Liste des livres |
La guerre de l'ombre, des Français en Afghanistan,par Jean-Christophe Notin |
Khomeyni en France, révélations, par Houchang
Nahavandi |
La guerre en Irak est-elle finie?-par Denis Gorteau |
Le rendez-vous des civilisations, par Emmanuel
Todd et Youssef Courbage |
Muhammad, Vie du
prophète- par Tariq
Ramadan |
Voyage vers l'enfer- par Mourad Benchellali |
Comment le Djihad est arrivé en Europe- par Jürgen
Elsässer |
Le Turban et La Rose- par François Nicoullaud |
A mort l'Irak- par
Denis Gorteau |
Le KGB au coeur du Vatican- par Danièle et Pierre de Villemarest |
Iran, le choc des ambitions
- par Houchang Nahavandi |
La Guerre Infernale, Biographie de Ben Laden -par Alain Chevalérias |
- La
tragédie dissimulée
- Oran, 5 juillet 1962-
- par Jean Monneret
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Brûlé Vif, au nom de Marx et Mahomet, enquête sur
les MEK Moujahidine-du-peuple d'Iran - par Alain Chevalérias |
Le Mur de Sharon - par Alain
Ménargues |
La mécanique terroriste - par Bruce
Hoffman |
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LA GUERRE INFERNALE
Le montage Ben Laden et ses conséquences
Alain CHEVALERIAS
Editions du Rocher
Epuisé chez l'éditeur
Disponible pour 23 euros franco de
port
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Auteur:
Alain CHEVALERIAS
Résumé: Dans les années 80, l'auteur
a fait partie des quelques Occidentaux témoins de la lutte
des Afghans contre l'occupation soviétique. Il a alors
assisté à l'arrivée des extrémistes
arabes d'où émergeront Oussama Ben Laden et son
organisation Al Qaïda. Sans complaisance pour les erreurs
des Américains, ce livre raconte comment un garçon
timide est devenu le "maître terroriste" du réseau
le plus craint de la planète. Alain Chevalérias
s'appuie sur sa connaissance des lieux et des hommes rencontrés
au cours de ses périples au Soudan, au Pakistan ou au
Liban. Il a aussi eu recours aux archives judiciaires américaines
et aux documents produits en arabe par Al Qaïda. Présenté
comme une épopée, ce livre est la seule biographie
complète de Ben Laden jusqu'au 11 septembre 2001.
Pages choisies:
CHAPITRE 1
Pourquoi et comment?
page 7
On commence tôt sa journée
aux États-Unis. Ce matin du 11 septembre 2001, à
huit heures et demie, Manhattan grouille déjà de
monde. Il fait doux, presque vingt degrés déjà
à New York. Le ciel bleu annonce une belle journée.
Pour quelques minutes encore, la première puissance mondiale
se sent invincible
page 12
Cette journée du 11
septembre a sonné l'Amérique. Parmi les victimes,
on compte près de 4000 morts dans les tours
jumelles, 233 passagers captifs des quatre avions transformés
en bombes volantes, 800 militaires ou fonctionnaires du Pentagone
et 300 pompiers, secouristes et policiers disparus dans l'effondrement
des bâtiments. En tout, plus de 5000 personnes
décédées en une seule journée.
Sans parler des dégâts matériels, ni de la
blessure infligée à l'orgueil américain.
Beaucoup de questions se posent. Elles se résument en
deux mots, comment et pourquoi? Comment et pourquoi des hommes,
dix-neuf nous dit le FBI, acceptent-ils de se donner la mort
ensemble, non pour mettre un terme à leur vie, mais par
haine de l'autre. Pour expliquer cet engagement extrême
dans le trépas, le fanatisme ne suffit pas. Or, tant que
nous ne comprenons pas les motifs qui animent ces desperados,
nous ne pouvons pas nous protéger de leurs attaques.
Dans le chapitre deux, l'auteur raconte
sa rencontre avec Zabihuallah Khan (Zabiuallah Khan) chef
de la guérilla afghane dans la région de Mazar-e-Sharif,
au nord de l'Afghanistan.
CHAPITRE 3
L'islamisme corrupteur
La genèse
page 25
Après la disparition de Zabihullah,
au printemps 1985, je reprends l'avion pour le Pakistan. "Cette
année, m'explique le responsable politique des maquis
de Mazar-e-Charif à Peshawar, nous faisons un convoi de
camions jusque dans le nord. " Je n'en reviens pas de l'amélioration
soudaine des moyens de la guérilla afghane.
Un chauffeur pakistanais me fait traverser la zone tribale, interdite
par les autorités aux étrangers. Pour s'y déplacer,
il faut abandonner les vêtements européens, porter
le turban et la tenue afghane, une sorte de pyjama à pantalon
large. Après une demi-journée de route, nous arrivons
au village de Wana. Ici les moudjahidine louent une maison.
Un portail de fer s'ouvre dans des murs de quatre mètres
de haut. Décorés de peintures naïves et de
breloques métalliques, trois camions Bedford occupent
une partie de la cour. À côté s'entassent
des caisses d'armes et de munitions. Je compte plusieurs centaines
de roquettes antichars de fabrication chinoise. Des dizaines
de combattants sont assis sur des bâches.
page 26
Kalachnikovs en travers des genoux,
la plupart n'ont pas dix-huit ans. Je reconnais une poignée
d'anciens. Nous scellons les retrouvailles en buvant un verre
de thé.
Des personnages étranges attirent cependant mon attention.
Ils sont quatre, assis un peu à l'écart, mais traités
avec égards par les moudjahidine. Dans la chaleur étouffante,
ils étanchent leur soif avec force sodas tirés
d'un seau de glace. Un luxe pour les Afghans désargentés.
J'interroge le responsable de l'endroit, un homme d'une quarantaine
d'années à la main estropiée par l'explosion
d'une grenade:
"Qui sont ces gens?
- Des Arabes venus faire le jihad avec nous contre les Soviétiques
", m'explique-t-il.
Curieux, je m'approche des quatre hommes. Âgé d'une
trentaine d'années, celui qui paraît le chef cache
son visage émacié derrière une barbe noire.
Il est vêtu d'une tenue sombre. Il me jette un regard noir.
Je sens en lui de l'agressivité. Il ne répond pas
à mes salutations. Plus jeune, l'air un peu perdu, l'un
de ses compagnons m'adresse la parole, surprise, en français.
Il est algérien et prétend être venu au Pakistan
pour poursuivre des études. La kalachnikov qu'il serre
dans sa main dément son propos. Néanmoins, devant
l'hostilité des trois autres, je n'insiste pas.
Le soir, à la lueur des lampes à pétrole,
je vois quelques Afghans entourer le groupe d'Arabes. Le plus
vieux parle d'abondance dans un persan hésitant agrémenté
de mots de sa propre langue. Il tient des propos étonnants.
page 27
"Les médecins français,
affirme-t-il, veulent détruire l'islam. "
À l'écouter, cette généreuse jeunesse
venue, au risque de sa vie, aider les Afghans avec Médecins
sans frontières ou Médecins du monde distribuerait
des photos de femmes nues et, comble de l'horreur, des crucifix
à leurs patients. Si ces calomnies font souche, les garçons
et les filles de nos organisations humanitaires risquent de se
faire écharper par la population.
L'homme est intarissable.
" Savez-vous à qui appartient le monde ? " avance-t-il
avec autorité.
Devant le silence du cercle formé autour de lui, il déclare:
"Mais aux musulmans, bien sûr! Et un jour, nous convertirons
tous les infidèles à l'islam. Nous leur ferons
la guerre sainte et gouvernerons la planète... "
*
**
Zabihullah
Khan
Mohsen
combat depuis l'entrée des Soviétiques en Afghanistan.
Les communistes ont saisi sa ferme et emprisonné son père.
Il a été le premier à me donner l'accolade
à mon arrivée. Lui, le guerrier, il m'a raconté
la mort de Zabihullah en pleurant. Je l'observe écoutant
l'orateur, le visage figé, ses yeux de Turkmène
réduits à une fente. Je le rejoins dans le coin
de la cour qu'il a aménagé pour installer son sac
de couchage. Il a déjà placé sa kalachnikov
sous son turban bleu, roulé en boule en guise d'oreiller.
Un truc de guérillero pour ne pas se faire voler son arme
en dormant.
page 28
" Que penses-tu des propos de
cet Arabe? "
Il m'observe quelques secondes, un peu gêné, avant
de répondre:
" Tu sais, ce n'est pas de toi qu'il parle.
- Non, il insulte les médecins français. Tu sais
très bien qu'il ment. Toi et moi, nous nous sommes rendus
ensemble dans leurs cliniques. Nous n'avons jamais rien vu de
semblable. "
Il ébauche un sourire.
" Personne ne le croit, avance-t-il.
- Mais écoute-le, il appelle à la guerre sainte
contre le monde entier. À ce régime, vous allez
perdre le soutien des pays occidentaux.
- Nous n'avons pas le choix. Ces amis arabes nous donnent de
l'argent et ils ont affrété pour nous les camions.
Oustad Rabbani, notre chef, nous a demandé de les
traiter avec respect. "
Il fait référence au patron de son parti, Bourhanuddin
Rabbani, surnommé Oustad, " professeur", en
raison de son passé d'enseignant. À mes yeux, la
résistance afghane se fourvoie.
Quelques jours plus tard, sur la route afghane, l'Arabe à
la barbe noire daignera m'adresser la parole. Il a retrouvé
l'usage du français, dont il prétendait tout ignorer.
Ayant entendu parler de ma relation d'amitié avec Zabihullah,
il cherche à me convertir à sa religion. J'en profite
pour en savoir plus.
" Pourquoi ne pas nous rejoindre? insiste-t-il. Déjà
des milliers de tes compatriotes ont pris la vraie religion.
Bientôt des millions vont se convertir. Nous installerons
un gouvernement islamique à Paris et appliquerons la charia
sur l'ensemble du pays.
page 29
- Qu'adviendra-t-il des Français qui refuseront de se
soumettre?
- Ceux qui accepteront de payer un impôt spécial,
la jizya, pourront pratiquer librement leur religion. Les autres
seront exécutés. C'est l'ordre de Dieu...
- Et les athées?
- Les impies doivent mourir. "
J'apprends aussi qu'il est algérien, se fait appeler Abdallah Anass
(Abdallah Anas), de son vrai nom Boudjemah Bounoua Anass(Anas).
Je n'ai pas fini d'entendre parler de lui.
*
**
L'un de ses compagnons, Mahmoud,
celui qui a accepté de me saluer à mon arrivée,
devise plus facilement avec moi. Il cède à ma demande
et me raconte son histoire:
"J'avais envie de voyager, me dit-il. J'ai un cousin en
France et je souhaitais le rejoindre, mais mon père, un
haut fonctionnaire, ne m'autorisait pas à quitter l'Algérie
avant la fin de mes études. Il m'interdisait de sortir
et ne me laissait aller qu'à la mosquée du quartier.
J'y ai connu Abdallah Anass(Anas). Il m'a parlé de l'Afghanistan,
dont il revenait.
" Un jour, il a apporté un magnétoscope et
des cassettes. On voyait les moudjahidine faire la guerre aux
Russes. C'était plus fort qu'un film. Quand les combattants
musulmans s'élançaient contre les postes des infidèles
en criant Allah o akbar , ça prenait au ventre. "
page 30
Je ne comprends pas très bien
par quel subterfuge Mahmoud est parvenu à quitter l'Algérie.
Il s'embrouille dans ses explications, cherchant à brouiller
les pistes. Son histoire redevient claire quand il décrit
son séjour en Egypte.
"Au Caire, poursuit-il, nous étions plusieurs jeunes,
qui attendions de nous embarquer pour le Pakistan. J'habitais
dans une famille de vrais musulmans qui ne buvaient pas d'alcool
et faisaient leurs cinq prières par jour. Le père
était médecin et aidait les moudjahidine afghans
en leur envoyant de l'argent et des médicaments. Il m'a
expliqué que nous, les croyants, nous avons une mission,
celle de faire le jihad contre les infidèles qui martyrisent
nos frères. Un soir, il m'a accompagné à
l'aéroport en me disant que j'avais de la chance de partir
pour l'Afghanistan. "Dans quelques jours tu verras la lune
et le soleil se lever sur un pays béni d'Allah",
m'a-t-il répété plusieurs fois. "
*
**
Moins d'une semaine plus tard, nos
camions s'infiltrent en Afghanistan. Mais notre voyage en camion
est interrompu à une centaine de kilomètres de
la frontière. L'aviation nous a repérés
et devant nous, nous informe la population, un convoi est tombé
dans une embuscade. Nous nous replions sur le Pakistan. Je prépare
un nouveau départ, préférant me déplacer
à cheval.
Je profite de ce changement de programme pour me rendre à
l'ambassade des États-Unis à Islamabad, capitale
du Pakistan. En tant que principal soutien de
p31
la résistance, les Américains sont seuls capables
selon moi de gérer la menace des extrémistes arabes.
Le lieu ressemble à un bunker. Pour entrer, il faut d'abord
franchir le contrôle d'un poste tenu par des Pakistanais.
Facile, il suffit de leur parler anglais avec un peu d'arrogance.
Après, l'affaire se révèle plus délicate.
Je demande d'abord à rencontrer un diplomate. Le réceptionniste
me demande pourquoi. Je me vois mal parler d'un complot islamiste
pour justifier ma requête. Je lâche:
"Je reviens d'Afghanistan, j'ai vu des choses intéressantes...
"
Là, le cerbère s'apprivoise. Quelques minutes d'attente
et un grand gaillard rougeaud me reçoit dans un bureau
réservé aux entretiens. Je ne me souviens plus
de son nom. Je ne suis même pas sûr qu'il soit un
authentique diplomate. D'instinct je sens un homme de la CIA.
Peu m'importe, je veux faire passer l'information. Il m'écoute.
Après les présentations d'usage, j'entre dans le
vif du sujet:
"J'ai rencontré des Arabes intégristes à
la frontière et à l'intérieur de l'Afghanistan.
Ils endoctrinent les Afghans et les montent contre l'Occident,
principalement contre les médecins et employés
d'organisations humanitaires étrangères présents
sur place. A mon avis, il y a un vrai danger pour la sécurité
des étrangers et, à long terme, pour nos pays.
"
En guise de réponse, le malin m'interroge à propos
de mes précédents voyages. Il cherche à
obtenir des renseignements sur les maquis visités et les
méthodes de combat des Soviétiques. Je reste évasif
et reviens sur la raison de ma visite:
page 32
"Je crains des incidents graves.
Ces Arabes appartiennent aux mouvances extrémistes. Ils
haïssent les Occidentaux...
Là, l'Américain m'arrête. Il affiche un grand
sourire plein d'assurance pour asséner d'un ton protecteur:
" Your name is Alan, isn't it? Never mind Alan,
everything is under control *... " (Vous vous appelez Alain, n'est-ce
pas? Ne vous inquiétez pas Alain, tout est sous contrôle).
Sortant de l'ambassade climatisée, je retrouve l'air chaud
et saturé d'humidité d'Islamabad. Construite après
l'indépendance, c'est une ville moderne, sans passé.
Sur les carrés de verdure inhabités, le haschich
pousse à l'état sauvage, répandant une odeur
sucrée de pourriture. Ironie de la nature, le puritain
régime pakistanais règne au milieu d'un champ de
drogue douce.
J'ai un mauvais pressentiment. L'avenir va le justifier.
*
**
A partir de 1985, les rapports changent
entre la résistance et les organisations humanitaires
occidentales. Le Jamiat, sur lequel nous fondons le plus
d'espoir en raison de sa modération, se met à refuser
le personnel féminin dans les cliniques de Médecins
du monde ou de Médecins sans frontières (MSF).
En clair, les femmes afghanes ne pourront plus recevoir de soins
car, dans ce pays archaïque, aucun père ni aucun
page 33
époux afghan n'acceptera de
laisser soigner la population féminine par des hommes.
Devant l'envoyée de MSF, Bourhanuddin Rabbani reconnaît
avoir pris cette décision sous la pression des "frères
arabes". Déjà, on parle de la fermeture des
écoles financées par les organisations humanitaires
et fonctionnant sur la base imposée d'un quota de petites
filles.
Zabihullah m'avait demandé de lui amener des équipes
de MSF avec des jeunes filles pour traiter les femmes. Comment
réagirait-il à cet interdit nouveau s'il vivait
toujours? Je crois qu'il en ferait fi.
Plus grave apparaît le rôle des Américains
dans cette affaire. Au Pakistan, ils contrôlent plusieurs
camps où ils entraînent les Afghans, y compris dans
l'agglomération d'Islamabad-Rawalpindi. Là, ils
disposent d'une base souterraine où ils commencent à
instruire des combattants à la mise en oeuvre des stingers,
des missiles antiaériens qui vont changer la face de la
guerre. A partir de 1986, ces armes empêcheront les Soviétiques
de patrouiller à basse altitude avec leurs avions ou leurs
hélicoptères. Or, dans ces bases, personne
ne l'ignore, des Arabes reçoivent une formation militaire
aux côtés des Afghans. La CIA aussi le sait.
Pire, elle encourage les extrémistes arabes à rejoindre
les fronts de la guérilla. Elle facilite l'obtention des
visas, distribue des cassettes vidéo illustrant les combats
contre les Soviétiques, comme celle présentée
aux recrues potentielles par Abdallah Anass. L'agence
américaine prend même contact avec des membres de
l'internationale islamiste, comme le cheikh Abdel Rahmane,
un agitateur égyptien atteint de cécité.
En 1993, celui-ci
page 34
participera à l'organisation
de la première attaque contre les tours jumelles du World
Trade Center. En attendant ce retournement d'alliance, sa mission
consiste, avec d'autres, à prêcher le jihad contre
les Soviétiques.
*
**
A première vue, on pourrait
croire que les dirigeants de la CIA sont devenus fous. En fait
ils fonctionnent, croient-ils, en conformité avec les
règles apprises des Britanniques quand, pendant la Deuxième
Guerre mondiale, les futurs officiers supérieurs de l'agence
se formaient auprès des services de sa Gracieuse Majesté.
Le procédé est des plus simples. Quand vous avez
deux ennemis, eux-mêmes adversaires entre eux, vous envenimez
leur conflit et aidez le plus faible contre le plus fort. Lorsque
le rapport de force s'inverse, vous changez de poulain. Ainsi,
vos adversaires, trop occupés à s'entre-déchirer,
ne s'occupent-ils pas de vous. Ils gaspillent ainsi leurs forces,
retardant d'autant le jour d'une attaque contre vous.
En Europe, les Britanniques ont plusieurs fois dans l'histoire
agi de cette manière, venant en renfort de l'Allemagne,
quand elle était la moins forte, pour affaiblir la France;
et de la France, quand le sort lui était moins favorable
face à sa voisine germanique. Ils ont repris cette stratégie
en Égypte en 1929, favorisant l'émergence des Frères
musulmans, une organisation islamiste, pour l'opposer aux indépendantistes
égyptiens, alors que Londres gouvernait au Caire.
page 35
Dans un premier temps, les Américains
jouent bien. Soutenant les extrémistes arabes contre l'Union
soviétique, ils se servent du faible pour neutraliser
le fort. Mais, dans la logique anglo-saxonne, ils devraient venir
en aide à la Russie quand celle-ci perd pied. Ils entretiendraient
alors un abcès de fixation et se préserveraient
des foudres islamistes. Au lieu de quoi, ils gardent ces derniers
pour alliés.
Du moins le croient-ils, car ils nourrissent dans leur sein un
bébé dragon. Les islamistes se servent des Américains,
ils ne se considèrent pas comme leurs alliés, encore
moins comme leurs amis.
Sans le savoir, les États-Unis jouent avec le feu. Dans
leur ombre, un homme polit sa haine contre eux. Il s'appelle
Oussama Ben Laden.
page 37
CHAPITRE 4
Comme un vol de gerfauts
Oussama Ben Laden est né à Riyad (Arabie Saoudite)
en 1957, an 1377 du calendrier musulman. Il est le quarante-troisième
enfant et le vingt et unième garçon d'une fratrie
qui comptera cinquante-quatre rejetons. Sa mère s'appelle
Alia Aziz Ghanem, une Syrienne de grande beauté, dit-on,
et la dernière épouse de son père qui convolera
onze fois.
Ce dernier vient de la vallée de l'Hadramaout, dans le
Sud-Yémen. Il se dit sunnite, comme la majorité
des musulmans. Pourtant, concernant son affiliation religieuse,
apparaît une interrogation. D'une grande piété,
toute sa vie il soutient le mythe du Mahdi, personnage censé
apparaître quelques années avant la fin du monde,
pour rétablir la justice. Il va même créer
un fonds de charité dans l'intention d'aider le Mahdi
à restaurer l'âge d'or de l'islam.
Certes, des sunnites adhèrent parfois à cette croyance.
Elle n'en demeure pas moins associée à la doctrine
chiite. Or, plus de la moitié des Yéménites
confessent le culte d'une des multiples sectes de cet autre islam.
Les Zaydites, par exemple, dont les imams gouvernèrent
le pays jusqu'en 1962.
page 38
Par sécurité, en milieu
sunnite, considéré comme hostile, les chiites peuvent
cacher leur véritable religion pendant des siècles.
On appelle cet usage la taqiya. En Tunisie, par exemple, nous
avons retrouvé des chiites dissimulant leur allégeance
confessionnelle, quand on les croyait exterminés depuis
800 ans.
*
**
Une légende accompagne l'installation
en Arabie Saoudite du père, Mohammed "Binladin",
comme il écrit son nom. Il serait arrivé simple
paysan et, pour nourrir sa famille, aurait travaillé comme
docker sur le port de Jeddah, avant de mettre sur pied une petite
entreprise de construction. Puis, brusquement, on ne sait pas
quel mystère, il devient un familier des Saoud, la dynastie
au pouvoir. Il aurait su conquérir leur confiance en effectuant
pour eux des travaux dans les palais royaux.
On a l'impression de lire un conte des Mille et Une Nuits. La
réalité pourrait être moins idyllique. En
potentat oriental, le roi Abd al-Aziz (Abdelaziz) sait alterner
faveurs et intimidations, pour s'assurer de la loyauté
de ses serviteurs les plus proches. Côté faveurs,
il permet à Mohammed de s'enrichir, faisant de lui l'un
des plus grands entrepreneurs de travaux du royaume, en multipliant
auprès de lui les commandes.
Côté intimidations, vraie ou fausse, une rumeur
de palais circule. Les Ben Laden descendraient d'un clan royal
yéménite. Cela ferait donc bien d'eux des chiites.
Le calcul des Saoud reposerait-il là-dessus? Car il faut
page 39
savoir dans quel mépris les
sunnites tiennent les chiites. Qu'une pareille affaire soit évoquée
sur la place publique saoudienne et ce serait la déchéance
pour les Ben Laden.
Cependant, si l'ascendance chiite des Ben Laden était
avérée, comme nous inclinons à le penser,
les rois saoudiens auraient une autre raison de privilégier
une famille venue chez eux sans le sou. Ils ont toujours rêvé
d'annexer le Yémen. Quelle aubaine alors, pour eux, de
compter parmi leurs proches, soumis par la peur et l'intérêt,
un homme et ses fils jouissant d'une légitimité
sur ce pays. Voilà qui expliquerait, en tout cas, le titre
de cheikh, surgi d'on ne sait où, dont les Saoudiens honorent
les Ben Laden.
*
**
Mohammed sait naviguer dans les complots
de palais. Il choisit de se ranger derrière le prince
Fayçal. Celui-ci a des projets grandioses pour le royaume.
Le pétrole coulant à flot, il veut en profiter
pour bâtir une infrastructure moderne en Arabie. Une aubaine
pour un constructeur. Le pays traversant une crise financière
causée par la gabegie du pouvoir, le père d'Oussama
suggère alors au roi de démissionner en faveur
du prince Fayçal.
On mesure le niveau d'enrichissement déjà atteint
par l'entrepreneur. Fayçal devenu roi, Mohammed paye de
sa poche les salaires des fonctionnaires pendant six mois. En
remerciement, le nouveau maître des destinées du
royaume le nomme ministre des
page 40
Travaux publics et lui accorde un
monopole des contrats de construction de l'État.
En 1969, la mosquée d'Al Aqsa, à Jérusalem,
est ravagée par le feu. Elle est le troisième lieu
saint de l'islam et le roi de Jordanie en assure l'entretien,
suite à un accord passé avec les Israéliens.
Il lance un appel d'offres pour la remise en état du bâtiment.
Avec le soutien des Saoud, Mohammed obtient le marché.
On dit qu'il soumissionne en dessous du coût de revient,
payant de sa poche le surplus. L'entrepreneur se voit aussi chargé
d'agrandir les mosquées de La Mecque et de Médine,
les deux autres sites sacrés, par le Coran et l'usage.
Le premier vit naître Mahomet, le second hébergea
les derniers moments de sa vie.
Ces travaux confèrent une quasi-sainteté au père
d'Oussama. La sainteté et la richesse. Pourtant, la légende,
toujours cette légende orientale, le dit gardant, sur
une étagère de son salon, le balluchon avec lequel
il arriva de son Yémen natal.
A la maison, il exige l'obéissance de ses enfants et fixe
pour eux un programme quotidien. Chaque jour, il veut les voir
et prendre au moins un repas avec eux. Il les éduque dans
une stricte obédience musulmane et leur inculque le respect
des codes sociaux. En toutes choses, il les veut pratiquant l'humilité,
règle islamique héritée de Mahomet. En Occident,
on comprend mal que ce comportement, même s'il est souvent
teinté d'hypocrisie, soit élevée au rang
de vertu.
Il envoie aussi sa progéniture dans les meilleures écoles
à travers le monde. Plusieurs fréquentent le collège
Victoria, à Alexandrie (Egypte). Un établissement
où se retrouvent des fils de princes arabes et ceux de
la
page 41
haute bourgeoisie moyenne-orientale,
comme le roi de Jordanie, Omar Sharif ou les frères Kashoggi,
dont le nom s'illustrera dans le commerce international des armes.
Vivant aujourd'hui en Suisse, le frère d'Oussama, Yeslam,
né en 1950, est envoyé dans un pensionnat au Liban.
Il poursuit ensuite en Suède des études universitaires
d'économie qu'il termine aux États-Unis, à
Los Angeles.
Oussama, lui, demeure en Arabie. Il étudie à Jeddah,
où il obtiendra un diplôme universitaire d'administration
publique. Il doit sans doute ce traitement plus modeste au fait
que sa mère n'est pas la préférée
de son époux. Cependant, à l'âge de l'école,
sur les photos de famille, on le voit souriant et insouciant.
Ses enseignants de l'époque parlent d'un garçon
sans histoire et qui ne se manifeste par aucun zèle religieux
particulier.
Premier coup de semonce dans sa vie, le père d'Oussama
meurt en 1970 dans un accident d'avion. L'enfant a treize ans.
Son frère aîné, Salem, prend la direction
de la famille et des affaires, gérées désormais
de manière collégiale.
Mais il manque un père à Oussama. Il lui faut aussi
un confident. Il a environ quatorze ans quand il fait la connaissance
d'Abdallah Azzam, un Palestinien venu gagner
sa vie comme professeur de théologie en Arabie Saoudite.
*
**
Né en 1941 dans la région
de Jénine, en Cisjordanie, Abdallah Azzam émigre
de l'autre côté du Jourdain en
page 42
1967, à la suite de la guerre
des Six Jours et de l'occupation israélienne. Associant
religion et haine de l'envahisseur, il rejoint les Frères
musulmans, une organisation islamiste née en Égypte
en 1929, et fait le coup de feu avec eux contre Tsahal. Cependant,
plus intellectuel que guerrier, il décide de reprendre
ses études et part pour Le Caire où il obtient
un diplôme de droit islamique.
Là, il fréquente les anciens amis de Sayyed
Qotb, un Frère musulman partisan de l'action violente,
pendu en 1966 par les autorités égyptiennes. Puis,
il s'installe en Arabie Saoudite. Son enseignement fait frémir.
Il dit: "Seuls le jihad et le fusil. Aucune négociation,
aucune conférence et aucun dialogue. "
page 63
CHAPITRE 6
Les racines de la colère
L'un de ses demi-frères parle
de Ben Laden en 1989, à son retour d'Afghanistan. "
Oussama était devenu un héros, raconte-t-il, et
le roi l'a reçu en audience privée. Les ouléma
(théologien
musulman). l'invitaient à
prendre la parole. Mais, au lieu de recevoir cela comme un hommage,
à chaque fois, il plaidait pour le soutien des Afghans,
comme si la guerre n'était pas finie. Il indisposait tout
le monde...
Dans les faits, à peine les Soviétiques se retirent-ils
que, le danger reculant, les aides à l'Afghanistan s'évanouissent.
Faisant fi des sentiments, la Realpolitik s'impose, en Orient
comme en Occident.
Ben Laden est-il un homme de passion ou cherche-t-il des causes
pour se forger une célébrité? Son comportement
donne la réponse.
Bien vite, il prend son parti de cet abandon de l'Afghanistan.
Il propose alors un nouveau plan, pour lancer un jihad contre
le Sud-Yémen à partir du territoire saoudien. Certes,
il s'agit d'organiser une guérilla, pas une guerre conventionnelle.
En outre, les
page 64
Saoud s'estiment les propriétaires
légitimes de l'ancienne Arabie heureuse. Enfin, dans leYémen
divisé en deux États, le Sud subit la loi d'un
régime communiste de type soviétique. Comme l'Afghanistan.
Mais ni le roi ni son entourage ne sont devenus fous. Attaquant
un pays voisin et arabe, ils savent qu'ils dresseraient contre
eux l'opinion internationale. Ils n'auraient aucun soutien à
espérer des États-Unis. Ce jeune Ben Laden commence
à leur faire peur. Par précaution, et sans l'en
prévenir, les autorités décident de lui
interdire de sortir du pays.
Il s'en aperçoit par hasard, en se présentant un
jour à l'aéroport pour effectuer un court déplacement
à l'étranger. Poliment, mais fermement, le policier
lui interdit d'embarquer et garde son passeport. Furieux, le
jeune homme se plaint auprès de Turki. Celui-ci le calme,
prétendant les Américains à l'origine de
cette interdiction. Selon lui, ces derniers craindraient son
retour en Afghanistan en raison de sa popularité dans
le pays. Ben Laden mord à l'hameçon. Il suffisait
de le flatter.
Il s'entiche alors d'une nouvelle idée. Plusieurs mois
avant l'offensive de l'Irak au Koweit, il dénonce les
intentions agressives de Bagdad. Mise en garde bien fondée,
celle-là, qui inquiète le pouvoir car elle met
en cause sa politique de conciliation avec Saddam Hussein. Plus
grave, il ne suffit plus à Ben Laden d'envoyer dans des
lettres ses prédictions aux responsables du régime.
Il fait des conférences publiques sur le sujet.
Mais il ne se contente pas de parler. Dans les entreprises familiales,
il donne des emplois aux vétérans
page 65
arabes d'Afghanistan à la
recherche d'une terre d'accueil. Il procure même à
certains de faux papiers, leur permettant ainsi de séjourner
en Arabie Saoudite.
Quant à ses familiers, personnages qui hantent sa ferme
installée dans le désert, ils donnent froid dans
le dos. Parmi eux, l'Égyptien Ayman al-Zawahiri.
*
**
Né
le 19 juin 1951, il a été impliqué dans
l'assassinat d'Anouar el-Sadate, le chef d'État égyptien
assassiné le 6 octobre 1981.
Il appartient à une famille de notables cairotes. Son
père est un gynécologue réputé, son
grand-père paternel occupa les fonctions de recteur de
l'université islamique d'Al-Azhar, la plus réputée
du monde musulman. Le père de sa mère, lui, fut
président de l'université du Caire et ambassadeur
d'Égypte. Al-Zawahiri, pour sa part, a été
diplômé de l'université de médecine,
en 1974, et a exercé comme chirurgien.
Sans doute sa place dans la société lui épargne-t-elle
la sévérité du juge. Quand ses compagnons
de route marchent au poteau d'exécution pour le meurtre
du raïs, il bénéficie d'un non-lieu et n'écope
que de trois ans de prison.., pour détention illégale
d'armes.
Sorti des geôles égyptiennes en 1984, il semble
trouver la vie de bourgeois cairote trop fade. En 1986, il part
pour Peshawar afin de soigner les blessés du jihad. Cette
vocation humanitaire ne dure pas. Par l'intermédiaire
d'Azzam, il fait la connaissance de Ben Laden et devient l'un
de ses plus fidèles lieutenants.
page 66
Du moins est-ce là la face
visible du personnage. En réalité, depuis l'université,
lieu de recrutement habituel des islamistes, il appartient au
Jihad islamique. Cette organisation, sorte de mouvement taliban
dans sa version égyptienne, préconise l'assassinat
politique pour s'emparer du pouvoir et "ré-islamiser"
la société en usant de coercition.
Le chef du Jihad, Abboud al-Zamour, resté en prison,
l'a chargé de transmettre les ordres à ses hommes.
Il compte ainsi monter des opérations du fond de sa cellule.
Mais Al-Zawahiri a de l'ambition. Il refuse de servir d'intermédiaire
et s'autoproclame chef du mouvement, provoquant une scission.
Comment expliquer la fascination d'un homme de sa condition pour
une vie de meurtres et d'insécurité? N'était-il
pas un privilégié dans la société
égyptienne?
*
**
Dans le journal arabe Ashark Al-Awsat,
Mahfouz Azzam, un avocat membre de la famille de sa mère,
décrit Zawahiri comme un garçon gai et de caractère
facile. Il l'affirme estimé pour ses compétences
dans les milieux chirurgicaux de niveau international.
On a l'impression d'avoir affaire à Docteur Jekyll et
Mister Hyde. Involontairement, le maître du barreau cairote
donne la clé du mystère. " C'est un bon musulman,
dit-il, il vient d'une famille d'ouléma dont les origines
se confondent avec celles de l'islam... "
Qu'on le veuille ou non, l'islam est en cause. Tout croyant convaincu,
et soucieux d'appliquer la religion
page 67
musulmane à la lettre, peut
devenir un terroriste, selon la définition de l'Occident.
La preuve? Zawahiri et Ben Laden nous la livrent.
Dans Secret en islam, édité par eux, et faisant
partie d'une série de lettres intitulée "Vade-mecum
du musulman ", on lit:
" On entend par "incroyants combattants", ceux
qui s'opposent à la religion d'Allah tout-puissant, par
la parole ou par l'action. Le Prophète, par son exemple,
nous démontre la légalité de leur assassinat...
Cela découle de la parole d'Allah. "Tuer les associateurs
* là où vous les trouvez, prenez-les, encerclez-les
et tendez-leur des embuscades", dit le Coran dans la sourate
IX, au verset 5... Le Prophète a ordonné de tuer
Kaab Ben al-Achraf... car il excitait les associateurs contre
les musulmans et, dans ses poèmes, le critiquait... "
Pour Al-Zawahiri, tout est clair. A ses propres yeux,
il n'est pas un criminel, mais un homme pieux obéissant
aux ordres de la divinité et de son prophète. Il
marche dans le chemin du bien et ne tue que parce qu'il le doit.
On appelle cela du fanatisme, mais un fanatisme soutenu par les
textes religieux. Des textes que personne n'ose ouvertement contredire.
Pourtant, hors de la guerre, Al-Zawahiri se conduit en personne
de bonne compagnie. Comme le lui commande le Coran. Pour lui,
il n'y a pas contradiction, mais continuité entre sa vie
de combattant et son comportement social.
* Les musulmans désignent
sous le nom d'associateurs les polythéistes et les chrétiens
adeptes du credo " Dieu en trois personnes ".
page 68
Difficile à comprendre en
Occident. Car lorsqu'un tueur, communiste, nazi ou autre, recherche
dans le cynisme un soutien pour tenir psychologiquement, pour
résister au stress, un islamiste comme Al-Zawahiri n'en
a pas besoin. À cette bonne conscience dans le meurtre,
on mesure le travail à réaliser par les musulmans,
pour faire entrer leur religion dans le siècle.
page 185
A 12 h 10, le 12 octobre, le USS
Cole approche le quai en douceur. Les vitres du poste de
commandement jouent avec le soleil renvoyant des flashes de lumière.
Les uniformes blancs s'agitent sur le pont. L'équipage
largue les amarres. Des hommes à terre s'en saisissent
pour les fixer aux bittes d'amarrage. À ce moment précis,
un canot pneumatique Zodiac s'élance sur les eaux. Deux
hommes le pilotent. Tout le monde les croit associés à
la manoeuvre du navire. Ils se collent à lui.
Soudain, une violente explosion fait vibrer l'air surchauffé.
Il est12h15. Une brèche d'une dizaine de mètres
s'est ouverte dans la coque. La charge, environ 300 kilos de
C-4, un plastic à usage militaire, tue 17 marins. Les
deux terroristes sont déchiquetés, une quarantaine
d'hommes blessés. L'un des deux candidats au suicide s'appelait
Abd al-Mohsein al-Taifi, de nationalité yéménite.
Le second n'a pas été identifié.
page 186
Le cheikh Omar al-Bakri se
présente comme le correspondant de Ben Laden à
Londres. Il prétend avoir reçu un appel téléphonique
d'individus disant appartenir à l'Armée de Mahomet,
qui auraient revendiqué l'attentat. Une autre revendication
est adressée au bureau de Beyrouth de l'AFP, au nom des
Forces islamiques de dissuasion. On n'a jamais entendu parler
de ces organisations. Il s'agit seulement, pour les commanditaires,
de signer du nom de l'islam.
Ben Laden, selon son usage, dément toute implication dans
l'affaire mais donne sa caution morale " aux courageux défenseurs
de l'islam " auteurs du crime. A quelques mois de là,
il va même en faire le thème central d'un show au
goût douteux.
*
**
L'occasion, c'est le mariage de Mohamed,
sixième de ses seize enfants. Le garçon a 19 ans.
Il épouse en grande pompe une fille d'Atef, le
chef militaire d'Al Qaida. La mariée, Aïcha, vient
d'avoir seize ans.
Il faut voir la scène. Nous sommes le 9 janvier de l'année
2001. Une tente d'une vingtaine de mètres de long a été
dressée sur le sommet d'une colline à deux heures
de route de Kandahar. Au loin, on voit le désert qui s'étend
jusqu'à l'Iran et au Pakistan.
Rouge et ocre, les tapis afghans recouvrent le sol. Rangés
en cercle, les invités sont assis sur des " touchaks
", sortes de matelas de cinq ou six centimètres d'épaisseur
rembourrés avec de la laine. Devant eux, des nappes blanches
surchargées de pièces de moutons,
page 187
des poulets importés du Pakistan
et, venus de latitudes à la température plus clémente,
d'énormes plateaux de fruits. Donnant un petit air corse
au décor, deux hommes masqués tiennent l'assemblée
sous la protection de leurs armes.
Le gotha du terrorisme mondial est là, emmitouflé
dans des couvertures, car la température ne dépasse
pas les quinze degrés. Parmi les invités on reconnaît
les principaux chefs des Taliban, Al-Zawahiri, bien sûr,
mais aussi les leaders des différents mouvements islamistes
présents dans les camps afghans, quelques-uns même
venus de l'étranger. Deux des frères de Ben Laden
et l'une de ses soeurs se sont aussi joints à la fête.
Ils se seraient glissés dans un avion de Pakistanais rentrant
du pèlerinage à La Mecque.
Entre son père, vêtu à la saoudienne, en
blanc comme lui, et son beau-père, portant une abaya noire,
Mohammed triomphe. L'auteur de ses jours est très malade.
On le dit souffrant d'un problème de reins, peut-être
même serait-il diabétique. Âgé de 44
ans, on lui donne quinze années de plus. L'adolescent,
aujourd'hui à la place d'honneur, pourrait succéder
au maître d'Al-Qaida. Déjà, il aime à
faire le coup de feu et sa jeunesse trouve dans la haine de l'Amérique
un exutoire.
La surprise vient à la fin du repas. Ben Laden se lève.
Le brouhaha des conversations cesse. Ecartant les bras d'un geste
débonnaire, un tantinet cabotin, il fait jouer dans l'air
les vastes manches de son habit. On retient son souffle dans
l'assistance.
Il reste quelques instants silencieux, comme attendant le retour
de l'inspiration créatrice, puis il dit un poème,
ou du moins ce qu'il prend pour tel. Il prononce
page 188
en zézayant légèrement,
quand il contrôle mal sa langue. Personne n'oserait cependant
en plaisanter.
" Elle navigue sur les flots, déclame-t-il, escortée
par l'arrogance, la prétention et le faux pouvoir. Elle
va lentement vers son tragique destin... Vos frères, à
l'Est, préparent leurs armes. Les chameaux de guerre prêts
à faire mouvement...
Il y a du Néron chantant ses odes devant Rome en feu chez
cet homme. Sans pousser aussi loin la référence
historique, les assistants au mariage ont reconnu l'allusion
au USS Cole. Ils s'en amusent car tout le monde, ici, croit Al-Qaida
responsable de l'attaque contre le bateau américain.
Promue chroniqueuse de cour, Al-Jezira, la chaîne
du Qatar, filme les agapes. Elle diffusera les images sans le
son. Ses journalistes parlent de la production poétique
lue ce jour-là par Ben Laden comme d'une longue raillerie
à l'adresse des États-Unis.
Les rejetons du Saoudien ont de qui tenir. Hamza, un autre de
ses fils, âgé de 10 ans, brûle à son
tour les planches, ou plutôt les tapis. Dans ses vers,
il prophétise: "Je suis en train de prévenir
l'Amérique que son peuple va être confronté
à de terribles conséquences si elle pourchasse
mon père... "
Et de conclure: " Combattre les Américains est la
base même de la foi. " Bon sang ne saurait mentir.
page 203
Postface
J'ai rencontré Hussein
Amin, ancien ambassadeur d'Égypte, au Caire en 1992.
Il avait déjà atteint l'âge de la retraite
et s'interrogeait sur l'avenir du monde musulman. J'avais en
face de moi un homme profondément croyant, aimant son
pays et la civilisation musulmane dans laquelle il vit. Il se
demandait pourtant comment cet univers, son univers, parviendrait
à survivre sans évoluer.
Pour ne pas trahir sa pensée, je me contenterai de citer
son Livre du musulman désemparé,
publié à La Découverte.
" L'imprégnation de l'esprit de l'islam, et non le
respect de quelques lois éparses, devrait être la
boussole qui nous guide dans le droit chemin, partout et de tout
temps ", dit-il.
Et il donne un exemple:
" Dans la péninsule arabe des VIe et VIIe siècles,
la forme dominante de la propriété était
la propriété mobilière. Le bédouin
se déplaçait d'un point d'eau à l'autre
en portant avec lui tout ce qu'il possédait. Lui voler
son chameau et son chargement, c'était le
page 204
condamner à une mort certaine.
Il fallait donc que la charia {la loi islamiquel punisse le vol
dans une telle société de manière aussi
dissuasive que possible... "
D'où, comprenons-nous, l'amputation du voleur de sa main.
"Mais, continue-t-il, l'islam a pénétré
des sociétés connaissant des formes de propriété
différentes. Ces sociétés peuvent se défendre
contre le vol en le sanctionnant autrement que ne l'a fait la
société bédouine, sans transgresser en quoi
que ce soit l'esprit de l'islam...
Et d'insister, nous donnant de la religion de Mahomet une autre
interprétation que celle des islamistes:
"Au contraire, c'est l'islam qui exige que nous options
pour une autre peine... On ne peut appliquer le même traitement
aux deux sociétés sans que cela induise des effets
pervers...
Les islamistes, les puristes et autres conservateurs hurleront
au crime de lèse-religion. Ils diront, comme nous les
avons déjà entendus, que "les lois du Coran
sont valables en tous temps et en tous lieux". Vrai et faux,
selon le texte coranique justement. Car il existe un principe,
" l'i jtihad " ou effort d'interprétation. Celui-ci
permet d'adapter le texte à la situation. Il existe, dans
l'histoire de l'islam, un bon exemple de cela.
Omar, successeur de Mahomet et deuxième calife, avait
suspendu l'amputation de la main des voleurs dans le jeune empire
musulman. Une sorte de pharisien de son temps, un islamiste du
nôtre, lui reprocha de ne pas respecter à la lettre
une obligation, selon lui, du Coran. Il lui répondit:
"Veux-tu donc que je coupe les mains de la moitié
de mes sujets?"
page 205
La famine s'étant abattue
sur les terres islamisées, le vol était devenu
si commun que la peine brandie ne faisait plus peur à
personne.
C'est à ce travail "d'ijtihad" qu'à notre
avis les musulmans doivent se livrer. Pour museler les extrémistes
en les marginalisant. Enfin, pour leur bien et pour le nôtre,
en faisant entrer leur religion dans notre siècle, le
XXIe.
Alain
Chevalérias
La
Guerre Infernale
Le Montage
Ben Laden et ses conséquences
Editions
du Rocher
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