Je me remémore les événements. Quittant l'Iran le 28 juillet 1981, Massoud Rajavi avait laissé sa femme, Achraf Rabii, derrière lui. Le 8 février 1982, elle était tuée dans un affrontement armé avec les forces de sécurité iraniennes en compagnie de Moussa Khiabani, chef des MEK à l'intérieur de l'Iran. Lui, à peine veuf, planifiait ses nouvelles noces.

Bani Sadr relance notre dialogue:
« Vous pouvez écrire mars 1982 pour la date du mariage.
- Quand ont-ils divorcé?
- A la fin de l'année 1984.
-Pourquoi?

- Une nuit, elle m'a téléphoné en pleurant. « Massoud veut m'emmener avec lui en Irak, a-t-elle déclaré, si je ne veux pas partir, il m'invite à divorcer. Que dois-je faire? » Je lui ai répondu. « A toi de décider, mais si tu veux respecter ton engagement, tu dois divorcer. » Ce qu'elle a fait.

- Donc les contacts avec l'Irak précèdent de peu leur divorce.
- Pas du tout, ils sont bien plus anciens. Tout a commencé début 1983. C'est même la cause de notre rupture, entre lui et moi. Aux environs du mois de janvier, j'ai reçu un appel d' Edgard Pisani, un notable français ancien ministre du Général De Gaulle. « Êtes-vous d'accord pour rencontrer Monsieur Tarek Aziz? » m'a-t-il demandé. Tarek Aziz occupait les fonctions de ministre de Saddam Hussein. Comment vouliez-vous que j'acceptasse? Je me considère comme une victime de l'Irak. La guerre, déclenchée en 1980 par ce pays, a permis aux hommes de Monsieur Khomeyni de réaliser le coup d'État qui m'a destitué. Comment, en tant qu'ancien Président de la République iranienne, et à ce titre alors commandant en chef de l'armée, pouvais-je accepter de rencontrer un, membre du gouvernement de l'agresseur?
- Donc vous avez refusé...
- Bien sûr, mais une heure plus tard, Rajavi venait me voir et m'annonçait: « J'ai accepté un rendez-vous avec Tarek Aziz. » Je lui ai reproché cette décision prise sans me consulter.
- Comment s'est passé la rencontre?
- Elle a duré cinq heures au lieu d'une, comme prévu initialement. Tarek Aziz a acheté Rajavi. Il n'a fait de lui qu'une bouchée.
- La victime n'était-elle pas consentante? Remarquai-je.
- Peut-être, mais Rajavi ne comprenait malheureusement pas que l'on ne pouvait pas aller de Téhéran à Bagdad et venir gouverner ensuite en Iran. Aucun Iranien ne tolérerait cela... »

Je vois Bani Sadr jeter un coup d'oeil furtif à sa montre. L'interview dure depuis plus d'une heure et il s'impatiente.

Mais je tiens à partir d'ici avec une réponse à toutes mes questions.

J'oriente l'entretien sur un autre sujet: le coeur du pouvoir des MEK:
« A peine divorcé de votre fille, Rajavi épousait Maryam, le 8 février 1985. Immédiatement, il la nommait co-leader des MEK. Qui commande donc les MEK? Maryam ou Massoud?
- Massoud évidemment. Il est le guide, elle est le commandant en chef. Ils forment un couple politique comparable à ceux de Khomeyni et Khameneï, de Mao Tsé Toung et Chou En-Lai. Il se considère comme le modèle. Il disait que Khomeyni l'avait dépossédé du pouvoir qui lui revenait légitimement. Il s'identifie à un imam. Peut-être même à « l'Imam du Temps. » Selon notre dogme chiite, l'Imam du Temps, ou Douzième Imam, a disparu en 873. Il doit revenir avant la fin du monde pour ramener la paix sur terre.
- Comment les membres des MEK, des marxistes malgré tout, peuvent-ils accepter pareilles idées?
- Ils vivent coupés du reste du monde. Ils n'ont droit à aucune lecture autre que la pensée de Rajavi. Ils sont comme dans une secte. Les Moujahidine, pour moi, ce n'est rien d'autre qu'une secte... »

J'ai déjà entendu cette accusation dans la bouche d'adversaires des MEK. J'aimerais insister dessus, mais je tiens à explorer un point à mes yeux plus important encore, le terrorisme.

« Que pensez-vous des activités armées des MEK?
- Pour moi, violence contre violence, il n'y a pas de solution en Iran. Pour s'opposer à celle du régime, il faut neutraliser politiquement ses forces. Faire naître une conscience nationale de l'inutilité de cette violence. A Auvers-sur-Oise,
Rajavi et moi avions pris la décision de limiter l'utilisation de la force aux situations d'autodéfense et, en aucun cas de prendre nous même l'initiative de la violence. Mais, un jour, il est venu me voir avec un nouveau slogan. « La lutte armée, affirmait-il, est la seule solution pour mettre un terme au régime. » II insistait pour que je reproduise et défende ce point de vue dans mon journal publié en exil, « Inqelob-e-Islami» (La Révolution islamique). D'ailleurs, attaquer l'ennemi à sa base est inutile. Comme le dit le Coran, « Qatilou a'imata al koufr, » attaquez les chefs des infidèles. Si vous voulez vaincre par la force, combien vous faudra-t-il tuer d'Iraniens parce qu'ils se réclament de Khomeyni? C'est absurde. C'était entre nous un point de désaccord quotidien.
-J'ai obtenu en Iran des témoignages émanant de la population et évoquant des attaques contre des civils extérieurs aux enjeux politiques. Les victimes et des témoins accusent les MEK de ces attentats. Cela est-il crédible?
-J'en doute, parce que ce n'était pas leur intérêt de se conduire ainsi. D'abord, je le sais, d'autres groupes agissaient de cette manière, y compris des gens travaillant pour le gouvernement iranien comme Javadi...
Je comprends qu'il évoque Javad Mansouri, l'ancien chef des Pasdaran rencontré à Téhéran. Je suis entre des ennemis irréductibles...
- Javadi et ses amis avaient intérêt à mettre des atrocités sur le compte des Moujahidine pour justifier la répression et les exécutions. Rajavi, de son côté, a souvent accepté d'endosser ces attaques pour se donner de l'importance.
-J'ai aussi des témoignages d'attaques aux obus de mortiers au coeur même des villes.
- Oui, cela se passait à l'époque de Monsieur Khatami. Rajavi revendiquait ces opérations. Il est possible qu'il en soit responsable. Je ne sais pas. Mais, vous savez, quand vous remontez aux sources, c'est Khomeyni lui-même qui a commencé.
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Je parle des faits. Avant juin 1981, on ne peut pas reprocher un seul acte de violence aux Moujahidine.
- Sous le Chah, nous avons pourtant connaissance de quelques attentats commis par eux, par exemple l'assassinat de six Américains.
- Je veux dire, à partir de la Révolution. Les Moujahidine étaient alors les victimes des agressions des Pasdaran. Jusqu'au jour où les forces de sécurité ont tiré sur la manifestation du 30 de Khourdad (20 juin 1981). Ils ont exécuté des enfants de dix à douze ans...
Les documents, en particulier le livre de A. Singleton, « Saddam's private army, » de façon déjà assez atroce,parlent de « très jeunes filles » exécutées. Pas « d'enfants de dix à douze ans. » Je touche la frontière entre les faits et la propagande.
-Il y a cependant l'attentat contre le Parti de la République Islamique, qui a fait 72 morts, dont l'ayatollah Behechti, dix membres du gouvernement et vingt députés.
- Les Moujahidine n'y sont pour rien. Le lendemain de l'attaque, je vous l'ai déjà dit, ils m'ont confessé être innocents dans cette affaire.
- Ils revendiquent pourtant la responsabilité de cette attaque...
-J'ai posé la question au deuxième bureau iranien (renseignments de l'armée). Ils m'ont dit: « Cet attentat est un travail d'ingénieur. Les explosifs ont été placés de manière à faire tomber le plafond et à tuer ainsi toutes les personnes présentes. Il n'y a que nous (l'armée) qui soyons capables de réaliser une telle action. Si ce n'est pas nous, ce sont les Pasdaran... »

Mes neurones se mettent en marche. D'abord, au moment de l'attentat, Bani Sadr avait été limogé. En fuite, je l'imagine mal contactant un service de renseignements iraniens. Surtout, je comprends l'inconfort de sa position.

Il lui est difficile d'admettre l'éventualité de la nature terroriste d'un mouvement quand il collaborait avec lui. Il joue sa réputation d'homme politique qu'il veut faite d'intégrité.

Je remarque la main de l'ancien Président tapotant le bras de son fauteuil. Il doit avoir envie de dîner, mais il me faut abuser de sa courtoisie pour quelques minutes encore.
« J'ai rencontré en Iran, avec l'accord des autorités, des fugitifs des MEK. Plusieurs sont en liberté. Ils bénéficient d'une loi d'amnistie. Que pensez-vous de la véracité de leurs propos?
- C'est la règle du régime: tous les membres des Moujahidine sont condamnés à mort. Sinon, c'est qu'ils ont accepté de collaborer. On ne peut pas faire confiance à ces gens là.
Ce jugement, me semble-t-il, mérite d'être nuancé.
- Même si je me méfie, insistai-je, je suis obligé de constater que leurs propos sont recoupés par ceux d'autres fugitifs des MEK vivant en Allemagne ou dans le reste de l'Europe.
-Je connais parmi eux des gens presque sincères, mais il faut quand même vérifier.
- Nous sommes d'accord, répliquai-je, voilà pourquoi je cherche à voir le maximum d'acteurs et témoins. Pour comparer leurs propos. Sur ce plan, les MEK ne m'aident pas beaucoup. Ils n'aiment pas tellement les journalistes trop curieux.
- Non. Je sais qu'une fois, un journaliste les a interviewés. L'entretien terminé, ils ont estimé qu'un des leurs avait trop parlé. Ils ont voulu reprendre la cassette d'enregistrement. »
Aux grattements de gorge de l'assistant, je comprends qu'il faut vraiment partir.

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CHAPITRE 12
La Révolution interne


C'est notre dernière journée de travail avec Nazary. J'ai déjà une dizaine de cassettes enregistrées. Il entre dans ma chambre un vieux sac de cuir à la main. Posant celui-ci délicatement au pied de la chaise, il s'assied devant le magnétophone prêt à répondre à mes questions.

« Parlez-moi de la Révolution interne...
- Au mois d'octobre 1989, commence Nazary, Rajavi nous a tous convoqués pour une réunion dans l'auditorium de la base.

Je remarquai le grand nombre de gardes de sécurité et des caméras braquées sur les membres un peu partout. J'ai pensé que quelqu'un d'important allait être jugé. Rajavi a beaucoup parlé. Du soir jusqu'au petit matin. Pendant des heures, il a évoqué devant nous les thèmes fondateurs de la religion chiite. Il nous expliquait leur lien avec la politique et la lutte armée, avec notre situation actuelle.

Aux premières lueurs du jour, il a fait un signe à l'une des femmes officiers, Sadjavadi. Elle a marché sur lui portant un plateau métallique. Dessus, il a pris un étui cylindrique d'une trentaine de centimètres de long. L'ouvrant, il en a sorti une feuille de papier, l'a dépliée et la lisant a déclaré Maryam numéro un de l'Organisation avec le titre de « Rabba. »
- J'ai entendu les Iraniens donner ce titre de « Seigneur » à l'Imam Khomeyni. Cela signifie-t-il que Maryam se voyait élevée au même rang que le guide de la Révolution iranienne?
- Il me semble.
- Elle se retrouvait donc au-dessus de Rajavi.
- Non, lui restait au-dessus de tout. Il était l'intermédiaire entre Dieu et nous... »

Je reste quelques instants songeur. Les sunnites disent, se référant au Coran, « Point d'intermédiaire entre Dieu et sa créature. » Chez eux, le clergé se voit interdit d'existence. Chez les chiites, par contre, il existe une classe religieuse, dont le sommet est occupé par les ayatollahs. De plus, l'islam chiite repose sur la vision mystique de personnalités hors du commun dont la mission consiste à établir la jonction entre Dieu et les hommes.

Dans l'histoire, les Imams appartiennent à cette catégorie d'élus, mais au nombre de douze, le dernier a disparu au IXème siècle et, comme je l'ai déjà expliqué, doit revenir à « la fin des temps. » Élément capital, l'Imam Khomeyni n'a jamais revendiqué la position d'Imam dans le sens mystique du terme. Dans son cas, Imam signifiait « guide, » un peu comme un titre honorifique.

Là, il faut bien comparer à Rajavi. Pour Singleton, pas d'ambiguïté. Le message du chef des MEK, dit-elle, est «Je suis le prochain Imam, je suis votre lien avec Dieu... Ce qui signifie que quelqu'un le rejetant blasphème contre Dieu... jusqu'ici, seule Maryam a été capable de percevoir la véritable grandeur de Rajavi... » Du moins pour les « croyants » de l'Organisation.

Parcourant quelques pages annotées dans le livre de Singleton, j'ai laissé Nazary désorienté.
« Excusez-moi, je réfléchissais, repris-je. Comment les auditeurs ont-ils réagi à la déclaration de Rajavi?
- Il a montré le papier tiré du cylindre à plusieurs hauts responsables. J'en ai vu un qui portait la main à son arme dans un geste de rébellion. Prêts à intervenir, des gardes assurant la sécurité ont arrêté son geste. Puis Rajavi a prononcé un autre discours, très court celui-là, et nous sommes partis pour nos occupations habituelles sans avoir dormi.
- Mais que disaient les simples militants?
- Nous parlions beaucoup entre nous. Nous commentions le mouvement de colère de quelques-uns de nos responsables. Tout était confus dans nos têtes. Au camp d'Achraf, le désordre régnait. Nos chefs de services ne nous donnaient pas de travail. Nous étions désemparés.

Le soir, nous avons eu une nouvelle réunion. L'un de nos plus anciens, Mehdi Eftekhari, a éclaté. « Massoud, a-t-il dit, veut nous interdire les relations sexuelles. C'est pourtant quelque chose de naturel, de conforme à la volonté de Dieu. C'est un péché ce qu'il nous ordonne. Il a tort... »

Je n'avais pas compris cela dans les propos de Rajavi, mais nous étions tellement assommés de mots que je ne saisissais pas tout.
Le jour, le désordre allait s'amplifiant dans le camp. Chaque soir, nous nous retrouvions dans l'auditorium. Au cours de la quatrième nuit, Eftekhari a été battu par un groupe de Moujahidine. « Traître, hurlaient-ils, tu as trahi Massoud Rajavi. Tu n'es plus qu'un Pasdaran. A nos yeux, toi et Khomeyni, vous n'êtes pas différents. » Eftekhari avait environ 70 ans. Après l'avoir frappé comme des fous, ils l'ont jeté en prison pendant des mois.
- Qu'est-il advenu de lui?
- Comme il refusait de céder, le choix lui a été offert par l'Organisation: la mort ou la prison à vie. Il a fini par perdre la raison.
Au bout de cinq jours, nous avons retrouvé la salle organisée comme un tribunal. Massoud et Maryam siégeaient en position de juges. Des caméras de télévision leur faisaient face. Nos chefs sont passés les uns après les autres devant eux pour jurer leur attachement. Ils devaient confesser leurs péchés. Avouer comme tels les relations sexuelles avec leurs femmes.
Puis le tour des autres membres est venu. Je suis aussi passé devant Massoud et Maryam. Ils m'ont demandé ce que je pensais de leur mariage. Ils me harcelaient de questions. Je n'osais plus parler. J'étais de plus en plus angoissé.
Le dixième jour, à nouveau, je me suis retrouvé face à Maryam et Massoud. Ils exerçaient une telle pression sur moi qu'ils m'ont obligé à parler de mes relations avec une jeune fille quand j'étais adolescent. Puis, ils m'ont poussé à admettre que, depuis mon arrivée en Irak, je n'avais jamais cessé de trahir l'Organisation. Je me sentais coupable.
- Mais vous n'aviez rien fait! Au contraire, vous étiez d'une loyauté irréprochable.

-Je ne savais plus ce que je disais. Je n'étais plus moi-même. Après huit heures de conditionnement, je me suis rendu à eux. J'étais comme une boîte vide. Alors, Rajavi m'a parlé avec chaleur. « Mon frère, m'a-t-il dit, ne crois pas que j'ignorais ce que tu as confessé. Je suis votre Guide. Mon esprit abrite des choses importantes. Plus importantes que celles dont vos esprits sont encombrés. Vous êtes comme des animaux ne songeant qu'à votre pénis. Moi, ma pensée est dévouée à Dieu. De toute la terre, je suis l'homme le plus savant et j'ai accédé à cet état grâce à ma parfaite connaissance du Coran. Vous m'avez choisi et je vais retirer de votre tête l'animal qui s'y terre pour vous faire accéder à un autre monde. Voilà pourquoi j'ai épousé Maryam. Parce qu'elle est la première personne à lire dans mon esprit et à comprendre ma pensée. Si je la touche, cela n'a rien à voir avec le sexe. Nous sommes comme frère et soeur. Je ne couche pas avec elle parce que je n'en ai pas besoin... » Je suis sorti de cette séance dans un état second. Comme si, marchant pendant des heures dans la nuit, j'étais arrivé à un état d'épuisement extrême.
- Tout le monde a-t-il reçu le même traitement?
- Oui, mais plus ou moins longtemps. Tout dépendait de la capacité de résistance de la personne.
- Une fois sortis de là, au bout de quelques jours, les membres de l'Organisation ne se révoltaient-ils pas?
- C'est plus compliqué. Rajavi nous a expliqué: « Vous avez fait sur vous même une nouvelle Révolution, une révolution sur votre esprit, sur votre mentalité. » Nos cadres les plus importants devaient nous expliquer le bien fondé de cette Révolution de l'esprit. Ils affirmaient: « Depuis que j'ai fait sur moi la Révolution de l'esprit, la Révolution interne, mon énergie est multipliée par cent. Je me sens bien,épanoui. Comme si j'étais au ciel... » Puis un jour, un par un, nous avons dû retirer nos alliances et les déposer devant Massoud.

Nous répétions trois fois de suite, comme l'exige la loi musulmane: « Je divorce. »
Beaucoup de couples vivaient mal ce changement. Plusieurs fois par semaine, nous étions obligés de faire une confession de nos fautes sur papier. Nos obsessions sexuelles reprenaient le dessus.
- Qu'est-ce que c'était que ces confessions?
- Nous devions écrire tous nos péchés, y compris nos mauvaises pensées.
Par exemple, si nous avions douté de Rajavi. Ou si nous avions pensé au sexe en voyant la poitrine de la présentatrice de la télévision se dessiner sous son corsage... »
Cette Révolution interne, ou Révolution de l'esprit,ressemble à une mise en condition psychologique du type de celui connu dans les sectes pseudo religieuses. Les accusations des ennemis des MEK prennent consistance à écouter Nazary. Je le relance:
« Samad je vous ai demandé si les gens se révoltaient.
- Plusieurs couples ont voulu quitter l'Organisation.
- Que sont-ils devenus?
-Je ne sais pas. Ou plutôt, je me souviens de Parviz Yaqoubi, l'un des membres les plus anciens des Moujahidine. Il avait épousé la soeur d'Achraf Rajavi, la première femme de Massoud, comme vous devez le savoir. Il manifestait son désaccord avec insistance. L'Organisation l'a traduit en justice. Il a été condamné à la prison « pour ne pas avoir pris position en faveur de la Révolution de Rajavi et s'être aligné sur celle de Khomeyni. » Après je sais qu'il est parti en France. Là-bas, il a fait des déclarations à la presse.
- Et vous, comment viviez-vous tout cela?
- Mal. Je voyais les choses aller de travers. Je n'avais plus de motivation. Je l'ai écrit à Maryam. Pendant un an et demi, à cause de cette lettre, j'ai été mis à l'écart de mes activités habituelles. Les anciens prisonniers de guerre iraniens inclus dans nos rangs étaient particulièrement mécontents.
En mars 1991, quand les Kurdes se sont révoltés contre Saddam Hussein, un millier de ces anciens prisonniers ont posé leur arme sur le sol, refusant de prendre part à la défense du camp. Ils ont été incarcérés.
Je demandais avec insistance à quitter l'Organisation. Nos responsables ont fini par me donner leur accord. Mon chef de service, m'a emmené à Kirkouk. Je lui ai demandé pourquoi. Il m'a dit vouloir me faire sortir de l'Irak en passant par cette ville à cause des combats qui sévissaient alors à travers le pays à cause de la Guerre du Golfe. Puis la nuit est arrivée. Dans un village, Debbes, il m'a fait monter dans une jeep. Nous nous sommes arrêtés devant un bâtiment.
Mohsen Rezaï a ouvert la porte. Vous le connaissez en Occident comme le responsable des activités diplomatiques des Moujahidine. Pas comme gardien de prison. Ils ont rabattu ma veste sur ma tête, mis une main sur ma bouche et m'ont poussé dans une cellule d'un mètre cinquante sur un mètre. »
Une heure après mon arrivée, les bombardements américains touchaient une station essence à 150 mètres de la prison. Les détenus hurlaient. J'ai entendu un bébé qui pleurait. J'ai compris que, dans ces murs, ils enfermaient aussi des parents avec leurs enfants.
Au début de 1993, l'Organisation m'a donné le passeport d'un Moujahid vivant autrefois en Suède, mais mort en 1988 pendant l'offensive de Forouq-e-Javidan. A la fin d'un itinéraire compliqué, j'ai pu entrer en Italie. J'ai trouvé un emploi dans un restaurant de L'Aquila, le village où Mussolini avait été emprisonné pendant la guerre. Mais l'Iran me manquait. Au bout de huit mois, je suis allé raconter mon histoire à l'ambassadeur d'Iran à Rome. Il m'a prévenu, rentrant au pays, je risquais de passer devant un tribunal. J'ai accepté.

- Que s'est-il passé à votre arrivée à Téhéran?
- Des officiers de la sécurité de l'aéroport m'ont emmené dans un hôtel. J'ai été interrogé par quelqu'un des services de renseignements. II m'a dit: « Des gens comme toi, beaucoup sont rentrés en Iran. L'Imam Khomeyni a ordonné de vous pardonner quand vous vous livrez de vous mêmes et si vous n'avez tué personne. » Il m'a invité à appeler ma famille. L'un de mes frères a répondu. D'abord, il ne m'a pas cru... »

J'arrête mon magnétophone. Nazary continue de parler. Il évoque les retrouvailles avec sa famille, sa nouvelle vie, ses regrets. Ses difficultés d'insertion aussi: pour ses voisins, il reste un ancien membre de l'Organisation, dans leur esprit, un terroriste. Il insiste pour offrir un thé. Puis il ouvre le vieux sac de cuir apporté ce matin. Il en sort un paquet enveloppé dans du papier kraft.
« Ma femme m'a demandé de vous donner ça, » explique-t-il. A l'intérieur, brodé à la main, je trouve un drapeau iranien.

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CHAPITRE 19
Loyautés trahies


Fin janvier, à peine rentré en France, j'appelle Mohammad Husseyn Sobhani en Allemagne. Je souhaite obtenir confirmation des informations collectées en Iran. Savoir aussi s'il connaît les personnes rencontrées. Surtout, je voudrais l'interroger à propos des relations entre les MEK et les Américains.
« J'allais justement vous appeler, affirme-t-il, deux anciens camarades, transfuges des Moujahidine, viennent d'arriver en Allemagne. Ils acceptent de vous rencontrer. Voulez-vous venir? »
Le temps de l'organiser, la rencontre n'aura lieu que le 28 février en début d'après-midi à Cologne. Une interprète sera présente.

*
* *

Le rendez-vous a été fixé à l'Hôtel Cristall, un lieu moderne à la décoration « design » installé à cinq cents mètres de la gare de Cologne.

A mon arrivée, l'interprète m'attend assise dans la réception. C'est une belle femme d'une quarantaine d'années. Elle a quitté l'Iran avant la Révolution.

J'installe mon matériel d'enregistrement et mon ordinateur dans la chambre tout en bavardant. Elle n'aime pas le régime iranien. Des MEK, par contre, elle semble avoir une opinion plus nuancée, presque favorable.

Sobhani arrive en retard avec ses deux amis. Le premier s'appelle Reza Radmanesh. Haut de taille, le visage imberbe, il pourrait facilement passer pour un Européen. L'autre, Ali Rachqavi, plus petit, a le visage anguleux de certaines populations kurdes.

Reza Radmanesh commence. Son histoire débute comme celle de la plupart des volontaires des MEK. Membres de l'Organisation, deux de ses oncles avaient été exécutés sous le Chah. Aujourd'hui âgé de 32 ans, des amis de ses oncles l'ont recruté à leur sortie de prison quand il en avait quinze. En 1989, ils l'ont aidé à préparer son départ d'Iran pour le Pakistan. Comme beaucoup d'autres, il a suivi l'itinéraire passant par l'obtention d'un laissez-passer au bureau des Nations-unies à Quetta, puis par la maison d'hôtes de l'Organisation à Karachi.

Il parle d'une voix rapide, souriant de ses mésaventures.
« Je voulais poursuivre mes études à l'étranger,explique-t-il, c'était la raison de mon départ. A Karachi, le responsable de l'envoi des nouveaux en Irak s'appelait Hadi Erfanian. Aujourd'hui, il assure la protection rapprochée de Maryam Rajavi en France. Je lui ai fait part de mon intention d'étudier. Alors il a commencé à s'acharner contre moi,critiquant la couleur de mes vêtements ou me reprochant de porter un pyjama, signe d'embourgeoisement, pour dormir. « Tes oncles sont morts pour la cause, me répétait-il, et toi tu veux étudier! »

Puis ils m'ont isolé. J'avais dix-sept ans et j'en ai beaucoup souffert. J'ai fini par céder et accepter de partir en Irak... »
Suivirent le départ pour Bagdad avec un faux passeport, selon l'habitude des MEK, puis au pays de Saddam Hussein, la formation idéologique et militaire. Là, l'état d'esprit de Reza évolua. « Avec les armes, je me sentais un homme, comme le héros d'un film... »

Je demande:
« Avez-vous reçu un entraînement pour effectuer des opérations terroristes.
-Cette formation était incluse dans le programme général. Nous apprenions à tuer avec une corde, à briser le cou d'un homme, à faire des bombes ou à piéger des objets avec des explosifs. A Sulamaniya et Kirkouk, au Kurdistan, il y avait un centre, appelé la « Faculté, » où nous recevions un entraînement pour apprendre à assassiner les membres du Parlement iranien.
- Avez-vous fait des opérations militaires en Iran?
- Non, jamais.
- Quand avez-vous décidé de quitter les MEK?
- Jusqu'en 1994, je me sentais bien dans les Moujahidine. Puis tout a basculé. Sans raison, j'ai été arrêté et jeté en prison. Pendant mon interrogatoire, j'ai entendu que l'on torturait quelqu'un dans la pièce d'à côté. Puis j'ai été mis en cellule avec d'autres camarades. Un autre détenu a alors été jeté sur le sol par les gardiens. Nous avons reconnu Parveza Hamadi (Parvez Ahmadi), un de nos commandants. Il avait les mains et les jambes brisées. C'est lui que j'avais entendu torturer. Comme il nous le demandait, nous avons essayé de lui donner de l'eau. Mais il est mort avant de boire. Comme ça, dans nos bras. La publication des Moujahidine l'a dit assassiné par le ministère des Renseignements iraniens. C'est un mensonge.
Ils l'ont tué eux-mêmes. II avait 36 ans et venait de Kermanshah.
- C'est une accusation particulièrement grave que vous portez. Si je la publie, êtes-vous prêt à témoigner en justice?
-Je ne demande que ça. Ce n'est pas le seul crime dont j'ai été témoin. Korban Tourabi (Ghorbanali Torabi) m'avait reçu dans l'Organisation. C'était un ami. Ils l'ont assassiné en prison à la même époque. Sa soeur en est devenue folle. Elle est dans un hôpital psychiatrique à Bagdad... »

Au tremblement du menton de Reza, je comprends son émotion trop forte. Il s'esquive vers la salle de bain. Me tournant vers l'interprète, je la vois livide. Je fais une distribution de boissons gazeuses pour détendre l'atmosphère.

Au bout de quelques minutes, Reza revient. Il a les yeux rouges et affiche un sourire gêné. Il reprend de lui-même:
« Ayant assisté au sort de Parveza Hamadi (Parvez Ahmadi) et de Korban Tourabi (Ghorbanali Torabi), j'avais tellement peur que j'ai signé tout ce que voulaient mes interrogateurs: un texte de quatre vingt pages écrites sous leur dictée. Après huit mois de détention, je suis sorti de cellule avec une dizaine d'autres membres. Massoud Rajavi nous a reçus. « Des gens voulaient me tuer, nous a-t-il expliqué. Maintenant, le problème est résolu. Vous êtes libres. » Puis il a ajouté: « Ce que vous avez vu ou subi, c'est quelque chose de normal dans les organisations politiques de gauche. Hô Chi Minh a fait exécuter tous les membres de son bureau politique en une nuit. Staline a fait la même chose. Vous êtes vivants. Si vous avez été un peu battus, ce n'est pas grave... » Ensuite, nous avons rejoint nos quartiers comme si rien ne s'était passé.
- Qu'avez-vous pensé du comportement de Massoud Rajavi?
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- Tout avait changé pour moi. J'ai demandé à quitter l'Organisation. En réponse, une femme, du nom de Spirin m'a apporté une serviette humide. En me la donnant, elle m'a dit: « C'est un objet précieux, Massoud Rajavi s'en est servie. Il vous l'envoie. » Puis elle m'a proposé de signer un contrat de deux ans. Après quoi, m'a-t-elle dit, « Nous vous enverrons en Espagne. » J'ai accepté. Nous étions en 1995.
- Comment l'Organisation vous a-t-elle alors utilisé?
-J'ai eu différentes responsabilités. Par exemple garde du corps de Massoud Rajavi. Puis en 1997, j'ai été versé dans les services de renseignements. Te servais sous les ordres de Mehri Haji Nijad. A l'époque, j'ai effectué des missions de reconnaissance à Abadan, pour préparer des attaques contre les raffineries. Je prenais des photos des lieux où nous pourrions poser des bombes. Avant de partir et à mon retour, j'avais des réunions avec les services irakiens. Ils nous donnaient des photos aériennes et nous partagions nos informations. Finalement le programme a été annulé: l'Irak et l'Organisation subissaient des pressions internationales nous interdisant de toucher aux raffineries et aux installations pétrolières iraniennes.
- D'où venaient ces pressions?
- Je ne sais pas.
- Continuez s'il vous plaît.
- Au bout de deux ans, j'ai demandé à partir conformément à mon contrat. Alors l'Organisation a mis sur pied une machination contre moi. Mon chef direct était une femme, Fatimeh Gholami. Elle m'avait pris en amitié. Il l'ont obligée à écrire une lettre disant qu'elle se livrait à la débauche. En 1998, j'ai été à nouveau emprisonné, accusé cette fois d'avoir eu des relations sexuelles avec elle.
- Pardonnez ma question. Était-ce vrai?
- Pas du tout, notre relation était purement amicale. Je suis resté plus de huit mois en prison. Un individu particulièrement brutal m'a interrogé, Hassan Mohacil. J'ai été frappé à coups de bottes et de bâtons. J'ai eu une vertèbre brisée. Pour me démoraliser, on m'a dit que ma soeur aînée avait été exécutée par le ministère des Renseignements iraniens. A nouveau, j'ai signé ce que mes tortionnaires voulaient. J'ai même confessé avoir eu des relations sexuelles avec Fatimeh Gholami. Une responsable, Maran Saferi m'a alors fait venir. Elle m'a dit: « Massoud Rajavi vous pardonne. L'Organisation vous ouvre les bras. Vous pouvez revenir parmi nous... »
- Les MEK vous faisaient confiance?
- Non, j'avais un travail, mais je ne pouvais pas sortir de la base. La prison avait fait de moi un corps mort. Je n'avais plus goût à rien. J'ai envisagé de me suicider. Il s'est alors passé quelque chose d'important pour moi. Une de mes soeurs s'est installée à la même époque au Pays-Bas. Elle a pris contact avec les Moujahidine et les a menacés en disant:
« Ou vous libérez mon frère, ou je saisis les Nations-unies de l'affaire. » Les gens de l'Organisation ont accepté d'établir une liaison téléphonique entre ma soeur et moi. Ils avaient branché un haut-parleur pour écouter les questions. Je les voyais écrire ce que je disais. Quand elle m'a demandé « Es-tu heureux? » ils ont coupé la ligne. Mais au ton de mes réponses, ma soeur avait déjà compris. Elle m'avait aussi appris que notre aînée n'avait pas été tuée par les services iraniens. Elle était mariée, mère de deux enfants et vivait à Téhéran. L'Organisation m'avait menti.
- Comment supportiez-vous tout cela?
- Personne ne le peut. La pression était terrible. Nous ne pouvions pas parler entre nous. C'était interdit et nous avions peur les uns des autres. N'importe quoi pouvait arriver à n'importe qui. Un commandant important, Mehdi Eftekhari, a même été accusé d'avoir des relations sexuelles avec des chats. J'ai voulu m'enfuir.Un autre camarade voulait aussi tenter sa chance. Je lui ai donné le numéro de téléphone de ma soeur au Pays-Bas en lui disant: « Si tu t'échappes, appelle la et dis lui que je ne veux plus rester ici... » Mais il a été surpris et m'a dénoncé. Je me souviens, c'était le 11 septembre 2001. J'ai été à nouveau arrêté, insulté et jeté dans une cellule d'isolement. Trois ou quatre fois par mois, on venait m'interroger.
- Combien de temps cela a-t-il duré?
- Un an et demi. En février 2002, deux femmes importantes dans la hiérarchie de l'Organisation, Maran Saferi et Batoul Rajaï, sont venues me voir. « Nous allons t'emmener à Abadan, en Iran, au terminal du bus, m'ont-elles dit, de là tu pourras rentrer chez toi. » Deux jours plus tard, à la nuit tombée, je me suis retrouvé sur le bord de ce que les Arabes appellent le Chatt-Al-Arab, le fleuve dans lequel se confondent le Tigre et l'Euphrate. Le chenal fait à cet endroit plus d'un kilomètre de large. Deux bateaux étaient amarrés à la berge, le second, plus petit, à la remorque du premier. Nous avons embarqué à bord du plus grand. Au milieu du cours d'eau, mes anciens camarades m'ont ordonné de monter dans l'esquif que nous remorquions. Il prenait l'eau. J'ai refusé. Ils ont braqué leurs armes sur moi. De l'autre côté du fleuve, on voyait une tour se dresser sur la berge. Ils m'ont dit: « Va droit dessus, c'est Abadan. » En réalité c'était un mirador des gardes frontières iraniens. Les Moujahidine voulaient me faire tuer par l'armée iranienne. Comme je ne m'éloignais pas d'eux, ils ont tiré dans ma direction. Ma barque commençant à couler, je me suis jeté à l'eau. Très fort, le courant m'a emporté. Et là, j'ai eu beaucoup de chance, j'ai été rejeté sur la berge côté iranien.
- Vous êtes-vous livré aux autorités iraniennes?
- Non. J'ai marché jusqu'à Abadan où j'avais un ami. De là, j'ai rejoint Téhéran. Mon père a de l'argent. Je me suis caché chez lui pendant trois mois, puis il a payé quelqu'un pour m’emmener en Turquie.

J'ai voyagé sans passeport, avec des passeurs. Cela coûte très cher. Arrivé en Allemagne, il y a trois mois, j'ai demandé le statut de réfugié politique. Mon dossier est en cours de traitement. S'il vous plaît, ne croyez pas ce que disent les Moujahidine. Ce sont des criminels. Ils méritent de passer devant une cour de Justice... »

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CHAPITRE 20
La Maison Blanche entre deux chaises


Les propos de Mohammad Hosseyn Sobhani ont piqué ma curiosité. Je veux en savoir plus sur John Ashcroft. Depuis le 22 décembre 2000, il occupe la position d' « Attorney general, » autrement dit de ministre de la justice de George W. Bush. Selon sa biographie, publiée par le Département de la justice des États-Unis, le Président reconnaît en lui « un homme de grande intégrité, un homme de grand jugement et un homme qui connaît la loi. »

Né à Chicago en 1942, il entama une carrière de haut fonctionnaire en 1973. Élu gouverneur de l'État du Missouri en 1984, il resta à ce poste jusqu'en 1993. L'année suivante, il entra au Sénat. Voilà pour l'aspect officiel.

Poussant ma recherche, dans la publication du 26 septembre 2002 de « Newsweek, » je trouve une histoire bien étrange. Le 10 mai 2000, encore Sénateur, Ashcroft avait adressé une lettre à Janet Reno, sa devancière au Département de la justice. Dans le document, il prenait la défense d'une jeune iranienne, Mahnaz Samadi, détenue par le service de l'Immigration. Il la qualifiait d' « activiste des droits de l'homme hautement considérée, » de « voix puissante en faveur de la démocratie. »

Venant des États-Unis où elle jouissait du statut de réfugié politique depuis 1996, Mahnaz était entrée illégalement au Canada en novembre 1999. A l'occasion d'une demande de visa, refusée auparavant par les Canadiens, elle avait déclaré travailler comme secrétaire à temps partiel dans son pays de séjour. Or, si elle affirmait ne disposer que de modestes revenus, son passeport par contre mettait en évidence la fréquence de ses voyages pour des destinations lointaines et donc coûteuses.

Les autorités canadiennes l'avaient arrêtée dans un appartement qu'elle occupait à proximité de l'ambassade américaine à Ottawa. Elle avait été repérée en raison de ses contacts répétés avec des gens des MEK. Le 3 avril 2000, elle fut renvoyée aux États-Unis et interceptée par les services de l'Immigration alertés par leurs confrères canadiens.

C'est dans ce contexte qu'Ashcroft avait pris la défense de Mahnaz. Or, cette dernière avait un lourd passé. Déposant sa demande d'asile aux États-Unis, elle avait produit une fausse déclaration et omis de signaler les relations qu'elle entretenait avec les Moujahidine. Pourtant, dans l'Organisation, elle portait le grade de commandant. En outre, elle avait été responsable de l'entraînement militaire des femmes au camp d'Achraf.

Plus grave, selon Mahan Abedin du «  Lebanon daily star, » elle aurait servi comme officier de liaison entre les MEK et les services de renseignements irakiens sous Saddam Hussein. Difficile d'inclure de telles activités dans la biographie d'une pacifiste militante des droits de l'homme.

Ashcroft ignorait-il les liens entre l'iranienne et les MEK?

Michael Isikoff, dans « Newsweek, » ne semble pas le croire. Il écrit qu'Ali Reza Jafarzadeh, le représentant des MEK aux États-Unis, se vante « d'avoir eu plusieurs rencontres avec Ashcroft » à propos du cas de Mahnaz.

Aschroft n'est pas seul à être monté au créneau dans l'affaire. En juin 2000, 62 membres du Congrès ont à leur tour envoyé une lettre au département de la Justice pour soutenir la jeune femme.

La mobilisation d'élus américains en faveur de Mahnaz n'est pas un cas isolé. Dans son édition du 12 novembre de la même année, par exemple, le «  Washington Post » citait une lettre signée par 225 membres du Congrès des Etats-Unis afin de soutenir les MEK, car « cela peut contribuer à la promotion de la paix, des droits de l'homme et de la stabilité dans cette partie du monde, » disait le document. Au mois de mars 2001, 31 Sénateurs effectuaient la même démarche. Point remarquable, Sénateurs et membres du Congrès appartenaient aussi bien au camp des Démocrates qu'à celui des Républicains.

L'Amérique soutiendrait-elle les Moujahidine?

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Poussant mes recherches auprès des structures étatiques américaines, je trouve une étude sur les Moujahidine,enregistrée à la bibliothèque du Congrès sous le numéro M-U 42953-1 no.92-824F. Une première date apparaît, novembre 1992. Néanmoins, dès la première ligne, on voit le document associé à l'année fiscale 1994-1995.

En outre il était adressé à l'Honorable Lee H. Hamilton, Président du Comité de la Chambre des Représentants, en d'autres termes, le Congrès.

On lit en lettre d'introduction: « ... j'ai le plaisir de vous soumettre, de la part du secrétaire d'État, le rapport « Moujahidine du Peuple d'Iran... » Nous voulons être clairs, nos conclusions sur les Moujahidine n'impliquent en rien que nous soutenions le comportement de l'actuel régime iranien. Comme vous le savez, au cours des années, la politique des États-Unis à l'égard de l'Iran a été basée sur des principes invariables: l'Iran ne doit pas bénéficier de relations normales d'État à État avec les autres pays aussi longtemps qu'il pratique des méthodes n'entrant pas dans le cadre généralement reconnu comme celui dans lequel la conduite d'un gouvernement doit s'inscrire... »

Précédé du sous titre « Executive summary, » on peut lire: « ... Les Moujahidine ont collaboré avec l'Ayatollah Khomeyni pour détrôner le Chah d'Iran. Au cours des affrontements, ils ont assassiné au moins six citoyens américains, soutenu la prise de l'Ambassade des États-Unis et se sont opposés à la libération des otages américains... »

Plus loin: « ... Après la prise de l'Ambassade, les Moujahidine ont participé matériellement à l'action sur le site, intervenant dans la garde et la défense des lieux contre toutes tentatives de libération... »

A propos des activités militaires conduites par les MEK en Iran depuis la Révolution iranienne, à titre d'exemples, le texte proclame: « …Le 12 octobre 1992, les Moujahidine ont revendiqué l'explosion de bombes sur la tombe de Khomeyni, un endroit situé à seize kilomètres au sud de Téhéran et visité chaque jour par des milliers d'Iraniens... » Plus loin: « Plusieurs de ces opérations décrites par les Moujahidine, incluent clairement des cibles civiles, comme des automobiles, des autoroutes, des bâtiments gouvernementauux ouverts au public, des lieux consacrés aux affaires et des résidences privées... »

Le rapport passe ensuite aux attaques menées par les Moujahidine en Occident. « ... Les incidents les plus spectaculaires ont eu lieu le 5 avril 1992, quand une vague d'attaques coordonnées des membres des Moujahidine s'est déchaînée contre les missions diplomatiques iraniennes à New York, au Canada, en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne, en Suisse, aux Pays-Bas, au Danemark, en Suède, en Norvège et en Australie. A New York, d'après une dépêche de presse. « Cinq hommes armés de couteaux ont envahi la mission iranienne auprès des Nations-unies et pris trois otages... » Le 16 juillet 1992, « La Voix du Moujahid » (NdT: la radio des MEK) rapportait une attaque des MEK contre l'automobile qui transportait Velayati, le ministre iranien des Affaires étrangères, en déplacement à Postdam. Des attaques semblables se sont déroulées dans d'autres pays européens depuis 1991, dont la France, l'Italie et la Suisse... »

Le rapport fait aussi mention des attaques dont les MEK ont été victimes de la part des autorités iraniennes. « En 1990, par exemple, le frère de (Massoud) Rajavi, Kazem Rajavi, a été assassiné à Genève. Trois ans plus tard, le gouvernement iranien exécutait le responsable du bureau des Moujahidine à Rome: le 16 mars 1993, Mohammad Hussein Naqdi a été tué par deux hommes montés sur un scooter... »

Dans le paragraphe sous-titré « Structure, » l'auteur du rapport a écrit: « ... Dans une large mesure le style autocratique des prises de décision de la direction et le culte de la personnalité en vogue parmi les membres - deux constantes définissant le fonctionnement de l'organisation - se sont combinés pour causer le rejet des Moujahidine par là plupart des Iraniens. Ces derniers craignent que l'alternative des MEK soit semblable, voire pire, que celle du régime religieux actuellement au pouvoir.... »

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CHAPITRE 25
Terroristes ou résistants


Me ramenant en France, le Fokker tressaute au creux des trous d'air. Sous nos pieds, le sillage des navires déchire la mer. Tous ces bateaux, ces avions, ces liaisons radios, téléphoniques, Internet et autres sont extraordinaires. Mais tellement fragiles aussi. Notre confort, notre vie même, apparaissent de plus en plus menacés par des groupes terroristes dont la volonté de nuisance peut à n'importe quel moment nous atteindre.

Faut-il inclure les Moujahidine du Peuple d'Iran, ou Moujahidine-e-Khalq, dans cette catégorie? Au gré de mon enquête, mon opinion, peu à peu, a émergé. Est-ce dans la nuit, à Téhéran, face à l'Elbourz, que la vérité s'est imposée à mes yeux? Ou serait-ce au détour d'une phrase, face à la souffrance plus vive exprimée par l'un des anciens Moujahidine que ma conviction s'est ancrée? Je ne saurais dire, mais je crois l'assaut répété des témoignages, à force de converger vers l'horreur, avoir fini par me convaincre. Au point de m'interdire de préférer les MEK à un régime, celui de Téhéran, dont je ne saurais pourtant approuver les dérives.

Je ne suis pas seul. Le 2 mai 2002, le Conseil de l'Union européenne a inscrit les Moujahidine sur sa liste des organisations répondant à la qualification terroriste. Comme je l'ai déjà dit, en octobre 1997, les États-Unis avaient agi de même. Le 15 août 2003, ils ont même amendé leur décision, ajoutant les autres désignations des Moujahidine, comme « Conseil National de la Résistance, » à la liste infamante. Enfin, au jour où nous écrivons ces lignes, nous attendons encore la décision du juge Bruguière chargé de l'enquête sur Maryam et ses affidés.

On voit pourtant les États-Unis et les capitales européennes se comporter de manière ambiguë à l'égard des Moujahidine. Si d'un côté ils les condamnent, de l'autre ils les laissent libres d'agir. Massoud et Maryam Rajavi se déclarant ennemis jurés de l'Iran, les gouvernements occidentaux hésitent à vouer leur mouvement aux gémonies. Les erreurs et les fautes du régime iranien y sont pour quelque chose. Les Moujahidine jouent habilement de cela. Pour ceux qui rêvent de la disparition de la République islamique sous les coups des Moujahidine, il y aurait donc un « mauvais terrorisme, » quand il est dirigé contre eux, et un « bon terrorisme » lorsqu'il touche leurs adversaires.

On voit les contradictions, les démissions morales même, auxquelles une telle vision pourrait conduire.

Il faut l'admettre, tactique de combat, le terrorisme n'a pas de parti mais peut être utilisé par tous les partis. Partout, son usage apparaît inhumain car les terroristes violent les limites de la morale en touchant les plus faibles. Il est une forme de guerre à outrance en temps de paix. Admettre l'existence d'un bon terrorisme, celui dont l'adversaire est victime, cela revient à justifier tous les terrorismes et, un jour, à en subir soi-même les effets.

L'espèce humaine, croyons-nous, aura fait un progrès considérable, le jour où, d'un commun accord, elle interdira tout recours au terrorisme. Comme elle l'a décrété, mais incomplètement appliqué, pour les gaz de combat. Souvenons-nous, en dépit de la brutalité de l'affrontement, retenant la leçon du précédent conflit, les deux camps de la seconde Guerre mondiale se sont interdit l'utilisation de cette arme.

Nous voyons aujourd'hui dans quelle folie collective pourrait nous entraîner le terrorisme. Il faut à la communauté des nations l'interdire comme le fut le sarin ou l'ypérite. I1 ne faut pas de double langage en la matière. Cela vaut pour tous les pays, de l'Orient à l'Occident.
Sur un autre plan que la menace terroriste, reste la question de l'avenir des membres des Moujahidine. Aujourd'hui retenus pour la majorité en Irak, cloîtrés dans la commune française d'Auvers-sur-Oise pour d'autres, ils représentent un problème humain.

Sans même parler du terrorisme, certains d'entre eux ont commis des crimes et délits contre leurs propres camarades. Ils ont retenu des hommes et des femmes contre leur gré, les ont frappés, torturés, parfois même assassinés. Ils ont séparé des enfants de leurs parents, brisé des familles, provoqué des drames insoutenables.

Il faut, à notre sens, d'abord neutraliser les Moujahidine. Ensuite punir les plus coupables d'entre eux. Puis, les considérant aussi comme des victimes, aider tous les membres à retrouver un équilibre par un accompagnement psychologique.

Pour cela, il faut casser l'esprit de groupe, séparer les Moujahidine les uns des autres. Sinon, passés maîtres en manipulation, Massoud Rajavi, comme il le fit dans les prisons du Chah, et Maryam à ses côtés, reprendront de l'ascendant sur leurs troupes et les conduiront vers de nouvelles aventures.

Or, au cours de leurs conférences en Irak, sous Saddam, ils l'ont dit. Si nous osions les jeter en prison ou faire la chasse à leur mouvement, ils ordonnaient à leurs membres de lancer une campagne terroriste contre ceux qui, en Occident, avaient dénoncé leurs abus. A la vue de leur curriculum vitae, cela ne nous paraît pas de vaines paroles.

 

 
Alain Chevalérias
 BRÛLÉ VIF
Au nom de Marx et de Mahomet
Enquête sur les Moujahidine du Peuple d'Iran
 
Centre de recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 
ISBN 2-9522978-0-0
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NB: Les Moujahidine du peuple d'Iran sont connus aussi sous le nom de Moujahidine-e-Khalq (MEK) ou (MKO), voir aussi Moudjahidine du peuple

Alain Chevalérias est aussi l'auteur de :

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