____________________________________________________________________________________________________________
Pages choisies:
CHAPITRE
1
Immolations
par le feu
Nous sommes le mercredi 18 juin
2003 à Paris. Rue Nélaton, dans le 15ème
arrondissement, quelques dizaines d'individus manifestent devant
les bureaux du ministère de l'Intérieur. Leur teint
mat trahit leur origine orientale. Scandant des slogans indistincts,
ils brandissent des drapeaux et de grandes photos d'une femme
souriante. Sans s'en préoccuper, pour la plupart en civil,
des fonctionnaires de police gravissent les marches du bâtiment
pour se rendre à leur travail. Les montres vont afficher
9 heures 25 sur leur cadran. Il fait déjà chaud.
Soudain, un hurlement déchire
l'air. Un peu plus loin, devant la ligne du métro aérien,
une silhouette enveloppée de flammes se débat.
Un homme court vers elle. Des policiers interviennent. Trop tard.
Noirci, monstrueux, le corps gît sur le sol agité
de soubresauts. Les manifestants connaissent la victime. Elle
est iranienne. Du même pays qu'eux. Âgée de
42 ans, elle s'appelle Marzieh Babakhani. Elle voulait
s'immoler par le feu pour obtenir la libération
de la femme dont l'image flotte au-dessus de la petite foule
assemblée, à quelques pas, devant le ministère
de l'Intérieur.
Transportée d'urgence à
l'hôpital Cochin, la blessée rendra l'âme
dans la soirée.
A la mi-journée, une autre
jeune femme, après s'être aspergée d'essence,
se transforme en torche humaine au même endroit. Elle répond
au nom de Sedighieh Mohageri et comptait 38 printemps.
Plus tard dans l'après-midi, Mohammad Vakili-Fard,
un homme de 46 ans, répète le geste fatal. Une
épidémie de suicides par le feu semble gagner la
planète: le jour même, un homme à Bern; la
veille et le lendemain, quatre à Londres; deux encore
à Rome et un autre à Ottawa. Message sans ambiguïté,
à chaque fois, pour se donner la mort, les victimes ont
choisi la proximité d'une ambassade de France.
La cause de cette passion mortifère
s'appelle Maryam Rajavi. Avec son mari, Massoud Rajavi,
elle dirige les Moujahidine-e-Khalq, ou Moujahidine du
Peuple, un mouvement d'opposition au régime islamiste
au pouvoir en Iran. Les suicides ont pour objet d'obtenir la
libération de Maryam, arrêtée par les autorités
françaises. Le 17 juin aux aurores, le juge Jean-Louis
Bruguière a lui-même conduit l'opération
à la tête de plusieurs centaines de policiers. Ils
ont effectué un raid sur la résidence des MEK,
à Auvers-sur-Oise, dans la région parisienne.
Près de deux cents Moujahidine ont été
incarcérés avec Maryam.
Pour Pierre de Bousquet de Florian,
le directeur de la DST, la décision prise par les
autorités est justifiée. « Il y avait
un danger pour notre pays et nos concitoyens,déclarait-il
au cours d'un point de presse organisé le 18 juin, il
était tout à fait temps d'intervenir. »
Ali Safavi,
porte-parole des Moujahidine, qualifie « de complètement
faux » les propos du patron de la DST.
En 22 ans de présence en France, clame-t-il, « toutes
nos activités ont été pacifiques et respectueuses
des lois européennes. »
L'élargissement de Maryam
et de ses compagnons, le 3 juillet, semble donner raison à
Ali Safavi. Certes, elle doit verser une caution de 80 000
euros et reste en examen, mais laisse-t-on en liberté
un danger public, fût-ce contre rançon?
Il est vrai encore, on imagine mal
l'égérie des Moujahidine dans la peau d'un
chef de bande terroriste. Arrivant à Auvers-sur-Oise à
sa sortie de la prison de Fleury-Mérogis, on la
voit en tailleur et foulard roses répondre avec sollicitude
aux ovations de ses partisans. Engageant sa réputation,
Jean-Pierre Bequet, le maire socialiste d'Auvers vient
même l'accueillir.
Ce n'est pas le seul soutien français
de Maryam. Outre de nombreux députés et
sénateurs de notre pays, elle compte parmi ses amis Danièle
Mitterrand. A sa sortie de prison, dans le discours dédié
à ses partisans, elle remercie les personnes qui sont
intervenues en sa faveur. En premier lieu, la veuve du Président
socialiste « qui a démontré la grandeur,
la conscience et les plus nobles valeurs de la France et de la
Résistance française... C'est comme si Madame
Mitterrand avait amené ici avec elle le général
De Gaulle, le chef de la Résistance contre le fascisme
en France, et feu le président Mitterrand... » Image
osée, tant l'on imagine mal De Gaulle et Mitterrand
unis par un même sentiment. Mais comment ne pas se laisser
séduire par tant de fraîcheur?
Cependant, tout n'est pas aussi rose
que le tailleur de Maryam dans cette affaire. Au cours
des perquisitions, les policiers ont saisi pour huit millions
de dollars en billets. Les Moujahidine ne peuvent pas expliquer
l'origine de cet argent. Et puis, il y a ces suicides par le
feu.
Certes, depuis les locaux de la DST
où on la tenait en garde à vue, Maryam a invité
ses supporters à cesser ces immolations. Des actes
par ailleurs dommageables pour son image de marque auprès
de l'opinion française. Cependant, le synchronisme
et l'ubiquité de ces sacrifices humains obligent à
penser à l'existence d'un chef d'orchestre.
Les autorités françaises
le pensent aussi. Confirmant leurs soupçons, dans la nuit
du 20 au 21 juin, elles ont arrêté deux Iraniens.
Des membres des Moujahidine. Elles les ont mis en examen
pour « provocation au suicide.» Âgés
de 47 et 51 ans, les deux hommes ont été filmés
par une caméra de surveillance achetant huit litres
d'essence dans un bidon. Ceci quelques dizaines de minutes
avant l'immolation de Sedighieh Mohageri, la seconde victime
de la rue Nélaton.
En ce mois de juin 2003, je
n'avais qu'une vague connaissance de cette affaire. D'autres
auraient pu susciter mon intérêt. Je sentais pourtant
celle-là portée par des mystères étonnants
pour l'Occident. Comme on choisit un roman réagissant
à son titre ou à l'image de couverture, je décidai
de consacrer quelque temps à une enquête sur
les Moujahidine-e-Khalq.
Page 17
CHAPITRE
3
Naissance des
Moujahidine-e-Khalq
Reza Qaremi
aime raconter. II est intarissable:
« Je suis né en 1951 à Jahrom,
dans le sud de l'Iran, commence-t-il, mon père
et ma mère militaient activement pour les MEK. Saied
Mohsen, l'un des fondateurs de l'Organisation, venait parfois
de Chiraz, où il habitait, pour passer chez nous
le week-end. Régnait alors une ambiance de contestation
permanente contre la monarchie. Deux tendances antigouvernementales
coexistaient: l'une marxiste, l'autre islamiste.
Les Moudjahidine ont fait une synthèse des deux
idéologies.
L'initiative de leur création
remonte à 1965, quand trois étudiants et
universitaires décidèrent de se donner une structure
militante.Outre Saied Mohsen, il y avait Mohammad Hanif-Nezhad
et Abdelreza Nikchbin dit Abdi. Ce dernier, très
actif, professait une ligne marxiste. Il voyait une science
dans la dialectique communiste. Il a abandonné
ses activités politiques trois ou quatre ans plus tard.
Voilà pourquoi on ne trouve plus son nom nulle part. »
Je le coupe:
« J'ai lu d'autres noms de
créateurs des MEK dans les documents dont j'ai pris connaissance.
- Oui, mais ils ont rejoint le noyau initial un peu plus tard.
Ali Asghar Badi Zadegan fut le premier. D'autres ont suivi,
comme Mahmoud Asgarizadeh, Rasoul Meshkinfam et
Ahmad Rezai. Le plus jeune s'appelait Lotfollah Meisami.
- Le marxisme rejette toutes les religions. Comment les
MEK parvenaient-ils à l'amalgamer avec l'islam
pour en faire une idéologie cohérente?
- Ils affirmaient trouver dans le marxisme des points de dogme
révélés autrefois dans le Noble Coran.
- Quoi par exemple?
- En ce qui concerne le Coran, je ne me souviens pas.
Mais, vous savez que nous, chiites, nous attribuons une grande
importance à l'Imam Ali, paix sur lui. Or notre
Imam disait: « Ce que vous avez en trop, donnez-le aux
pauvres. » Il aurait même déclaré un
jour: « Quand je vois la maison d'un riche, je vois aussi
les maisons détruites. » Ce qui revient à
dire que la richesse se construit toujours aux dépens
d'autrui.
- C'est quand même un peu court pour assurer la
fusion entre islamisme et marxisme. Et puis, j'ai
cru comprendre qu'en Iran, à la même époque,
une forte tension existait déjà entre les tenants
de ces deux idéologies.
- En réalité, c'était une tromperie de la
part des Moujahidine. Les responsables de l'organisation
nous recommandait de «prendre la chair du marxisme et
la peau de la religion. De cacher notre allégeance au
marxisme sous le masque de l'islam... »
Ou l'inverse. Je reconnais là
l'influence de la pensée iranienne faite de croyances
à doubles entrées. Cependant, m'aventurant sur
ce terrain, je crains des considérations philosophiques
m'écartant de mon enquête. Je veux d'abord du concret.
Je continue:
« Vous ne m'avez pas parlé de Massoud Rajavi.
-Je ne l'ai jamais rencontré, mais je connais bien son
histoire. Fils d'un haut fonctionnaire de l'état civil,
il est né en 1948 à Tabas, dans la province du
Khorassan. Sa famille était à l'aise. Sur
les cinq enfants, quatre ont poursuivi des études à
l'étranger. A Machad, où ils vivaient, Massoud
a pris goût à l'idéologie religieuse militante
en suivant des conférences dans la ligne d'Ali Chariati...
»
Ali Chariati.
Nul ne peut s'intéresser à l'Iran sans tomber
sur ce personnage peu connu en Occident. Cet idéologue
a pourtant poursuivi une partie de ses études à
la Sorbonne et marqué de sa pensée les courants
d'opposition à la monarchie. Animé par une vision
révolutionnaire, il appelait à l'éveil de
la conscience sociale et à la « renaissance de
l'indépendance culturelle face à l'agression culturelle
occidentale. » Il dénonçait le manque
de réflexion des masses et le besoin de foi religieuse
des intellectuels.
Né en 1933, enseignant
à Téhéran, il est décédé
le 19 juin 1977, trois semaines après son arrivée
en Angleterre où il était parti en exil. Emprisonné
à plusieurs reprises sous le Chah d'Iran, on croit encore
sa mort causée par la SAVAK, le service de renseignement
de la monarchie.
Mon interlocuteur continue:
« Massoud est arrivé à Téhéran
au début des années 60 pour poursuivre des études
de droit à l'Université. Il a rejoint l'Organisation
en 1966 et, rapidement, en est devenu l'un des idéologues
avec Ahmad Rezai. Ils appartenaient à un groupe
de 16 personnes chargées de réfléchir à
l'orientation stratégique de l'Organisation. Il a alors
abandonné ses études et est entré dans la
clandestinité. Il vivait dans des caches secrètes.
- Et vous, pendant ce temps, que faisiez-vous?
-Je rendais des services à l'Organisation. Je louais pour
eux des maisons et je transportais des messages. Il m'arrivait
d'avoir une arme et d'utiliser de faux papiers pour me déplacer
à travers le pays.
- Vos parents ne s'inquiétaient
pas de telles activités?
- Mon père collaborait depuis
longtemps avec l'Organisation. Il lui donnait même de l'argent.
Lui et ma mère trouvaient normal de finir un jour en martyr.
L'un d'entre nous, Nasser Sadeq, a dit devant les tribunaux
du Chah: « Notre idéologie, c'est la mort, c'est
le martyr. »
-Et vous ne trouvez pas cela terrible? »
Un silence s'établit entre
nous. Je remarque alors la nervosité de Reza Qaremi. Son
regard se perd quelques instants dans le vague. Il revient désemparé.
Presque à mi-voix, il confesse:
« C'est notre culture...
Il continue, à nouveau volubile:
- A la fin de l'année 1972, j'ai été mis
en contact avec un Palestinien du Fatah de Yasser Arafat.
Nous avions des relations avec son organisation. Je lui remettais
des renseignements sur les installations militaires iraniennes.
-Pourquoi les Palestiniens avaient-ils besoin de ces renseignements?
-Je ne me posais pas la question mais, aujourd'hui, je pense
qu'ils les communiquaient aux Soviétiques.
- Combien de temps avez-vous fourni des documents aux gens d'Arafat?
- Plusieurs mois. J'ai été arrêté
en mai 1973 et torturé. On me bloquait les
pieds à l'aide d'une corde, et on frappait sur la plante
jusqu'à ce que je parle. La SAVAK appelait cela
la « torture miraculeuse, » parce que personne
n'y résiste... »
La main de Reza Qaremi serre
l'accoudoir du fauteuil pour ne pas trembler. « Excusez-moi,
lui dis-je en persan. » Il me montre ses pieds.
Ils sont restés déformés à vie.
On voit là toute la dureté de la guerre secrète
entre les services du Chah et les opposants à son
régime.
Je laisse finir Reza Qaremi:
« A ma sortie de prison, l'Organisation m'a demandé
de reprendre mes activités avec les Moujahidine. J'ai
refusé. Alors, au moment de la Révolution islamique,
en 1979, quand ils étaient proches de l'Imam Khomeiny,
ils m'ont fait juger pour collaboration avec les services
du Chah. »
Les MEK collaborant avec le régime islamiste! Voilà
un sujet que je me promets d'explorer.
Mais il est tard. La nuit tombe sur
la rousseur automnale du parc, qui cerne l'hôtel. En ce
mois de Ramadan, c'est le signe attendu par les musulmans
pour boire et prendre leur premier repas depuis le lever du jour.
En pareil moment, la courtoisie veut de laisser un mahométan
satisfaire son appétit. Nous nous quittons. Sur le pas
de la porte, Reza Qaremi me serre la main avec force.
Puis, relâchant la pression, il hésite un instant
et me fixe dans les yeux pour articuler:
« Dites tout. Vous savez les Iraniens n'ont pas
mérité toutes ces souffrances... »
*
**
Page63
CHAPITRE
8
LE MARIAGE
IMPOSSIBLE DE RAJAVI ET BANI SADR
Page 68
En ce soir de novembre, Versailles,
déjà dans l'obscurité, ressemble à
un univers de cauchemar. Personne dans les rues. Les phares des
voitures passent à grande allure sur l'avenue des États-Unis.
Un crachin agressif me cingle le visage. Étrange comme
on se sent seul dans ces banlieues. Je presse le pas. Mes amis
des télévisions arabes m'ont encore dépanné
en me donnant le numéro de téléphone de
Aboul Hassan Bani Sadr. « Tu verras, m'a dit un
Libanais, on dirait le château de la Belle au Bois
Dormant. »
De fait, grande maison de style se
fondant dans l'ombre, avec ses toits pointus et ses volets clos,
la demeure de l'ancien Président iranien semble enveloppée
de mystère. On passe une lourde porte de fer, grinçant
comme dans un film pour effrayer les âmes sensibles. Le
concierge, un jeune Iranien, me fait patienter dans un baraquement
aux fonctions de poste de garde. Puis il m'introduit auprès
du maître de céans.
Je pénètre dans une
grande salle d'une centaine de mètres carrés. Vide,
à part deux canapés à un bout, et à
un autre deux chaises frileusement serrées autour d'un
poêle à bois. Le plafond est si haut, que la pièce
reste froide et humide. Bani Sadr donne juste congé
à un universitaire italien venu poser quelques questions
sur l'Iran. Il a conservé ce rictus qui lui donne
l'air de toujours retenir son rire. Comme son ombre, son
assistant, un homme frisant la cinquantaine, demeure dans la
pièce pendant tout l'entretien. Les formules de politesse
échangées, j'attaque:
«Comment êtes-vous devenu Président de la
République islamique?
Se mettant à l'aise, il croise les jambes. Le sujet lui
plaît.
- J'étais en France en exil, comme Monsieur
Khomeyni. A l'époque, j'ai rédigé un
document qui est devenu le discours officiel de la Révolution.
Dans ce dernier, je m'attachais à réconcilier les
approches marxistes, islamistes et libérales des
principales tendances.
- Libérales, que voulez-vous dire par là?
-Je parle de ceux qui privilégiaient la notion de liberté
économique sur l'indépendance, les avancées
sociales ou les valeurs islamiques. Je suis arrivé
en Iran en même temps que Monsieur Khomeyni, le
1er février 1979. II m'a présenté
comme le débatteur et défenseur de la Révolution
face aux marxistes et aux Moujahidine de Massoud Rajavi.
Je me suis alors beaucoup déplacé à travers
l'Iran pour répandre mes idées de liberté.
Lors des élections de l'Assemblée constituante,
au mois d'août, j'ai été élu en deuxième
position, derrière Monsieur Taleghani. En janvier
1980, le peuple iranien m'a élevé au rang de Président
de la République avec 76% des suffrages exprimés...
»
Étonnant ce terme de "Monsieur"
précédant les noms de dignitaires religieux
comme Khomeyni et Taleghani. En outre si les hommes politiques
jouissent souvent d'une mémoire sélective,
Bani Sadr n'échappe pas à la règle.
Il oublie de dire qu'il doit son mandat à l'approbation
de l'Imam Khomeyni. En ces temps révolutionnaires,
l'écrasante majorité de la population iranienne
soutenait l'ancien exilé et adversaire du Chah.
Nul n'aurait pu se faire élire à d'aussi hautes
responsabilités sans son appui. Mais, je ne suis pas ici
pour refaire la Révolution iranienne.
A mes yeux, comme il existe une licence poétique, pour
la quête de la vérité, nous avons le droit,
dans notre métier, à une « licence journalistique
» nous accordant le privilège de l'insolence devant
les plus grands. En usant, je coupe l'ancien Président
de l'Iran dans ses considérations d'ordre personnel sur
sa légitimité populaire:
« Aviez-vous déjà des relations avec les
Moujahidine-e-Khalq?
- Non. C'est beaucoup plus tard que Massoud Rajavi a pris contact
avec moi. A mon arrivée en Iran, je lui avais proposé
de débattre sur le terrain idéologique, mais il
avait refusé.
- Pourquoi?
-Je pense qu'il ne se sentait pas en mesure de se défendre
et de présenter des arguments convaincants.
- Une fois Président, vos relations avec l'Imam Khomeyni
se sont rapidement détériorées. Vous êtes
aussi entré en conflit avec M. Rajaï, le Premier
ministre nommé par le Parlement. Aviez-vous déjà
des relations avec les MEK avant les manifestations du
30 de Khourdad (20 juin 1981) et votre destitution par
le Parlement le 21 juin?
- Après le coup d'État contre la Présidence
de la République, je me suis enfui chez des amis de Monsieur
Dariush Forouhar, chef du Parti du Peuple iranien et lui-même
ancien ministre post révolutionnaire. C'est là
que deux des émissaires de Massoud Rajavi sont venus me
voir... »
(Je ne peux m'empêcher d'avoir
une pensée pour Dariush Forouhar. Je l'avais rencontré
en 1995 lors d'un voyage en Iran. Homme chaleureux, la moustache
dressée en pointes, il défendait avec énergie
l'héritage national de son pays. En novembre 1998,
il a été tué à son domicile,
avec sa femme Parvaneh. Personne n'a été
inculpé et l'opinion internationale attribue ces assassinats
aux autorités iraniennes.)
Ne se rendant pas compte de mon absence d'un moment, Bani
Sadr continue:
« Les hommes de Rajavi sont revenus un jour après
l'attentat du 28 juin contre le siège du Parti
de la République Islamique. Je leur ai dit avoir l'intention
de rédiger un communiqué pour dénoncer cette
action terroriste. Ils m'ont assuré ne rien à voir
avec celle-ci.
- Qui vous parlait?
-Il y avait le frère de Maryam Rajavi, Mahmoud
Azodanlou, et Abbas Dawali. Ils ont proposé
de m'emmener dans une de leurs caches pour assurer ma
sécurité. J'ai accepté...
Je n'en dis mot, la polémique étant inutile, mais
Samad Nazary, à Sari, avait évoqué
une relation entre les MEK et Bani Sadr
avant le renversement de ce dernier par le Parlement.
-Je me suis retrouvé dans un bâtiment d'un étage,continue
Bani Sadr, j'ai été installé au premier
où j'ai compté quatre pièces et une salle
de bain. En cas de nécessité, nous disposions d'une
sortie secrète pour nous échapper. J'ai découvert
que la femme de Rajavi, Achraf, se cachait
dans la même maison.
- Vous voulez dire sa première femme, qui a été
tuée depuis.
- Oui. Un jour, Rajavi est venu me parler. Il m'a suggéré
de quitter l'Iran avec lui. J'ai d'abord dit, «
Je suis le Président de l'Iran. J'ai des devoirs.
Si le peuple participe aux prochaines élections présidentielles,
je reste. Sinon, je pars avec vous. » Le 24 juillet, dans
l'ensemble de l'Iran, deux millions et demi de personnes
ont voté, sur une population de quarante millions. Alors
j'ai dit à Rajavi, « Nous pouvons partir.
» A Paris, à la descente de l'avion, j'ai déclaré
à un journaliste de la BBC avoir « quitté
l'Iran pour dénoncer les relations organiques entre le
khomeynisme et le reaganisme... »
Comprenne qui pourra.
- Aviez-vous demandé des garanties à Rajavi?
- Avant notre départ, j'avais conclu un pacte écrit
avec Rajavi. Il reposait sur trois principes: pluralisme politique,
liberté des individus et indépendance nationale.
Pour chacun de ces trois points, j'avais donné des définitions
précises... »
Sur ces mots, le téléphone sonne. Bani Sadr s'éclipse
quelques instants.
Les images de son départ défilent
dans ma tête. Grâce à des complices, le 28
juillet, Rajavi et lui s'étaient introduits
déguisés sur l'aéroport militaire de Téhéran.
Ils ont embarqué à bord d'un avion de transport
de carburant destiné au ravitaillement des chasseurs F14
de l'aviation iranienne. Le colonel Behzad Moezi était
aux commandes. Ancien pilote personnel du Chah, la Révolution
l'avait rétrogradé à des fonctions
qu'il jugeait humiliantes. En l'air, l'aéronef dévia
de l'itinéraire de sa mission officielle, traversa la
frontière et se dirigea vers la France.
Immédiatement, les fugitifs
obtinrent l'asile politique. François Mitterrand
présidait alors aux destinées de l'Hexagone.
Sa femme, Danièle, a sans doute joué un
rôle dans cette prise de décision. On la connaît
pour son soutien à tous ceux qui, devant elle, se réclament
du marxisme. Les fuyards s'installèrent à Auvers-sur-Oise
sous la protection des autorités françaises.
Rajavi avait bien joué. Deux jours plus tard, trahissant
la préparation minutieuse de l'opération, il créait
le CNR (Conseil National de la Résistance), dont
Bani Sadr, en raison de sa position d'ancien Président
de la République, constituait l'un des piliers.
L'autre était représenté par le PDKI
(Parti Démocratique Kurde d'Iran).
Parmi les membres, figuraient aussi quelques personnalités
indépendantes de renom opposées au régime
de Khomeyni, comme le docteur Mansour Farhang,
Bahman Niroomand, Mehdi Khanbaba et le docteur
Nasser Pakdaman.
Une question me brûle les lèvres.
Quand Bani Sadr revient, je la lui lance:
« N'était-ce quand même pas risqué
de vous embarquer dans cette affaire sans savoir ce qui vous
attendait à l'étranger?
Les yeux de mon interlocuteur vacillent derrière ses lourdes
lunettes.
- Il me fallait accepter l'épreuve, comme un devoir
religieux. Vous espérez réussir, mais vous savez
pouvoir échouer. J'ai dit à Rajavi: « Avec
Khomeyni, je n'ai pas fait de contrat, parce que c'est
un chef religieux. Il était supposé respecter
ses engagements, mais il ne l'a pas fait. Vous concernant, je
sais votre idéologie basée sur la prise
du pouvoir et l'instauration d'un système absolutiste.
Si vous changez pour prendre la bonne direction, celle de la
liberté, tant mieux. Votre organisation sera alors
bénéfique pour la démocratie iranienne.
Par contre, si vous déviez de cette voie, je vous
dénoncerai. »
- Vous avez quand même collaboré presque
trois ans avec lui...
- Deux ans et quelques mois, en fait.
- Officiellement vous avez rompu avec lui le 24 mars
1983. Entre-temps, cependant, votre fille a épousé
Massoud Rajavi. On a l'impression d'un pacte, comme autrefois
les alliances entre seigneurs féodaux cimentées
par les épousailles de leurs enfants. Que signifiait ce
mariage à vos yeux?
- C'est ma fille, Firouzeh, qui a décidé
de contracter cette union. J'étais contre pour
plusieurs raisons. D'abord, je ne crois pas qu'il soit souhaitable
de mêler politique et relations intimes.
Ensuite, je sais comment Rajavi pratique: il parle
jusqu'à étourdir la personne qu'il a
en face de lui et, de guerre lasse, obtient ainsi son accord.
Enfin, j'ai expliqué à ma fille: « nous menons
une expérience avec Rajavi. Nous ne savons pas s'il va
respecter son contrat. » Elle m'a répondu vouloir
renouveler ce pacte avec lui. Alors j'ai dû m'incliner
devant sa volonté et respecter son indépendance.
- Quand le mariage a-t-il eu lieu?
- Je me perds un peu dans les dates. Cela devait se passer plus
d'un an avant notre rupture. C'était quelques temps après
le décès de sa première femme, Achraf.
Je me souviens, je le lui ai fait remarqué. Il m'a
répondu, « L'Imam Ali s'est remarié immédiatement
après la mort de son épouse Fatima. »
Nous étions à quelques jours du Nao Rouz, le nouvel
an iranien, peu avant le 21 mars 1982 par conséquent.
»
Bani Sadr échange quelques
phrases avec son assistant pour retrouver les dates. Je me remémore
les événements. Quittant l'Iran le 28 juillet 1981,
Massoud Rajavi avait laissé sa femme, Achraf
Rabii, derrière lui. Le 8 février 1982,
elle était tuée dans un affrontement armé
avec les forces de sécurité iraniennes en compagnie
de Moussa Khiabani, chef des MEK à l'intérieur
de l'Iran. Lui, à peine veuf, planifiait
ses nouvelles noces.
Bani Sadr
relance notre dialogue:
« Vous pouvez écrire mars 1982 pour la date
du mariage.
- Quand ont-ils divorcé?
- A la fin de l'année 1984.
-Pourquoi?
- Une nuit, elle m'a téléphoné
en pleurant. « Massoud veut m'emmener avec lui
en Irak, a-t-elle déclaré, si je ne veux pas
partir, il m'invite à divorcer. Que dois-je faire? »
Je lui ai répondu. « A toi de décider, mais
si tu veux respecter ton engagement, tu dois divorcer.
» Ce qu'elle a fait.
- Donc les contacts avec l'Irak précèdent
de peu leur divorce.
- Pas du tout, ils sont bien plus anciens. Tout a commencé
début 1983. C'est même la cause de notre rupture,
entre lui et moi. Aux environs du mois de janvier, j'ai reçu
un appel d' Edgard Pisani, un notable français
ancien ministre du Général De Gaulle. «
Êtes-vous d'accord pour rencontrer Monsieur Tarek
Aziz? » m'a-t-il demandé. Tarek Aziz
occupait les fonctions de ministre de Saddam Hussein.
Comment vouliez-vous que j'acceptasse? Je me considère
comme une victime de l'Irak. La guerre, déclenchée
en 1980 par ce pays, a permis aux hommes de Monsieur Khomeyni
de réaliser le coup d'État qui m'a destitué.
Comment, en tant qu'ancien Président de la République
iranienne, et à ce titre alors commandant en chef
de l'armée, pouvais-je accepter de rencontrer un, membre
du gouvernement de l'agresseur?
- Donc vous avez refusé...
- Bien sûr, mais une heure plus tard, Rajavi venait
me voir et m'annonçait: « J'ai accepté un
rendez-vous avec Tarek Aziz. » Je lui ai reproché
cette décision prise sans me consulter.
- Comment s'est passé la rencontre?
- Elle a duré cinq heures au lieu d'une, comme
prévu initialement. Tarek Aziz a acheté Rajavi.
Il n'a fait de lui qu'une bouchée.
- La victime n'était-elle pas consentante? Remarquai-je.
- Peut-être, mais Rajavi ne comprenait malheureusement
pas que l'on ne pouvait pas aller de Téhéran à
Bagdad et venir gouverner ensuite en Iran. Aucun Iranien
ne tolérerait cela... »
Je vois Bani Sadr jeter un
coup d'oeil furtif à sa montre. L'interview dure depuis
plus d'une heure et il s'impatiente.
Mais je tiens à partir d'ici avec une réponse à
toutes mes questions.
J'oriente l'entretien sur un autre
sujet: le coeur du pouvoir des MEK:
« A peine divorcé de votre fille, Rajavi épousait
Maryam, le 8 février 1985. Immédiatement,
il la nommait co-leader des MEK. Qui commande donc les
MEK? Maryam ou Massoud?
- Massoud évidemment. Il est le guide, elle
est le commandant en chef. Ils forment un couple politique
comparable à ceux de Khomeyni et Khameneï,
de Mao Tsé Toung et Chou En-Lai. Il se considère
comme le modèle. Il disait que Khomeyni l'avait dépossédé
du pouvoir qui lui revenait légitimement. Il s'identifie
à un imam. Peut-être même à «
l'Imam du Temps. » Selon notre dogme chiite,
l'Imam du Temps, ou Douzième Imam, a disparu en
873. Il doit revenir avant la fin du monde pour ramener la paix
sur terre.
- Comment les membres des MEK, des marxistes malgré
tout, peuvent-ils accepter pareilles idées?
- Ils vivent coupés du reste du monde. Ils n'ont droit
à aucune lecture autre que la pensée de Rajavi.
Ils sont comme dans une secte. Les Moujahidine, pour moi,
ce n'est rien d'autre qu'une secte... »
J'ai déjà entendu cette
accusation dans la bouche d'adversaires des MEK. J'aimerais insister
dessus, mais je tiens à explorer un point à mes
yeux plus important encore, le terrorisme.
« Que pensez-vous des activités
armées des MEK?
- Pour moi, violence contre violence, il n'y a pas de
solution en Iran. Pour s'opposer à celle du régime,
il faut neutraliser politiquement ses forces. Faire naître
une conscience nationale de l'inutilité de cette violence.
A Auvers-sur-Oise, Rajavi et moi avions pris la décision de
limiter l'utilisation de la force aux situations d'autodéfense
et, en aucun cas de prendre nous même l'initiative de la
violence. Mais, un jour, il est venu me voir avec un nouveau
slogan. « La lutte armée, affirmait-il, est la
seule solution pour mettre un terme au régime. »
II insistait pour que je reproduise et défende ce point
de vue dans mon journal publié en exil, « Inqelob-e-Islami»
(La Révolution islamique). D'ailleurs, attaquer l'ennemi
à sa base est inutile. Comme le dit le Coran, «
Qatilou a'imata al koufr, » attaquez les chefs des
infidèles. Si vous voulez vaincre par la force, combien
vous faudra-t-il tuer d'Iraniens parce qu'ils se réclament
de Khomeyni? C'est absurde. C'était entre nous un point
de désaccord quotidien.
-J'ai obtenu en Iran des témoignages émanant
de la population et évoquant des attaques contre des
civils extérieurs aux enjeux politiques. Les victimes
et des témoins accusent les MEK de ces attentats.
Cela est-il crédible?
-J'en doute, parce que ce n'était pas leur intérêt
de se conduire ainsi. D'abord, je le sais, d'autres groupes agissaient
de cette manière, y compris des gens travaillant pour
le gouvernement iranien comme Javadi...
Je comprends qu'il évoque Javad Mansouri, l'ancien
chef des Pasdaran rencontré à Téhéran.
Je suis entre des ennemis irréductibles...
- Javadi et ses amis avaient intérêt à mettre
des atrocités sur le compte des Moujahidine pour
justifier la répression et les exécutions. Rajavi,
de son côté, a souvent accepté d'endosser
ces attaques pour se donner de l'importance.
-J'ai aussi des témoignages d'attaques aux obus de mortiers
au coeur même des villes.
- Oui, cela se passait à l'époque de Monsieur
Khatami. Rajavi revendiquait ces opérations.
Il est possible qu'il en soit responsable. Je ne sais pas. Mais,
vous savez, quand vous remontez aux sources, c'est Khomeyni
lui-même qui a commencé.
page78
Je parle des faits. Avant juin 1981, on ne peut pas reprocher
un seul acte de violence aux Moujahidine.
- Sous le Chah, nous avons pourtant connaissance de quelques
attentats commis par eux, par exemple l'assassinat de six Américains.
- Je veux dire, à partir de la Révolution.
Les Moujahidine étaient alors les victimes des agressions
des Pasdaran. Jusqu'au jour où les forces de sécurité
ont tiré sur la manifestation du 30 de Khourdad (20 juin
1981). Ils ont exécuté des enfants de dix à
douze ans...
Les documents, en particulier le livre de A. Singleton,
« Saddam's private army, » de façon
déjà assez atroce,parlent de « très
jeunes filles » exécutées. Pas « d'enfants
de dix à douze ans. » Je touche la frontière
entre les faits et la propagande.
-Il y a cependant l'attentat contre le Parti de la République
Islamique, qui a fait 72 morts, dont l'ayatollah Behechti,
dix membres du gouvernement et vingt députés.
- Les Moujahidine n'y sont pour rien. Le lendemain de
l'attaque, je vous l'ai déjà dit, ils m'ont confessé
être innocents dans cette affaire.
- Ils revendiquent pourtant la responsabilité de cette
attaque...
-J'ai posé la question au deuxième bureau iranien
(renseignments de l'armée). Ils m'ont dit: « Cet
attentat est un travail d'ingénieur. Les explosifs
ont été placés de manière à
faire tomber le plafond et à tuer ainsi toutes les personnes
présentes. Il n'y a que nous (l'armée) qui soyons
capables de réaliser une telle action. Si ce n'est
pas nous, ce sont les Pasdaran... »
Mes neurones se mettent en marche.
D'abord, au moment de l'attentat, Bani Sadr avait été
limogé. En fuite, je l'imagine mal contactant un service
de renseignements iraniens. Surtout, je comprends l'inconfort
de sa position.
Il lui est difficile d'admettre l'éventualité de
la nature terroriste d'un mouvement quand il collaborait avec
lui. Il joue sa réputation d'homme politique qu'il veut
faite d'intégrité.
Je remarque la main de l'ancien Président
tapotant le bras de son fauteuil. Il doit avoir envie de dîner,
mais il me faut abuser de sa courtoisie pour quelques minutes
encore.
« J'ai rencontré en Iran, avec l'accord des autorités,
des fugitifs des MEK. Plusieurs sont en liberté.
Ils bénéficient d'une loi d'amnistie. Que pensez-vous
de la véracité de leurs propos?
- C'est la règle du régime: tous les membres des
Moujahidine sont condamnés à mort. Sinon,
c'est qu'ils ont accepté de collaborer. On ne peut pas
faire confiance à ces gens là.
Ce jugement, me semble-t-il, mérite d'être nuancé.
- Même si je me méfie, insistai-je, je suis obligé
de constater que leurs propos sont recoupés par
ceux d'autres fugitifs des MEK vivant en Allemagne
ou dans le reste de l'Europe.
-Je connais parmi eux des gens presque sincères, mais
il faut quand même vérifier.
- Nous sommes d'accord, répliquai-je, voilà pourquoi
je cherche à voir le maximum d'acteurs et témoins.
Pour comparer leurs propos. Sur ce plan, les MEK ne m'aident
pas beaucoup. Ils n'aiment pas tellement les journalistes
trop curieux.
- Non. Je sais qu'une fois, un journaliste les a interviewés.
L'entretien terminé, ils ont estimé qu'un des leurs
avait trop parlé. Ils ont voulu reprendre la cassette
d'enregistrement. »
Aux grattements de gorge de l'assistant, je comprends qu'il faut
vraiment partir.
Page113
CHAPITRE
12
La Révolution
interne
C'est notre dernière journée
de travail avec Nazary. J'ai déjà une dizaine de
cassettes enregistrées. Il entre dans ma chambre un vieux
sac de cuir à la main. Posant celui-ci délicatement
au pied de la chaise, il s'assied devant le magnétophone
prêt à répondre à mes questions.
« Parlez-moi de la Révolution
interne...
- Au mois d'octobre 1989, commence Nazary, Rajavi nous
a tous convoqués pour une réunion dans l'auditorium
de la base.
Je remarquai le grand nombre de gardes de sécurité
et des caméras braquées sur les membres un peu
partout. J'ai pensé que quelqu'un d'important allait être
jugé. Rajavi a beaucoup parlé. Du soir jusqu'au
petit matin. Pendant des heures, il a évoqué devant
nous les thèmes fondateurs de la religion chiite.
Il nous expliquait leur lien avec la politique et la lutte armée,
avec notre situation actuelle.
Aux premières lueurs du jour,
il a fait un signe à l'une des femmes officiers, Sadjavadi.
Elle a marché sur lui portant un plateau métallique.
Dessus, il a pris un étui cylindrique d'une trentaine
de centimètres de long. L'ouvrant, il en a sorti une feuille
de papier, l'a dépliée et la lisant a déclaré
Maryam numéro un de l'Organisation avec le titre
de « Rabba. »
- J'ai entendu les Iraniens donner ce titre de « Seigneur
» à l'Imam Khomeyni. Cela signifie-t-il que Maryam
se voyait élevée au même rang que le
guide de la Révolution iranienne?
- Il me semble.
- Elle se retrouvait donc au-dessus de Rajavi.
- Non, lui restait au-dessus de tout. Il était
l'intermédiaire entre Dieu et nous... »
Je reste quelques instants songeur.
Les sunnites disent, se référant au Coran,
« Point d'intermédiaire entre Dieu et sa créature.
» Chez eux, le clergé se voit interdit d'existence.
Chez les chiites, par contre, il existe une classe religieuse,
dont le sommet est occupé par les ayatollahs. De
plus, l'islam chiite repose sur la vision mystique
de personnalités hors du commun dont la mission consiste
à établir la jonction entre Dieu et les hommes.
Dans l'histoire, les Imams
appartiennent à cette catégorie d'élus,
mais au nombre de douze, le dernier a disparu au IXème
siècle et, comme je l'ai déjà expliqué,
doit revenir à « la fin des temps. » Élément
capital, l'Imam Khomeyni n'a jamais revendiqué
la position d'Imam dans le sens mystique du terme. Dans
son cas, Imam signifiait « guide, » un peu
comme un titre honorifique.
Là, il faut bien comparer
à Rajavi. Pour Singleton, pas d'ambiguïté.
Le message du chef des MEK, dit-elle, est «Je
suis le prochain Imam, je suis votre lien avec Dieu... Ce
qui signifie que quelqu'un le rejetant blasphème contre
Dieu... jusqu'ici, seule Maryam a été capable
de percevoir la véritable grandeur de Rajavi... »
Du moins pour les « croyants » de l'Organisation.
Parcourant quelques pages annotées
dans le livre de Singleton, j'ai laissé Nazary désorienté.
« Excusez-moi, je réfléchissais, repris-je.
Comment les auditeurs ont-ils réagi à la déclaration
de Rajavi?
- Il a montré le papier tiré du cylindre à
plusieurs hauts responsables. J'en ai vu un qui portait la main
à son arme dans un geste de rébellion. Prêts
à intervenir, des gardes assurant la sécurité
ont arrêté son geste. Puis Rajavi a prononcé
un autre discours, très court celui-là, et nous
sommes partis pour nos occupations habituelles sans avoir dormi.
- Mais que disaient les simples militants?
- Nous parlions beaucoup entre nous. Nous commentions le mouvement
de colère de quelques-uns de nos responsables. Tout était
confus dans nos têtes. Au camp d'Achraf, le désordre
régnait. Nos chefs de services ne nous donnaient pas de
travail. Nous étions désemparés.
Le soir, nous avons eu une nouvelle
réunion. L'un de nos plus anciens, Mehdi Eftekhari,
a éclaté. « Massoud, a-t-il dit, veut
nous interdire les relations sexuelles. C'est pourtant
quelque chose de naturel, de conforme à la volonté
de Dieu. C'est un péché ce qu'il nous ordonne.
Il a tort... »
Je n'avais pas compris cela dans les propos de Rajavi, mais nous
étions tellement assommés de mots que je ne saisissais
pas tout.
Le jour, le désordre allait s'amplifiant dans le camp.
Chaque soir, nous nous retrouvions dans l'auditorium. Au cours
de la quatrième nuit, Eftekhari a été
battu par un groupe de Moujahidine. « Traître,
hurlaient-ils, tu as trahi Massoud Rajavi. Tu n'es plus qu'un
Pasdaran. A nos yeux, toi et Khomeyni, vous n'êtes pas
différents. » Eftekhari avait environ 70
ans. Après l'avoir frappé comme des fous, ils
l'ont jeté en prison pendant des mois.
- Qu'est-il advenu de lui?
- Comme il refusait de céder, le choix lui a été
offert par l'Organisation: la mort ou la prison à vie.
Il a fini par perdre la raison.
Au bout de cinq jours, nous avons retrouvé la salle organisée
comme un tribunal. Massoud et Maryam siégeaient
en position de juges. Des caméras de télévision
leur faisaient face. Nos chefs sont passés les uns après
les autres devant eux pour jurer leur attachement. Ils devaient
confesser leurs péchés. Avouer comme tels les relations
sexuelles avec leurs femmes.
Puis le tour des autres membres est venu. Je suis aussi passé
devant Massoud et Maryam. Ils m'ont demandé ce
que je pensais de leur mariage. Ils me harcelaient de questions.
Je n'osais plus parler. J'étais de plus en plus angoissé.
Le dixième jour, à nouveau, je me suis retrouvé
face à Maryam et Massoud. Ils exerçaient
une telle pression sur moi qu'ils m'ont obligé à
parler de mes relations avec une jeune fille quand j'étais
adolescent. Puis, ils m'ont poussé à admettre que,
depuis mon arrivée en Irak, je n'avais jamais cessé
de trahir l'Organisation. Je me sentais coupable.
- Mais vous n'aviez rien fait! Au contraire, vous étiez
d'une loyauté irréprochable.
-Je ne savais plus ce que je disais. Je n'étais plus moi-même.
Après huit heures de conditionnement, je me suis rendu
à eux. J'étais comme une boîte vide.
Alors, Rajavi m'a parlé avec chaleur. « Mon
frère, m'a-t-il dit, ne crois pas que j'ignorais ce que
tu as confessé. Je suis votre Guide. Mon esprit
abrite des choses importantes. Plus importantes que celles dont
vos esprits sont encombrés. Vous êtes comme des
animaux ne songeant qu'à votre pénis. Moi,
ma pensée est dévouée à Dieu.
De toute la terre, je suis l'homme le plus savant et j'ai
accédé à cet état grâce à
ma parfaite connaissance du Coran. Vous m'avez choisi
et je vais retirer de votre tête l'animal qui s'y terre
pour vous faire accéder à un autre monde. Voilà
pourquoi j'ai épousé Maryam. Parce qu'elle est
la première personne à lire dans mon esprit et
à comprendre ma pensée. Si je la touche, cela n'a
rien à voir avec le sexe. Nous sommes comme frère
et soeur. Je ne couche pas avec elle parce que je n'en ai
pas besoin... » Je suis sorti de cette séance dans
un état second. Comme si, marchant pendant des heures
dans la nuit, j'étais arrivé à un état
d'épuisement extrême.
- Tout le monde a-t-il reçu le même traitement?
- Oui, mais plus ou moins longtemps. Tout dépendait de
la capacité de résistance de la personne.
- Une fois sortis de là, au bout de quelques jours, les
membres de l'Organisation ne se révoltaient-ils
pas?
- C'est plus compliqué. Rajavi nous a expliqué:
« Vous avez fait sur vous même une nouvelle Révolution,
une révolution sur votre esprit, sur votre mentalité.
» Nos cadres les plus importants devaient nous expliquer
le bien fondé de cette Révolution de l'esprit.
Ils affirmaient: « Depuis que j'ai fait sur moi la Révolution
de l'esprit, la Révolution interne, mon énergie
est multipliée par cent. Je me sens bien,épanoui.
Comme si j'étais au ciel... » Puis un jour, un par
un, nous avons dû retirer nos alliances et les déposer
devant Massoud.
Nous répétions trois
fois de suite, comme l'exige la loi musulmane: « Je
divorce. »
Beaucoup de couples vivaient mal ce changement. Plusieurs fois
par semaine, nous étions obligés de faire une
confession de nos fautes sur papier. Nos obsessions sexuelles
reprenaient le dessus.
- Qu'est-ce que c'était que ces confessions?
- Nous devions écrire tous nos péchés,
y compris nos mauvaises pensées.
Par exemple, si nous avions douté de Rajavi. Ou si nous
avions pensé au sexe en voyant la poitrine de la présentatrice
de la télévision se dessiner sous son corsage...
»
Cette Révolution interne, ou Révolution de l'esprit,ressemble
à une mise en condition psychologique du type de celui
connu dans les sectes pseudo religieuses. Les accusations
des ennemis des MEK prennent consistance à écouter
Nazary. Je le relance:
« Samad je vous ai demandé si les gens se révoltaient.
- Plusieurs couples ont voulu quitter l'Organisation.
- Que sont-ils devenus?
-Je ne sais pas. Ou plutôt, je me souviens de Parviz
Yaqoubi, l'un des membres les plus anciens des Moujahidine.
Il avait épousé la soeur d'Achraf Rajavi,
la première femme de Massoud, comme vous devez le savoir.
Il manifestait son désaccord avec insistance. L'Organisation
l'a traduit en justice. Il a été condamné
à la prison « pour ne pas avoir pris position en
faveur de la Révolution de Rajavi et s'être aligné
sur celle de Khomeyni. » Après je sais qu'il est
parti en France. Là-bas, il a fait des déclarations
à la presse.
- Et vous, comment viviez-vous tout cela?
- Mal. Je voyais les choses aller de travers. Je n'avais plus
de motivation. Je l'ai écrit à Maryam. Pendant
un an et demi, à cause de cette lettre, j'ai été
mis à l'écart de mes activités habituelles.
Les anciens prisonniers de guerre iraniens inclus dans
nos rangs étaient particulièrement mécontents.
En mars 1991, quand les Kurdes se sont révoltés
contre Saddam Hussein, un millier de ces anciens prisonniers
ont posé leur arme sur le sol, refusant de prendre part
à la défense du camp. Ils ont été
incarcérés.
Je demandais avec insistance à quitter l'Organisation.
Nos responsables ont fini par me donner leur accord. Mon chef
de service, m'a emmené à Kirkouk. Je lui
ai demandé pourquoi. Il m'a dit vouloir me faire sortir
de l'Irak en passant par cette ville à cause des
combats qui sévissaient alors à travers le pays
à cause de la Guerre du Golfe. Puis la nuit est arrivée.
Dans un village, Debbes, il m'a fait monter dans une jeep. Nous
nous sommes arrêtés devant un bâtiment.
Mohsen Rezaï a ouvert la porte. Vous le connaissez
en Occident comme le responsable des activités diplomatiques
des Moujahidine. Pas comme gardien de prison. Ils ont rabattu
ma veste sur ma tête, mis une main sur ma bouche et m'ont
poussé dans une cellule d'un mètre cinquante sur
un mètre. »
Une heure après mon arrivée, les bombardements
américains touchaient une station essence à 150
mètres de la prison. Les détenus hurlaient. J'ai
entendu un bébé qui pleurait. J'ai compris que,
dans ces murs, ils enfermaient aussi des parents avec
leurs enfants.
Au début de 1993, l'Organisation m'a donné le passeport
d'un Moujahid vivant autrefois en Suède, mais mort en
1988 pendant l'offensive de Forouq-e-Javidan. A la fin
d'un itinéraire compliqué, j'ai pu entrer en Italie.
J'ai trouvé un emploi dans un restaurant de L'Aquila,
le village où Mussolini avait été emprisonné
pendant la guerre. Mais l'Iran me manquait. Au bout de
huit mois, je suis allé raconter mon histoire à
l'ambassadeur d'Iran à Rome. Il m'a prévenu,
rentrant au pays, je risquais de passer devant un tribunal. J'ai
accepté.
- Que s'est-il passé à votre arrivée à
Téhéran?
- Des officiers de la sécurité de l'aéroport
m'ont emmené dans un hôtel. J'ai été
interrogé par quelqu'un des services de renseignements.
II m'a dit: « Des gens comme toi, beaucoup sont rentrés
en Iran. L'Imam Khomeyni a ordonné de vous pardonner
quand vous vous livrez de vous mêmes et si vous n'avez
tué personne. » Il m'a invité à appeler
ma famille. L'un de mes frères a répondu. D'abord,
il ne m'a pas cru... »
J'arrête mon magnétophone.
Nazary continue de parler. Il évoque les retrouvailles
avec sa famille, sa nouvelle vie, ses regrets.
Ses difficultés d'insertion aussi: pour ses voisins, il
reste un ancien membre de l'Organisation, dans leur esprit, un
terroriste. Il insiste pour offrir un thé. Puis il ouvre
le vieux sac de cuir apporté ce matin. Il en sort un paquet
enveloppé dans du papier kraft.
« Ma femme m'a demandé de vous donner ça,
» explique-t-il. A l'intérieur, brodé à
la main, je trouve un drapeau iranien.
Page181
CHAPITRE
19
Loyautés
trahies
Fin janvier, à peine rentré
en France, j'appelle Mohammad Husseyn Sobhani en Allemagne.
Je souhaite obtenir confirmation des informations collectées
en Iran. Savoir aussi s'il connaît les personnes rencontrées.
Surtout, je voudrais l'interroger à propos des relations
entre les MEK et les Américains.
« J'allais justement vous appeler, affirme-t-il, deux anciens
camarades, transfuges des Moujahidine, viennent d'arriver
en Allemagne. Ils acceptent de vous rencontrer. Voulez-vous venir?
»
Le temps de l'organiser, la rencontre n'aura lieu que le 28 février
en début d'après-midi à Cologne.
Une interprète sera présente.
*
* *
Le rendez-vous a été
fixé à l'Hôtel Cristall, un lieu moderne
à la décoration « design » installé
à cinq cents mètres de la gare de Cologne.
A mon arrivée, l'interprète m'attend assise dans
la réception. C'est une belle femme d'une quarantaine
d'années. Elle a quitté l'Iran avant la Révolution.
J'installe mon matériel d'enregistrement
et mon ordinateur dans la chambre tout en bavardant. Elle n'aime
pas le régime iranien. Des MEK, par contre, elle semble
avoir une opinion plus nuancée, presque favorable.
Sobhani arrive en retard avec ses
deux amis. Le premier s'appelle Reza Radmanesh. Haut
de taille, le visage imberbe, il pourrait facilement passer pour
un Européen. L'autre, Ali Rachqavi, plus petit,
a le visage anguleux de certaines populations kurdes.
Reza Radmanesh commence. Son histoire débute comme
celle de la plupart des volontaires des MEK. Membres de l'Organisation,
deux de ses oncles avaient été exécutés
sous le Chah. Aujourd'hui âgé de 32 ans, des
amis de ses oncles l'ont recruté à leur sortie
de prison quand il en avait quinze. En 1989, ils l'ont
aidé à préparer son départ d'Iran
pour le Pakistan. Comme beaucoup d'autres, il a suivi l'itinéraire
passant par l'obtention d'un laissez-passer au bureau des Nations-unies
à Quetta, puis par la maison d'hôtes de l'Organisation
à Karachi.
Il parle d'une voix rapide, souriant
de ses mésaventures.
« Je voulais poursuivre mes études à l'étranger,explique-t-il,
c'était la raison de mon départ. A Karachi,
le responsable de l'envoi des nouveaux en Irak s'appelait Hadi
Erfanian. Aujourd'hui, il assure la protection rapprochée
de Maryam Rajavi en France. Je lui ai fait part
de mon intention d'étudier. Alors il a commencé
à s'acharner contre moi,critiquant la couleur de mes vêtements
ou me reprochant de porter un pyjama, signe d'embourgeoisement,
pour dormir. « Tes oncles sont morts pour la cause,
me répétait-il, et toi tu veux étudier!
»
Puis ils m'ont isolé.
J'avais dix-sept ans et j'en ai beaucoup souffert. J'ai
fini par céder et accepter de partir en Irak... »
Suivirent le départ pour Bagdad avec un faux passeport,
selon l'habitude des MEK, puis au pays de Saddam Hussein,
la formation idéologique et militaire. Là, l'état
d'esprit de Reza évolua. « Avec les armes, je
me sentais un homme, comme le héros d'un film... »
Je demande:
« Avez-vous reçu un entraînement pour
effectuer des opérations terroristes.
-Cette formation était incluse dans le programme général.
Nous apprenions à tuer avec une corde, à briser
le cou d'un homme, à faire des bombes ou à piéger
des objets avec des explosifs. A Sulamaniya et Kirkouk,
au Kurdistan, il y avait un centre, appelé la «
Faculté, » où nous recevions un entraînement
pour apprendre à assassiner les membres du Parlement
iranien.
- Avez-vous fait des opérations militaires en Iran?
- Non, jamais.
- Quand avez-vous décidé de quitter les MEK?
- Jusqu'en 1994, je me sentais bien dans les Moujahidine.
Puis tout a basculé. Sans raison, j'ai été
arrêté et jeté en prison. Pendant mon interrogatoire,
j'ai entendu que l'on torturait quelqu'un dans
la pièce d'à côté. Puis j'ai été
mis en cellule avec d'autres camarades. Un autre détenu
a alors été jeté sur le sol par les gardiens.
Nous avons reconnu Parveza Hamadi (Parvez Ahmadi), un
de nos commandants. Il avait les mains et les jambes brisées.
C'est lui que j'avais entendu torturer. Comme il nous
le demandait, nous avons essayé de lui donner de l'eau.
Mais il est mort avant de boire. Comme ça, dans
nos bras. La publication des Moujahidine l'a
dit assassiné par le ministère des Renseignements
iraniens. C'est un mensonge.
Ils l'ont tué eux-mêmes. II avait 36 ans
et venait de Kermanshah.
- C'est une accusation particulièrement grave que vous
portez. Si je la publie, êtes-vous prêt à
témoigner en justice?
-Je ne demande que ça. Ce n'est pas le seul crime dont
j'ai été témoin. Korban Tourabi (Ghorbanali
Torabi) m'avait reçu dans l'Organisation. C'était
un ami. Ils l'ont assassiné en prison à
la même époque. Sa soeur en est devenue folle.
Elle est dans un hôpital psychiatrique à Bagdad...
»
Au tremblement du menton de Reza,
je comprends son émotion trop forte. Il s'esquive vers
la salle de bain. Me tournant vers l'interprète, je la
vois livide. Je fais une distribution de boissons gazeuses pour
détendre l'atmosphère.
Au bout de quelques minutes, Reza
revient. Il a les yeux rouges et affiche un sourire gêné.
Il reprend de lui-même:
« Ayant assisté au sort de Parveza Hamadi (Parvez
Ahmadi) et de Korban Tourabi (Ghorbanali Torabi), j'avais
tellement peur que j'ai signé tout ce que voulaient mes
interrogateurs: un texte de quatre vingt pages écrites
sous leur dictée. Après huit mois de détention,
je suis sorti de cellule avec une dizaine d'autres membres. Massoud
Rajavi nous a reçus. « Des gens voulaient me
tuer, nous a-t-il expliqué. Maintenant, le problème
est résolu. Vous êtes libres. » Puis il a
ajouté: « Ce que vous avez vu ou subi, c'est quelque
chose de normal dans les organisations politiques de gauche.
Hô Chi Minh a fait exécuter tous les membres
de son bureau politique en une nuit. Staline a fait la même
chose. Vous êtes vivants. Si vous avez été
un peu battus, ce n'est pas grave... » Ensuite, nous avons
rejoint nos quartiers comme si rien ne s'était passé.
- Qu'avez-vous pensé du comportement de Massoud Rajavi?
page185
- Tout avait changé pour moi. J'ai demandé à
quitter l'Organisation. En réponse, une femme, du nom
de Spirin m'a apporté une serviette humide. En
me la donnant, elle m'a dit: « C'est un objet précieux,
Massoud Rajavi s'en est servie. Il vous l'envoie. »
Puis elle m'a proposé de signer un contrat de deux ans.
Après quoi, m'a-t-elle dit, « Nous vous enverrons
en Espagne. » J'ai accepté. Nous étions en
1995.
- Comment l'Organisation vous a-t-elle alors utilisé?
-J'ai eu différentes responsabilités. Par exemple
garde du corps de Massoud Rajavi. Puis en 1997, j'ai été
versé dans les services de renseignements. Te servais
sous les ordres de Mehri Haji Nijad. A l'époque,
j'ai effectué des missions de reconnaissance à
Abadan, pour préparer des attaques contre les raffineries.
Je prenais des photos des lieux où nous pourrions poser
des bombes. Avant de partir et à mon retour, j'avais des
réunions avec les services irakiens. Ils nous donnaient
des photos aériennes et nous partagions nos informations.
Finalement le programme a été annulé: l'Irak
et l'Organisation subissaient des pressions internationales nous
interdisant de toucher aux raffineries et aux installations pétrolières
iraniennes.
- D'où venaient ces pressions?
- Je ne sais pas.
- Continuez s'il vous plaît.
- Au bout de deux ans, j'ai demandé à partir conformément
à mon contrat. Alors l'Organisation a mis sur pied une
machination contre moi. Mon chef direct était une femme,
Fatimeh Gholami. Elle m'avait pris en amitié. Il
l'ont obligée à écrire une lettre
disant qu'elle se livrait à la débauche.
En 1998, j'ai été à nouveau emprisonné,
accusé cette fois d'avoir eu des relations sexuelles avec
elle.
- Pardonnez ma question. Était-ce vrai?
- Pas du tout, notre relation était purement amicale.
Je suis resté plus de huit mois en prison. Un individu
particulièrement brutal m'a interrogé, Hassan
Mohacil. J'ai été frappé à coups
de bottes et de bâtons. J'ai eu une vertèbre
brisée. Pour me démoraliser, on m'a dit que
ma soeur aînée avait été exécutée
par le ministère des Renseignements iraniens. A nouveau,
j'ai signé ce que mes tortionnaires voulaient.
J'ai même confessé avoir eu des relations
sexuelles avec Fatimeh Gholami. Une responsable, Maran Saferi
m'a alors fait venir. Elle m'a dit: « Massoud Rajavi vous
pardonne. L'Organisation vous ouvre les bras. Vous pouvez revenir
parmi nous... »
- Les MEK vous faisaient confiance?
- Non, j'avais un travail, mais je ne pouvais pas sortir de la
base. La prison avait fait de moi un corps mort. Je n'avais plus
goût à rien. J'ai envisagé de me suicider.
Il s'est alors passé quelque chose d'important pour moi.
Une de mes soeurs s'est installée à la même
époque au Pays-Bas. Elle a pris contact avec les
Moujahidine et les a menacés en disant:
« Ou vous libérez mon frère, ou je saisis
les Nations-unies de l'affaire. » Les gens de l'Organisation
ont accepté d'établir une liaison téléphonique
entre ma soeur et moi. Ils avaient branché un haut-parleur
pour écouter les questions. Je les voyais écrire
ce que je disais. Quand elle m'a demandé « Es-tu
heureux? » ils ont coupé la ligne. Mais au ton
de mes réponses, ma soeur avait déjà compris.
Elle m'avait aussi appris que notre aînée n'avait
pas été tuée par les services iraniens.
Elle était mariée, mère de deux enfants
et vivait à Téhéran. L'Organisation m'avait
menti.
- Comment supportiez-vous tout cela?
- Personne ne le peut. La pression était terrible. Nous
ne pouvions pas parler entre nous. C'était interdit et
nous avions peur les uns des autres. N'importe quoi pouvait arriver
à n'importe qui. Un commandant important, Mehdi Eftekhari,
a même été accusé d'avoir des relations
sexuelles avec des chats. J'ai voulu m'enfuir.Un autre camarade
voulait aussi tenter sa chance. Je lui ai donné le numéro
de téléphone de ma soeur au Pays-Bas en lui disant:
« Si tu t'échappes, appelle la et dis lui que je
ne veux plus rester ici... » Mais il a été
surpris et m'a dénoncé. Je me souviens, c'était
le 11 septembre 2001. J'ai été à nouveau
arrêté, insulté et jeté dans une
cellule d'isolement. Trois ou quatre fois par mois, on venait
m'interroger.
- Combien de temps cela a-t-il duré?
- Un an et demi. En février 2002, deux femmes importantes
dans la hiérarchie de l'Organisation, Maran Saferi
et Batoul Rajaï, sont venues me voir. « Nous allons
t'emmener à Abadan, en Iran, au terminal du bus, m'ont-elles
dit, de là tu pourras rentrer chez toi. » Deux jours
plus tard, à la nuit tombée, je me suis
retrouvé sur le bord de ce que les Arabes appellent le
Chatt-Al-Arab, le fleuve dans lequel se confondent le Tigre et
l'Euphrate. Le chenal fait à cet endroit plus d'un kilomètre
de large. Deux bateaux étaient amarrés à
la berge, le second, plus petit, à la remorque du premier.
Nous avons embarqué à bord du plus grand.
Au milieu du cours d'eau, mes anciens camarades m'ont ordonné
de monter dans l'esquif que nous remorquions. Il prenait l'eau.
J'ai refusé. Ils ont braqué leurs armes sur
moi. De l'autre côté du fleuve, on voyait une
tour se dresser sur la berge. Ils m'ont dit: « Va droit
dessus, c'est Abadan. » En réalité c'était
un mirador des gardes frontières iraniens. Les Moujahidine
voulaient me faire tuer par l'armée iranienne. Comme
je ne m'éloignais pas d'eux, ils ont tiré dans
ma direction. Ma barque commençant à couler, je
me suis jeté à l'eau. Très fort, le
courant m'a emporté. Et là, j'ai eu beaucoup de
chance, j'ai été rejeté sur la berge côté
iranien.
- Vous êtes-vous livré aux autorités iraniennes?
- Non. J'ai marché jusqu'à Abadan où
j'avais un ami. De là, j'ai rejoint Téhéran.
Mon père a de l'argent. Je me suis caché chez lui
pendant trois mois, puis il a payé quelqu'un pour memmener
en Turquie.
J'ai voyagé sans passeport, avec des passeurs. Cela coûte
très cher. Arrivé en Allemagne, il y a trois mois,
j'ai demandé le statut de réfugié politique.
Mon dossier est en cours de traitement. S'il vous plaît,
ne croyez pas ce que disent les Moujahidine. Ce sont
des criminels. Ils méritent de passer devant une
cour de Justice... »
*
**
Page193
CHAPITRE
20
La Maison Blanche
entre deux chaises
Les propos de Mohammad Hosseyn
Sobhani ont piqué ma curiosité. Je veux en savoir
plus sur John Ashcroft. Depuis le 22 décembre 2000,
il occupe la position d' « Attorney general, »
autrement dit de ministre de la justice de George W. Bush. Selon
sa biographie, publiée par le Département de la
justice des États-Unis, le Président reconnaît
en lui « un homme de grande intégrité, un
homme de grand jugement et un homme qui connaît la loi.
»
Né à Chicago en 1942,
il entama une carrière de haut fonctionnaire en 1973.
Élu gouverneur de l'État du Missouri en 1984, il
resta à ce poste jusqu'en 1993. L'année suivante,
il entra au Sénat. Voilà pour l'aspect officiel.
Poussant ma recherche, dans la publication
du 26 septembre 2002 de « Newsweek, » je trouve une
histoire bien étrange. Le 10 mai 2000, encore Sénateur,
Ashcroft avait adressé une lettre à Janet Reno,
sa devancière au Département de la justice.
Dans le document, il prenait la défense d'une jeune iranienne,
Mahnaz Samadi, détenue par le service de l'Immigration.
Il la qualifiait d' « activiste des droits de l'homme
hautement considérée, » de « voix
puissante en faveur de la démocratie. »
Venant des États-Unis où elle jouissait du statut
de réfugié politique depuis 1996, Mahnaz était
entrée illégalement au Canada en novembre 1999.
A l'occasion d'une demande de visa, refusée auparavant
par les Canadiens, elle avait déclaré travailler
comme secrétaire à temps partiel dans son pays
de séjour. Or, si elle affirmait ne disposer que de modestes
revenus, son passeport par contre mettait en évidence
la fréquence de ses voyages pour des destinations lointaines
et donc coûteuses.
Les autorités canadiennes
l'avaient arrêtée dans un appartement qu'elle
occupait à proximité de l'ambassade américaine
à Ottawa. Elle avait été repérée
en raison de ses contacts répétés avec des
gens des MEK. Le 3 avril 2000, elle fut renvoyée aux États-Unis
et interceptée par les services de l'Immigration alertés
par leurs confrères canadiens.
C'est dans ce contexte qu'Ashcroft
avait pris la défense de Mahnaz. Or, cette dernière
avait un lourd passé. Déposant sa demande d'asile
aux États-Unis, elle avait produit une fausse déclaration
et omis de signaler les relations qu'elle entretenait avec les
Moujahidine. Pourtant, dans l'Organisation, elle portait le grade
de commandant. En outre, elle avait été responsable
de l'entraînement militaire des femmes au camp d'Achraf.
Plus grave, selon Mahan Abedin du
« Lebanon daily star, » elle aurait servi
comme officier de liaison entre les MEK et les services de renseignements
irakiens sous Saddam Hussein. Difficile d'inclure de telles
activités dans la biographie d'une pacifiste militante
des droits de l'homme.
Ashcroft ignorait-il les liens entre l'iranienne et les MEK?
Michael Isikoff, dans « Newsweek,
» ne semble pas le croire. Il écrit qu'Ali Reza
Jafarzadeh, le représentant des MEK aux États-Unis,
se vante « d'avoir eu plusieurs rencontres avec Ashcroft
» à propos du cas de Mahnaz.
Aschroft
n'est pas seul à être monté au créneau
dans l'affaire. En juin 2000, 62 membres du Congrès ont
à leur tour envoyé une lettre au département
de la Justice pour soutenir la jeune femme.
La mobilisation d'élus américains
en faveur de Mahnaz n'est pas un cas isolé. Dans son édition
du 12 novembre de la même année, par exemple, le
« Washington Post » citait une lettre
signée par 225 membres du Congrès des Etats-Unis
afin de soutenir les MEK, car « cela peut contribuer à
la promotion de la paix, des droits de l'homme et de la stabilité
dans cette partie du monde, » disait le document. Au mois
de mars 2001, 31 Sénateurs effectuaient la même
démarche. Point remarquable, Sénateurs et membres
du Congrès appartenaient aussi bien au camp des Démocrates
qu'à celui des Républicains.
L'Amérique soutiendrait-elle
les Moujahidine?
*
**
Poussant mes recherches auprès
des structures étatiques américaines, je trouve
une étude sur les Moujahidine,enregistrée à
la bibliothèque du Congrès sous le numéro
M-U 42953-1 no.92-824F. Une première date apparaît,
novembre 1992. Néanmoins, dès la première
ligne, on voit le document associé à l'année
fiscale 1994-1995.
En outre il était adressé
à l'Honorable Lee H. Hamilton, Président du Comité
de la Chambre des Représentants, en d'autres termes, le
Congrès.
On lit en lettre d'introduction:
« ... j'ai le plaisir de vous soumettre, de la part du
secrétaire d'État, le rapport « Moujahidine
du Peuple d'Iran... » Nous voulons être clairs, nos
conclusions sur les Moujahidine n'impliquent en rien que nous
soutenions le comportement de l'actuel régime iranien.
Comme vous le savez, au cours des années, la politique
des États-Unis à l'égard de l'Iran a été
basée sur des principes invariables: l'Iran ne doit pas
bénéficier de relations normales d'État
à État avec les autres pays aussi longtemps qu'il
pratique des méthodes n'entrant pas dans le cadre généralement
reconnu comme celui dans lequel la conduite d'un gouvernement
doit s'inscrire... »
Précédé du sous
titre « Executive summary, » on peut lire: «
... Les Moujahidine ont collaboré avec l'Ayatollah Khomeyni
pour détrôner le Chah d'Iran. Au cours des affrontements,
ils ont assassiné au moins six citoyens américains,
soutenu la prise de l'Ambassade des États-Unis et se sont
opposés à la libération des otages américains...
»
Plus loin: « ... Après
la prise de l'Ambassade, les Moujahidine ont participé
matériellement à l'action sur le site, intervenant
dans la garde et la défense des lieux contre toutes tentatives
de libération... »
A propos des activités militaires
conduites par les MEK en Iran depuis la Révolution iranienne,
à titre d'exemples, le texte proclame: «
Le
12 octobre 1992, les Moujahidine ont revendiqué l'explosion
de bombes sur la tombe de Khomeyni, un endroit situé à
seize kilomètres au sud de Téhéran et visité
chaque jour par des milliers d'Iraniens... » Plus loin:
« Plusieurs de ces opérations décrites par
les Moujahidine, incluent clairement des cibles civiles, comme
des automobiles, des autoroutes, des bâtiments gouvernementauux
ouverts au public, des lieux consacrés aux affaires et
des résidences privées... »
Le rapport passe ensuite aux attaques
menées par les Moujahidine en Occident. « ... Les
incidents les plus spectaculaires ont eu lieu le 5 avril 1992,
quand une vague d'attaques coordonnées des membres des
Moujahidine s'est déchaînée contre les missions
diplomatiques iraniennes à New York, au Canada, en Allemagne,
en France, en Grande-Bretagne, en Suisse, aux Pays-Bas, au Danemark,
en Suède, en Norvège et en Australie. A New York,
d'après une dépêche de presse. « Cinq
hommes armés de couteaux ont envahi la mission iranienne
auprès des Nations-unies et pris trois otages... »
Le 16 juillet 1992, « La Voix du Moujahid »
(NdT: la radio des MEK) rapportait une attaque des MEK contre
l'automobile qui transportait Velayati, le ministre iranien
des Affaires étrangères, en déplacement
à Postdam. Des attaques semblables se sont déroulées
dans d'autres pays européens depuis 1991, dont la France,
l'Italie et la Suisse... »
Le rapport fait aussi mention des
attaques dont les MEK ont été victimes
de la part des autorités iraniennes. « En 1990,
par exemple, le frère de (Massoud) Rajavi, Kazem Rajavi,
a été assassiné à Genève.
Trois ans plus tard, le gouvernement iranien exécutait
le responsable du bureau des Moujahidine à Rome:
le 16 mars 1993, Mohammad Hussein Naqdi a été
tué par deux hommes montés sur un scooter... »
Dans le paragraphe sous-titré
« Structure, » l'auteur du rapport a écrit:
« ... Dans une large mesure le style autocratique des prises
de décision de la direction et le culte de la personnalité
en vogue parmi les membres - deux constantes définissant
le fonctionnement de l'organisation - se sont combinés
pour causer le rejet des Moujahidine par là plupart
des Iraniens. Ces derniers craignent que l'alternative des
MEK soit semblable, voire pire, que celle du régime religieux
actuellement au pouvoir.... »
*
**
Page 245
CHAPITRE
25
Terroristes ou
résistants
Me ramenant en France, le Fokker
tressaute au creux des trous d'air. Sous nos pieds, le sillage
des navires déchire la mer. Tous ces bateaux, ces avions,
ces liaisons radios, téléphoniques, Internet et
autres sont extraordinaires. Mais tellement fragiles aussi. Notre
confort, notre vie même, apparaissent de plus en plus menacés
par des groupes terroristes dont la volonté de nuisance
peut à n'importe quel moment nous atteindre.
Faut-il inclure les Moujahidine du
Peuple d'Iran, ou Moujahidine-e-Khalq, dans cette catégorie?
Au gré de mon enquête, mon opinion, peu à
peu, a émergé. Est-ce dans la nuit, à Téhéran,
face à l'Elbourz, que la vérité s'est imposée
à mes yeux? Ou serait-ce au détour d'une phrase,
face à la souffrance plus vive exprimée par l'un
des anciens Moujahidine que ma conviction s'est ancrée?
Je ne saurais dire, mais je crois l'assaut répété
des témoignages, à force de converger vers l'horreur,
avoir fini par me convaincre. Au point de m'interdire de préférer
les MEK à un régime, celui de Téhéran,
dont je ne saurais pourtant approuver les dérives.
Je ne suis pas seul. Le 2 mai 2002,
le Conseil de l'Union européenne a inscrit les Moujahidine
sur sa liste des organisations répondant à la qualification
terroriste. Comme je l'ai déjà dit, en octobre
1997, les États-Unis avaient agi de même. Le 15
août 2003, ils ont même amendé leur décision,
ajoutant les autres désignations des Moujahidine, comme
« Conseil National de la Résistance, »
à la liste infamante. Enfin, au jour où nous écrivons
ces lignes, nous attendons encore la décision du juge
Bruguière chargé de l'enquête sur Maryam
et ses affidés.
On voit pourtant les États-Unis
et les capitales européennes se comporter de manière
ambiguë à l'égard des Moujahidine. Si d'un
côté ils les condamnent, de l'autre ils les laissent
libres d'agir. Massoud et Maryam Rajavi se déclarant ennemis
jurés de l'Iran, les gouvernements occidentaux hésitent
à vouer leur mouvement aux gémonies. Les erreurs
et les fautes du régime iranien y sont pour quelque chose.
Les Moujahidine jouent habilement de cela. Pour ceux qui rêvent
de la disparition de la République islamique sous les
coups des Moujahidine, il y aurait donc un « mauvais
terrorisme, » quand il est dirigé contre eux, et
un « bon terrorisme » lorsqu'il touche leurs adversaires.
On voit les contradictions, les démissions
morales même, auxquelles une telle vision pourrait conduire.
Il faut l'admettre, tactique de combat,
le terrorisme n'a pas de parti mais peut être utilisé
par tous les partis. Partout, son usage apparaît inhumain
car les terroristes violent les limites de la morale
en touchant les plus faibles. Il est une forme de guerre
à outrance en temps de paix. Admettre l'existence d'un
bon terrorisme, celui dont l'adversaire est victime, cela revient
à justifier tous les terrorismes et, un jour, à
en subir soi-même les effets.
L'espèce humaine, croyons-nous, aura fait un progrès
considérable, le jour où, d'un commun accord, elle
interdira tout recours au terrorisme. Comme elle l'a décrété,
mais incomplètement appliqué, pour les gaz de combat.
Souvenons-nous, en dépit de la brutalité de l'affrontement,
retenant la leçon du précédent conflit,
les deux camps de la seconde Guerre mondiale se sont interdit
l'utilisation de cette arme.
Nous voyons aujourd'hui dans quelle
folie collective pourrait nous entraîner le terrorisme.
Il faut à la communauté des nations l'interdire
comme le fut le sarin ou l'ypérite. I1 ne faut pas de
double langage en la matière. Cela vaut pour tous les
pays, de l'Orient à l'Occident.
Sur un autre plan que la menace terroriste, reste la question
de l'avenir des membres des Moujahidine. Aujourd'hui retenus
pour la majorité en Irak, cloîtrés dans la
commune française d'Auvers-sur-Oise pour d'autres, ils
représentent un problème humain.
Sans même parler du terrorisme,
certains d'entre eux ont commis des crimes et délits
contre leurs propres camarades. Ils ont retenu des hommes
et des femmes contre leur gré, les ont frappés,
torturés, parfois même assassinés. Ils ont
séparé des enfants de leurs parents, brisé
des familles, provoqué des drames insoutenables.
Il faut, à notre sens, d'abord
neutraliser les Moujahidine. Ensuite punir les plus coupables
d'entre eux. Puis, les considérant aussi comme des victimes,
aider tous les membres à retrouver un équilibre
par un accompagnement psychologique.
Pour cela, il faut casser l'esprit de groupe, séparer
les Moujahidine les uns des autres. Sinon, passés maîtres
en manipulation, Massoud Rajavi, comme il le fit dans
les prisons du Chah, et Maryam à ses côtés,
reprendront de l'ascendant sur leurs troupes et les conduiront
vers de nouvelles aventures.
Or, au cours de leurs conférences
en Irak, sous Saddam, ils l'ont dit. Si nous osions les
jeter en prison ou faire la chasse à leur mouvement, ils
ordonnaient à leurs membres de lancer une campagne terroriste
contre ceux qui, en Occident, avaient dénoncé
leurs abus. A la vue de leur curriculum vitae, cela ne nous paraît
pas de vaines paroles.
|